Momopartou, pro du marketing d’influence : « La politique fait déjà appel aux influenceurs »

Dans certains pays occidentaux, l’enseignement du marketing digital a embarqué un nouveau module : l’influencing, tant cette activité connaît un succès fou auprès des jeunes. Les influenceurs/ses sont partout sur les réseaux sociaux et sont devenus les références d’un public bien spécifique : les moins de 30 ans.
Alors qu’en France, en Belgique et ailleurs, l’influencing a fini par devenir un vrai métier, avec des réglementations en cours, à Maurice, l’activité d’influenceur/e a pris de l’essor, sans aucun cadre pour sa reconnaissance ou de rempart contre les dérives en tous genres, y compris l’utilisation d’enfants pour faire valoir les marques promues par maman influenceuse.
Devenus eux-mêmes produits de marketing des influenceurs locaux sollicités pour leur notoriété due à leurs talents artistiques ou le nombre de followers, connaissent aujourd’hui l’effet kleenex.
Trop vus dans des campagnes de marketing, ils n’intéresseraient plus les marques malgré leur popularité. Jean-Maurice Valery, lui, n’a pas ce souci à se faire. Son nom ne résonne peut-être pas pour beaucoup. Mais presque aucun event ne se fait sans lui, ou plutôt sans Momopartou. À 36 ans et plus de 20 000 followers sur son compte d’Instagram, il n’a pas le profil type de l’influenceur imberbe, amoureux de son image. Momopartou a l’âge de faire du business et il a flairé le bon filon.
Cet ancien élève du collège St-Esprit et enseignant du secondaire d’État, qui adore les soirées, a fini par devenir un influenceur de par son mode de vie. Mais ce n’est pas cela son activité principale, il  ne crée pas de contenu. Momopartou repère des influenceurs/es potentiels qu’il encadre et propulse. C’est avec lui qu’on fait le point sur un nouveau métier, dont le pratiquants, dit-il, pourraient intéresser les politiques pour la prochaine campagne électorale.

Pour ceux qui ne le savent pas encore, pouvez-vous expliquer ce qu’est un/e influenceur/se ?

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Au niveau international, c’est une personne qui utilise ses réseaux sociaux à des fins promotionnelles, commerciales, pour influencer la décision d’achat des consommateurs. À Maurice, on définit et on limite un/e influenceur/se comme étant un créateur ou une créatrice de contenu. Mais ma définition est comme suit : cette personne est payée pour créer du contenu, certes, mais lequel doit être destiné à une marque spécifique et booster la vente du produit ciblé. Une compagnie qui investit dans un/e influenceur/se, rien que pour la création de contenu, passe à côté de son objectif. Si une compagnie paye les services d’un/e influenceur/se, il  faut qu’il y ait un retour sur son investissement. D’ailleurs, Instagram a bien compris l’ampleur de la stratégie d’influence. Ce réseau social offre, désormais, l’option Paid Partnership, ce qui veut dire que le contenu d’un post a été payé par une marque.

L’influencing est un vrai métier ?

Oui, mais davantage à l’étranger qu’à Maurice. Ici, nous sommes très en retard sur la professionnalisation de cette activité. Ailleurs, l’audience des jeunes influenceurs est en train d’exploser. À Maurice, ce n’est que très récemment que les influenceurs ont commencé à prendre de l’essor. Ils ont eu peu de temps, soit pendant la période du Covid-19, pour se faire connaître et s’installer dans le paysage du marketing et de la communication. De l’autre côté, les compagnies ne se sont pas mises au diapason afin de travailler dans des paramètres structurés avec les influenceurs. C’est un métier, certes, mais si l’employeur ne peut donner les cadres et informations nécessaires aux influenceurs, ceux-ci ne pourront jamais pratiquer dans des conditions appropriées.

À un moment, les influenceurs doivent se professionnaliser et, de leur côté, les entreprises doivent savoir comment travailler avec ces derniers, sinon ce partenariat n’aboutira pas à la finalité visée. Pendant les deux confinements, quand les marques se sont tournées vers les influenceurs pour palier leur stratégie de communication paralysée, elles ne savaient pas alors comment travailler et « utiliser » l’influencing. Dès qu’un influenceur sait créer du contenu, on a recours à lui pour faire la promotion de maquillage, planter des légumes, présenter des recettes, montrer comment s’occuper d’un enfant… Et à la fin, l’influenceur devenu trop présent n’intéresse plus les marques! Alors que ce sont celles-ci, n’ayant pas su comment s’adapter à la tendance de l’influencing, qui ont fini par créer cette saturation! Elles ont sur-utilisé ou mal-utilisé les influenceurs et même provoqué le burn-out chez certains.

Et comment devient-on influenceur à Maurice ?

C’est plutôt particulier! La plupart du temps, un influenceur est au départ un internaute qui a été repéré par le département marketing d’une marque parce qu’il a un nombre important de followers. Ce qui ne devrait pas se passer comme cela. Les marques devraient commencer par donner une identité à leur produit avant de trouver la personne ou l’influenceur qui serait apte à incarner cette même identité. Aujourd’hui, parce que quelqu’un fait de l’humour, c’est lui qui sera approché pour parler des prestations d’une assurance. Or, j’aurais préféré recevoir ces conseils de quelqu’un qui a le charisme pour représenter ce type de service. C’est une raison pour laquelle je dirais que n’importe qui peut devenir influenceur. Et on a fini par voir n’importe quoi sur les réseaux sociaux.

À vous écouter, les communicants et leurs clients devraient revoir leur stratégie dans leur choix des influenceurs ?

J’ai participé à un récent sondage sur les influenceurs à Maurice. Nous approchons la fin de l’année financière et tout porte à croire que dans certains bureaux, on se questionne sur le rôle, le choix, etc. des influenceurs. Les marques ont besoin de ceux-ci! De nos jours, si une marque n’est plus sur les réseaux sociaux, elles disparaîtra tout simplement. Mais les agences et marques doivent revoir et consolider leur collaboration avec les influenceurs afin de travailler efficacement. Le marketing doit être en mesure d’analyser la popularité d’un influenceur et générer ses statistiques. Cela n’est pas encore entré dans les pratiques des départements de marketing des marques. Par ailleurs, l’engagement d’un influenceur dans une campagne promotionnelle implique aussi sa crédibilité et ses responsabilités. C’est lui ou elle qui prendra les critiques, voire des insultes, des consommateurs/ internautes, si le produit se révèle décevant. Ils lui reprocheront de les avoir induits en erreur.

Les mêmes influenceurs sont présents dans plusieurs campagnes à la fois, rendant celles-ci monotones. Ne faudrait-il pas introduire un code d’éthique pour réglementer le métier ?

Certainement, la question fait actuellement débat en France! D’où aussi l’importance des contrats qui libèrent  les influenceurs au bout de six mois pour leur permettre de travailler avec différentes marques. Un influenceur ne peut être partout à la fois, chez ses clients et leurs concurrents en même temps! Il ne peut être vegan dans la vie et se proposer pour poser devant un steak. Une influenceuse qui étale ses déboires amoureux sur les réseaux sociaux se fait du tort! D’autre part, les contrats servent aussi à protéger les influenceurs et leur garantir du travail. À ce sujet, le dark marketing est ce qui rapporte le mieux pour un influenceur. Mais comme la publicité pour les marques d’alcool est interdite, j’ai inclu une clause relative au mode de vie dans le contrat des influenceurs qui travaillent avec moi. Nous ne faisons pas de la publicité pour les boissons alcoolisées, mais nous sommes présents dans les événements de promotion, etc. Ce contrat a été élaboré avec l’aide de conseillers légaux. Pour ma part les sorties et soirées ont toujours fait partie de mon mode de vie, donc, je n’ai même pas besoin de me forcer à assister à un événement. La question d’un code d’éthique doit aborder la participation et l’utilisation de l’enfant dans le marketing d’influence, surtout quand celui-ci n’a rien à faire avec une marque. L’enfant est clairement utilisé pour susciter de l’émotion et diriger les cibles vers le produit. Je rappelle qu’à Maurice, les enfants n’ont pas le droit de travailler! En somme, il y a des limites à ne pas franchir, notamment quand il s’agit de sa vie privée. Il y a une réelle nécessité d’implémenter une structure pour réglementer le métier des influenceurs.

Vous évoquiez plus haut la sur-utilisation des influenceurs mauriciens. Peut-on parler ici d’un effet kleenex et quid de l’impact psychologique sur ces influenceurs habitués, sinon addict à la popularité ?

Oui, c’est ce qui se passe clairement quand des marques ne veulent plus travailler avec eux. Ils s’en rendent compte quand ils voient des événements, auxquels ils n’ont pas été conviés, sur des réseaux sociaux. Certains influenceurs qui sont hors-circuit vivent très mal de n’être plus sur les réseaux sociaux. Mais avant de parler de rejet, il faut s’arrêter sur l’effet burn-out qui est une conséquence de la notoriété à laquelle n’échappent pas certains influenceurs très connus, constamment sollicités par des marques, qui doivent assumer leurs contenus et qui sont suivis de très près par leurs followers. Il n’y a pas que leurs conseils et leur vie qui intéressent les followers, mais aussi leur chute. Il y a un public qui se délecte des faux pas des influenceurs. Et ça, c’est malsain. D’autres influenceurs dépriment à la moindre critique négative ou insulte par un faux profil, alors qu’ils sont soutenus par  plusieurs milliers de followers. Cette réaction s’explique par le jeune âge de ces influenceurs. Dans ce monde, un influenceur au top n’a pas plus de 25 ans. Et leur état d’esprit dépend des statistiques de leurs réseaux sociaux. Quand les chiffres sont en baisse, leur moral flanche. Ces jeunes ne sont pas encadrés pour affronter l’autre face de l’influencing. Ils n’ont pas assez de vécu et de recul pour cela. De plus, c’est un milieu relativement neuf où ils n’ont pas de role model mûr comme référence. Pour en revenir à l’effet kleenex, la plupart – ils n’étaient pas nombreux – qui étaient influenceurs au début, de grosses pointures, ont vite réalisé qu’arrivé au sommet de leur notoriété, il fallait passer à autre chose. Ils se sont reconvertis et aujourd’hui, ce sont eux qui font des campagnes d’influence. D’ailleurs, beaucoup ne faisaient pas que de l’influencing. Ainsi, lorsqu’ils n’ont plus décroché de contrats, ils n’ont perdu qu’un peu de beurre dans les épinards!

Est-ce qu’à Maurice, ce métier rapporte de l’argent à l’influenceur ?

Comme il n’y a pas de campagne de longue durée, il n’y a pas de revenu fixe, mais ponctuel. Une vingtaine d’influenceurs peuvent terminer un mois avec Rs 50,000, mais finir les autres à venir avec zéro sou en poche. C’est pour cette raison que j’encourage les influenceurs à s’engager dans des campagnes à long terme en échelonnant la rétribution de leurs services sur plusieurs mois.

Et vous, est-ce que vous vivez de l’influencing ?

Mon revenu principal, je le génère en étant responsable de campagnes d’influence. Je crée également des rapports post campagne et des stratégies de contenu. J’ai des compétences, dont un diplôme en art culinaire, qui me permettent de comprendre le comportement des consommateurs. Je détiens un Bachelor en éducation avec les mathématiques en spécialisation. Donc, je maîtrise les statistiques. Ce qui fait que je suis en mesure d’établir un plan de travail en évaluant des données chiffrées les plus pertinentes pour, ensuite, extrapoler sur une campagne. Je suis dans la stratégie et à la fois sur le terrain. Je suis le seul dans le domaine de l’influence à travailler de manière méthodique.

Mais encore, de la nourriture au maquillage et aux vêtements, en passant par l’électroménager et autres, on a l’impression que les influenceurs n’ont pas à ouvrir leur porte-feuille pour remplir leur placard! C’est le cas?

Cela aurait pu être le cas à Maurice. C’est presque mon cas. Je n’achète pas grand chose, à part l’essence. Ça, c’est compliqué! Je reçois toujours le produit pour lequel j’ai contribué à booster la vente. Et il en est de même pour la plupart des influenceurs.

Vous l’assumez ?

Oui.

Est-ce que la politique s’intéresse aux influenceurs ?

La politique fait déjà appel aux influenceurs. C’est un des plus grands influenceurs qui gère la page d’un important parti politique. Ils ont compris qu’avec lui, ils s’assuraient d’une visibilité non négligeable auprès des jeunes sur les réseaux sociaux. Mais depuis, l’influenceur lui-même est moins actif en ligne. Lors des dernières élections, il y a quatre ans, un groupe d’influenceurs très connus avait été approché pour booster des photos et parler des politiques. Je suis persuadé que pour la prochaine campagne électorale, les influenceurs seront appelés à vanter les mérites des partis d’une manière ou d’une autre. Tous les politiques qui sont sur les réseaux sociaux et animateurs de video live ont compris la stratégie pour attirer l’attention des jeunes. À ne pas oublier qu’aux élections, la majorité des abstentionnistes sont des jeunes.

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