M. Osman Mahomed, député du PTr : La construction des 8,000 logements sociaux : un festival de contrats !

Notre invité de ce dimanche est Osman Mahomed, deputé du PTr. Dans l’interview qui suit, il dénonce dans le détail ce qu’il considère comme un énorme scandale : le projet gouvernemental de construction de 8,000 logements sociaux. Osman Mahomed répond également, en fin d’interview, à des questions d’actualité politique.

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L’une des promesses de l’alliance MSM/ML était de faire construire 12,000 logements sociaux. En raison du Covid, la réalisation de la promesse a été retardée et le nombre de maisons a été réduite à 8,000 avec une grosse augmentation du prix de vente. Le gouvernement vient d’annoncer le lancement de ce projet, mais dans les questions que vous posez au Parlement à ce sujet, vous semblez dire qu’il y a de grosses zones d’ombre pour ne pas dire un gros scandale autour de ce projet.

— C’est effectivement un énorme scandale. Premièrement, ce n’est pas l’épidémie qui a retardé la réalisation du projet, mais l’incompétence de ceux qui sont chargés de le faire. Pendant le Covid, le gouvernement a continué la construction de plusieurs projets, dont celui du métro. Le retard dans le démarrage de ce projet est le résultat de l’incompétence du New Social Living Development (NSLD) Ltd, dont la direction et une grosse partie des cadres sont des nominés politiques qui ne maîtrisent pas les règles de base de la construction. Les consultants qui ont travaillé avec la NSLD sur ce projet se disent surpris par son niveau d’incompétence et d’amateurisme. Tant bien que mal, ces consultants ont accouché de projets qui ont été rejetés par la NSLD, au début de l’année, après avoir payé Rs 300 millions pour le travail rejeté. Le tout en catimini.

Attendez : est-ce qu’un consultant ne travaille pas sur les indications et en étroite collaboration avec son client ? Comment un client peut-il refuser un travail dont il a dû techniquement suivre toutes les étapes de l’élaboration ?

— La réponse réside dans le degré d’incompétence et d’amateurisme des cadres et de la direction de la NSLD. Par ailleurs, du fait de cet incompétence, les documents sont mal préparés et visés, ce qui ouvre la porte à toutes sortes de réclamations.

Est-ce que ces documents sont mal préparés par inexpérience ou par exprès ?

— Allez savoir! La préparation des contrats de construction est un domaine extrêmement technique, ce qui explique la multiplication des litiges. La moindre erreur se paye au centuple et dans les cas qui nous occupent, des fonds publics. Je sais qu’il y a eu le contracteur du projet NHDC de Mare d’Albert qui, après avoir déclaré litige, a obtenu la somme de Rs 75 millions. Il y a un autre cas similaire, celui de Bassin, avec quelques dizaines de millions.

Parlons un peu de cette New Social Living Development (NSLD) Ltd, pour qui vous ne semblez pas avoir beaucoup d’estime.

— Il y a trois ans, le ministère du Logement a créé le NSLD, un organisme qui fait exactement le même travail que la National Housing Development Co (NHDC), à la différence que le dernier organisme cité a une solide expérience dans le domaine de la construction. La NSLD, que le ministre du Logement avait décrit comme étant « a special purpose vehicle » pour lever des fonds pour la construction des logements sociaux, dispose d’un budget de fonctionnement annuel de Rs 70 millions. Depuis qu’il existe, cet organisme n’a rien produit de conséquent, si ce n’est qu’il a puisé Rs 300 millions des caisses de l’État pour payer les consultants engagés pour dessiner les plans des logements sociaux qui ont été rejetés. La NSLD a procédé à des recrutements de dizaines d’employés avec des salaires supérieurs à ceux de la NHDC. Il y a eu beaucoup de parachutage de nominés politiques dans les rangs de ces organismes, il y a même eu des protégés sans expérience qui ont été placés sur la tête d’officiers compétents.

Par ailleurs, on annonce que le marketing des logements n’est pas fait par le NHDC, mais par un autre organisme. La NSLD est présideé, tout comme la NHDC, par M. Eshan Abdool Rahman, qui se présente comme un mega coach professionnel et qui n’a, selon mes informations, aucune connaissance dans le domaine de la construction. Ce que l’on sait, par contre, c’est que M. Rahman est un ami personnel de longue date du ministre du Logement. J’espère que le domaine du logement ne deviendra pas, pour reprendre les termes mêmes du président de la NSLD et de la NHDC, « un volcan » avec des contrats de plus de Rs 21 milliards ficelés et attribués dans l’empressement pour atteindre des objectifs politiques ! Pour le moment, la NSLD est responsable du logement social dont l’amateurisme a fait perdre au pays des centaines de millions de roupies sans avoir construit une seule maison !

Pourquoi le gouvernement se lance-t-il avec précipitation dans le projet de logements sociaux ?

— Il mise sur trois arguments pour remporter les prochaines élections : la construction de logements sociaux, la prolongation de la ligne du métro jusqu’à Côte D’Or et l’augmentation de la pension de vieillesse. Pour les logements sociaux, il choisit 14 contracteurs parmi les plus gros pour allouer les contrats de construction.

 Vous avez dit choisi. Cela signifie que le gouvernement n’est pas passé par la procédure d’appels d’offres ?

— Non. Quand je l’ai questionné au Parlement à ce sujet, le ministre Steven Obeegadoo a fini par avouer que la NSLD n’a pas eu recours à des appels d’offres en allouant les contrats de construction de 8,000 unités de logements sociaux – au coût de Rs 2.7 millions l’unité – aux 14 contacteurs au coût total de Rs 21.6 milliards. Et ce, alors que, dans son 3ème rapport, publié cette semaine, le Public Accounts Committee a mis beaucoup d’emphase sur les procédures d’appels d’offres pour les contrats publics !

Est- ce que le « gâteau » de la construction des 8,000 logements a été partagé équitablement entre 14 contracteurs « sélectionnés » par la NSDL ?

— D’après les renseignements disponibles, ce n’est pas le cas. De grands contacteurs pont obtenu quelques dizaines de logements, alors que d’autres, moins gros, en ont obtenu plusieurs centaines, dans de meilleurs emplacements que les autres.

 Il me semble que le gouvernement avait promis que les 12,000 logements locaux allaient être construits équitablement dans les 20 circonscriptions du pays. Est-ce qu’avec la diminution du nombre de logements, cette promesse de partage est maintenue ?

— Effectivement, le gouvernement avait promis que 600 logements seraient construits dans chaque circonscription. Ce n’est pas le cas. Les 8,000 logements seront éparpillés à travers le pays et on peut constater que deux circonscriptions s’attribuent la part du lion : les numéros 8 et 13 qui sont, comme vous le savez, celles du Premier ministre et du ministre des Finances. La vitesse avec laquelle on va avec ce projet me fait craindre une accumulation de problèmes à l’avenir. Je ne le souhaite pas, mais j’ai bien peur qu’après les constructions, dans une année, nous allons payer les conséquences de cette précipitation et de cet amateurisme. Deux semaines de suite, j’ai attiré l’attention des autorités concernées pour leur dire de veiller à ce que les conditions habituelles dans lesquelles les contrats sont attribués soient respectées.

l Pour quelle raison avez-vous insisté sur ce point précis ?

— Parce que, selon mes informations, le gouvernement avait l’intention d’accorder une avance de 25% sur le prix de chaque construction aux contracteurs, contrairement aux 10% habituels. J’ai souligné qu’avant l’attribution des contrats, il fallait connaître l’état de situation financière des contracteurs pour éviter de mauvaises surprises, d’autant que plusieurs contracteurs retenus n’étaient pas en règle avec les spécifications bancaires et les assurances. Parmi, il y en avait un – qui a obtenu une part du lion – qui avait des problèmes non seulement avec sa banque, mais même avec les fournisseurs de matériaux.

Est-ce qu’il s’agit d’un contracteur qui serait proche d’un ministre ?

— Tout ce que je peux vous dire c’est que ce contracteur a obtenu pratiquement tous les contrats de la circonscription numéro 13. Je dois dire qu’après mon intervention, le ministre Obeegadoo – qui a déclaré au Parlement qu’il venait de rentrer au pays et n’était pas au courant des contrats alloués – m’a demandé si mes informations sur les contracteurs étaient exactes et de les lui transmettre. Ce que j’ai fait officiellement le lendemain, donc, la semaine dernière. Imaginez, alors, ma surprise quand j’ai entendu le ministre Obeegadoo déclarer à la télévision, mercredi, lors du lancement du projet des 8,000 logements à Souillac, que les contrats de 34 des 39 projets ont été alloués! Comment se fait-il qu’en une semaine, on a eu le temps de régulariser la situation de tous les contracteurs, qui n’étaient pas en règle, afin qu’ils puissent bénéficier de l’avance de 25% pour commencer les travaux ?

Certaines personnes disent que le lancement du projet de construction des 8,000 logements a été pensé et fait sans le ministre du Logement, ce qui explique son soin à préciser qu’il n’était pas à Maurice. Avant d’être obligé de participer au lancement, en défendant le projet, comme il l’a fait a Souillac, mercredi dernier.

— Soit Steeve Obegadoo est ministre des Terres et du Logement avec toutes ses responsabilités, soit il ne l’est pas.

Vous êtes dur avec lui qui a salué en vous « le plus constant des aspirants ministres du Logement ».

— En tant que député responsable et avec l’expérience d’ingénieur acquise à Singapour et à Maurice, je ne fais qu’analyser les faits et dire la vérité. Il y deux ans de cela, j’avais déjà prédit que le NSLD allait donner lieu a un festival de contrats. Mes prévisions se sont malheureusement réalisées. Après le festival de la terre des années 80, nous sommes en train d’assister, avec la construction des 8,000 logements sociaux, à un festival de contrats à certains contracteurs. C’est Obeegadoo qui, malgré mes mises en garde documentées, est venu déclarer à la télévision que 34 des 39 contrats ont déjà été donnés. Si la situation tourne mal, les ministres qui ont décidé à sa place n’hésiteront pas à rejeter le blâme sur lui. Un ministre ne peut pas être responsable que d’une partie d’un grand projet que chapeaute son ministère !

Le coût d’un logement social est aujourd’hui estimé à Rs 2,7 millions. Est-ce que les Mauriciens qui font partie de la catégorie sociale à qui il est destiné ont les moyens de se le payer ?

— D’après ce que j’ai compris, le gouvernement subventionnera deux tiers de la somme, ce qui fait que celui qui achètera le logement ne paiera que Rs 900,000.

Est-ce que le Mauricien à qui est destiné ce type de logement a les moyens de repayer un emprunt bancaire de Rs 900,000 ? Ou alors, comme ça a été le cas dans le passé, ce sont des personnes qui ont les moyens qui achèteront ces logements pour les louer ?

— C’est une vraie question. En général, un tiers des revenus d’un ménage doit être réservé au remboursement d’un emprunt et dans le cas qui nous occupe, il est évident que beaucoup de personnes ne pourront pas remplir cette condition. Face à cette situation, je me demande s’il ne serait pas dans l’intérêt du gouvernement d’étudier d’autres alternatives pour solutionner le problème du logement. Par exemple, en créant des morcellements dans des endroits accessibles avec les aménités nécessaires, avec des lots de 55 toises, ce qui permet à chaque personne de construire sa maison selon ses moyens avec des aides comme le coulage de dalle, etc. Cela coûterait beaucoup moins au contribuable que les subsides des 2/3 du coût de construction de Rs 2.7 millions pour l’achat de petits appartements. En même temps, le gouvernement ne prendrait pas de gros risques avec les contracteurs et ne perturberait pas le marché de la construction.

Comment est-ce que la construction des logements sociaux pourrait perturber le secteur de la construction ?

— Parce que le gouvernement a fait appel aux plus gros constructeurs, qui ont déjà des engagements dans le privé. Pour réaliser le plan du gouvernement avant les prochaines élections, les contracteurs seront obligés de négliger ou de retarder leurs autres contrats. Ces gros contrats débalanceront aussi le secteur en termes de matériaux, d’équipements et de main d’œuvre. Il y a aussi un gros problème de management et de supervision dans la construction : nous n’avons pas formé assez d’éléments locaux et devons faire appel à des étrangers avec ce que cela peut comporter comme problèmes. Il y a également le problème d’équipements dans une île qui a un climat particulier, qui est, d’ailleurs, en train de changer. Ce débalancement affectera, entre autres, des projets d’IRS qui sont censés attirer les investisseurs étrangers. Beaucoup de ces projets sont déjà en retard et ceux qui les ont achetés et payés ne sont pas contents. Nous nous retrouvons dans une situation où le gouvernement fait la promotion des IRS de luxe pour attirer les gros investisseurs et, en même temps, lance le projet de logements sociaux qui handicapera le premier, dans le cadre d’une stratégie électorale. En ce faisant, le gouvernement se tire une balle dans le pied.

Je suis dépassé : personne au gouvernement ne s’est rendu compte des conséquences négatives que le projet de logements sociaux pourrait avoir sur les autres secteurs ?

— Un des problèmes de ce pays, et plus précisément de ce gouvernement, réside dans le fait qu’il a pratiquement éliminé les organismes qui faisaient de la prévision, du planning au niveau national. Jusqu’à 2014, il existait au niveau gouvernemental des comités qui faisaient du planning. J’ai eu le privilège de faire partie du High Level Project Committee au bureau du PM d’alors, dont faisaient aussi partie Kailash Ruhee, Amédée Darga, Suresh Seebaluck, Dev Maraj et Mme Hema Boolell, entre autres. Ce comité avait pour tâche de réfléchir sur les grands projets nationaux. C’est l’absence de ce genre de comité qui nous conduit à des situations de pagaille où les projets sont décidés sans que leur impact soit mesuré ou corrigé.

Quelques questions politiques pour terminer. Vous poursuivez votre ancien constituency clerk pour Rs 50 millions. En général, c’est le clerk qui pousuit le député, non ?

— Les faits sont les suivants : il a été rencontrer des gens du MSM et a essayé de me convaincre de passer du rouge à l’orange, ce que j’ai refusé. Apres 6 mois, j’ai appris qu’il allait faire une déclaration à la police contre moi. J’ai pris les devants et avec mes hommes de loi, je suis allé faire une déclaration contre lui et je l’ai poursuivi pour Rs 50 millions. Le 4 mai, il fait une déclaration sur une radio pour dire que ses avocats allaient soulever un point de droit contre moi. Savez-vous qui sont les avocats qu’il cite comme étant les siens ? Ashley Huranghee et Samad Goolamally qui, on vient de l’apprendre, sont les auteurs du contre rapport sur l’affaire Kistnen. Or, quand mon ancien constituency clerk a été appelé devant la Cour, jeudi dernier, il n’était pas accompagné d’aucun homme de loi et a demandé un renvoi. J’espère qu’il n’a pas été abandonné par ses nouveaux amis politiques qui l’ont mené vers cet acte de trahison ou, pire, qu’il ne joue pas aux delaying tactics avec la justice. Peu importe sa stratégie, j’irai jusqu’au bout avec cette affaire, nonobstant le temps que cela prendra.

Est-ce qu’on continue de vous faire des propositions pour quitter le PTr et rejoindre le MSM avec un poste de ministre à la clé ?

(Rires) Disons que beaucoup de personnes de l’opposition sont approchées par le camp d’en face.

Vous avez été un des rares parlementaires de l’opposition à ne pas avoir été expulsé par le Speaker. Or, la donne semble avoir changé, cette semaine. Pourquoi ?

— Je pense que le Speaker n’a pas apprécié que je pose des questions sur ses voyages à l’étranger qui sont payés par l’argent des contribuables. C’est la première fois, cette semaine, que j’ai senti que le Speaker avait envie de m’expulser quand j’ai posé une question supplémentaire sur la déclaration du PM sur le contenu du sac trouvé chez Navin Ramgoolam. J’ai essayé d’obtenir la parole, mais il a refusé et a menacé de m’expulser si je ne présentais pas des excuses pour avoir parlé après lui. Je me suis incliné, mais je n’ai pas pu poser ma question supplémentaire.

Quel était le contenu de cette question que vous n’avez pas pu poser ?

— Tout simplement que le produit que le PM a mentionné au Parlement comme étant illégal est un médicament qui est utilisé par les athlètes pour fortifier leurs muscles. Et qu’il est disponible à la vente sur les réseaux sociaux et peut être delivered to Mauritius.

Allez, une question sur l’alliance PTR/MMM/PMSD en train de se negocier depuis des mois. À quel stade en est-on rendu ?

— Je comprends que les négociations progressent, mais je sais surtout que le gouvernement a peur de cette alliance et essaye de tout faire pour qu’elle ne se concrétise pas. Ce qui explique ses réactions et ses attaques contre les leaders des partis de l’opposution, et surtout Navin Ramgoolam. Il sait que quand cette alliance sera concrétisée, les donnes politiques vont changer.

Une toute dernière question d’actualité. Que pensez -vous de la controverse autour de la projection à Maurice du film The Kerala Story ?

— Le jugement rendu la semaine dernière par M. Dhanajay Y. Chandrachud, le Chef Juge de l’Inde, sur le film que vous citez, est facilement accessible sur l’internet. Je l’ai lu et encourage tout le monde à en faire de même, car ce jugement est dans l’intérêt de toutes les parties concernées.

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