Patrick Assirvaden : « Le Mauricien a une fausse idée du fonctionnement de la justice »

Notre invité de ce dimanche est Patrick Assirvaden, le président du Parti Travailliste. Dans l’interview réalisée jeudi matin, il revient sur les sujets d’actualité politique : la contestation au sein du PTr ; les discussions entre le PTr, le MMM et le PMSD pour une alliance ; les exclus de cette alliance ; les tactiques du MSM pour tenter de discréditer le leader du PTr et ; bien évidemment, l’affaire Franklin.

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À quelques jours du 87e anniversaire du PTr, est-il exact de dire que le parti que vous présidez se trouve dans une période compliquée avec un leader qui risque d’être renvoyé en cour pour l’affaire des coffres-forts et une contestation ouverte de son leadership par des membres de son instance dirigeante ?

— Tout d’abord, je vous rappelle que le Dr Ramgoolam a été acquitté dans l’affaire des coffres-forts, mais que le DPP a fait appel et que le Dr Ramgoolam a encore d’autres possibilités pour aller devant le Privy Council. Tout cela a été fait pour atteindre le Dr Ramgoolam, qui est un danger pour le MSM, le pouvoir en place. Les personnes qui critiquent le parti l’ont fait dans la presse alors qu’elles sont membres des instances où elles auraient dû se faire entendre. Prenons le cas de Satish Faugoo, il est non seulement membre du BP, mais il représente aussi le Dr Ramgoolam dans le litige que ce dernier a avec le PMO et il est aussi mon avocat dans une affaire contre un député MSM. Varma, lui, est membre de l’exécutif du PTr. Mais tout le monde sait le pourquoi de cette sortie médiatique contre le PTr !

Quel est donc justement ce pourquoi, juste une question de ticket comme l’affirme le nouveau jeune responsable rouge des communications ?

— À la fin du jour, c’est exactement ça. Tout le monde à Maurice réclame des nouveaux et du sang neuf au sein du PTr, et quand on écoute, cela provoque des cris. Ce n’est pas la première fois que Varma est mécontent : il a quitté le parti une fois, puis a demandé à revenir, est entré dans l’exécutif, a voté pour que Navin Ramgoolam continue à être leader du PTr et puis il recommence son cinéma. Le Dr Ramgoolam nomme un nouveau responsable des communications et Satish Faugoo s’est senti offusqué, parce qu’il craint de ne pas avoir de ticket…

Il a pourtant publiquement dit qu’il n’était pas candidat à un ticket…

— Au départ, personne ne veut de ticket, ils sont tous humbles, mais après ils l’exigent, ce ticket. Nous sommes habitués à ces petits jeux au PTr. Je suis sûr que si le Dr Ramgoolam déclare publiquement que Faugoo et Varma auront des tickets, tout va immédiatement rentrer dans l’ordre.

Le comité disciplinaire qui va juger Faugoo et Varma a-t-il été constitué et quand va-t-il siéger ?

— Le BP en a approuvé le principe et nous sommes en train de constituer le comité qui, je l’espère, va pouvoir siéger dans quelques semaines.

l Est-ce que, quelque part, Yatin Varma et Satish Faugoo n’ont pas raison quand ils dénoncent la lenteur du fonctionnement des instances du PTr ?

— Je pense qu’il y a, derrière ces dénonciations, une stratégie de Pravind Jugnauth qui a rencontré ces deux membres du PTr. Ces derniers sont allés chez un député du MSM, qui habite Floréal, pour les inviter à marcher avec le MSM et leur ont même proposé de le faire parler à Pravind Jugnauth au téléphone.

Mais si le PTr peut prouver ce que vous venez d’avancer, il serait plus logique de parler d’expulsion pour trahison que de comité disciplinaire, non ?

— C’est ce qu’ils voudraient dans le cadre de la stratégie du MSM qui a peur de la dynamique que l’alliance PTr-MMM-PMSD est en train de créer dans le pays. Le MSM sait que, valeur du jour, le seul challenger valable à Pravind Jugnauth est Navin Ramgoolam, avec ses faiblesses et ses erreurs du passé. C’est pour essayer de ronger de l’intérieur le PTr que le MSM a mis au point cette stratégie exécutée par des Judas.

Nous allons revenir sur ce terme. Parmi les membres du PTr qui sont censés avoir koz-koze avec le MSM, le nom de votre colistier au Numéro 15, Cader Sayed Hossen, a été mentionné…

— À l’heure où nous parlons, je n’ai rien qui puisse me permettre de dire si les rumeurs que vous rapportez sont vraies. Mais je n’ai pas posé la question à Cader Sayed Hossen.

Pardon ! Le président du PTr entend dire qu’un des députés du parti, qui est son colistier, serait en train de koz-koze avec le MSM et il ne lui pose pas de question ?!

— Je n’ai pas entendu cette rumeur.

Je vais vous envoyer le nom d’un produit pour vous nettoyer les oreilles ! Changeons de sujet : je suis étonné — et je ne suis pas le seul — que deux ans après que Navin Ramgoolam soit allé se faire soigner en Inde, le prêt bancaire, garanti par le gouvernement, pour financer ce voyage n’a pas encore été remboursé…

— Nous sommes totalement disposés à rembourser, mais le retard vient du fait que nous refusons de payer la commission qu’on nous réclame sur les frais médicaux du Dr Ramgoolam. Il y a un litige sur cette question, des discussions sont en cours avec le PMO. Par ailleurs, permettez-moi de rappeler que j’ai entré un case en cour pour réclamer la levée du blocage du compte bancaire du PTr par la FIU, compte qui sert pour les dépenses du parti et les aides que nous pouvons apporter à nos membres en cas de besoin. Et cela depuis des mois. Je souligne que ce compte est bloqué depuis des années.

Parlons d’alliance. Il semblerait que les koz-koze entre les leaders du PTr, du MMM et du PMSD ont repris. Dans le cadre de cette alliance de l’opposition à venir, le RM de Nando Bodha, le RP de Roshi Bhadain et les autres partis de l’opposition parlementaires ou pas, sont-ils exclus d’office ?

— Le PTr n’est pas là pour exclure, mais pour rassembler. La priorité est de tirer le pays des mains de Pravind Jugnauth. Dans cet esprit, le PTr a rencontré Rezistans ek Alternativ, ainsi qu’Ivan Bibi et le syndicaliste Narendranath Goopee. Nous sommes là pour ratisser large, mais il y a des choses qui sont faisables et des déclarations qui sont inacceptables. Je vous rappelle que le PTr, le MMM et le PMSD ont déjà conclu un accord pour les municipales, si le gouvernement finit par les accorder…

Bodha, Bhadain et les autres sont-ils aussi exclus de cet accord pour les municipales ?

— Si les autres partis pensent qu’il faut inclure d’autres partenaires, ça ne dérange pas le PTr. L’enjeu est d’empêcher Pravind Jugnauth de détruire le pays et ses institutions. Faut-il vous rappeler qu’aujourd’hui à Maurice une personne condamnée par la Cour suprême à 12 mois de prison pour détournement de Rs 3 millions a vu sa sentence commuée en une amende de Rs 100 000 ! On dirait que la Cour suprême n’a plus de valeur puisque la commission de pourvoi en grâce peut casser un de ses jugements ! Fait-il vous rappeler l’ampleur du cover-up sur l’affaire Franklin.

Les députés et les candidats travaillistes du Numéro 14 pouvaient-ils ignorer l’existence de Franklin ?

— Tout le monde a entendu parler de Franklin et des “activités” dans l’ouest, sauf les autorités concernées ! D’autre part, je souligne que selon la FIU et l’ICAC, ils surveillent Franklin depuis 2016. Or, le PTr n’est plus au pouvoir depuis 2014. C’est après nous que Franklin a pu développer ses “activités” sans que la demande d’extradition de La Réunion ne soit acceptée et sans que l’ICAC, la FIU, l’ADSU et la Special Striking Team n’interviennent. Il faut bien qu’il y ait eu, quelque part des connexions de très haut niveau, qui ont “protégé” Franklin. C’est pourquoi quand le ministre de la Justice a été obligé de quitter la conférence de presse qu’il avait lui-même convoquée, j’ai écrit à l’ambassadrice de France pour lui demander de clarifier la situation qui est à la fois gênante pour la France et pour Maurice. Par ailleurs, j’ai été très étonné d’entendre le ministre Alan Ganoo faire un serment sur la tête de ses filles pour dire qu’il n’a jamais rien eu de Franklin. Est-ce que nous sommes arrivés à un tel niveau à Maurice que pour avoir de la crédibilité dans une déclaration, un ministre doit jurer sur la tête de ses enfants ?

Pensez-vous que les grandes enquêtes en cours avec arrestations et saisies spectaculaires vont finir par aboutir ?

— Je ne le crois pas. Franklin aurait fait savoir que si on l’extradait à La Réunion, « li pou koze ». Tout ce que l’on voit actuellement est un immense cover-up dont le but est de ne pas extrader Franklin à La Réunion, malgré la demande des autorités de l’île sœur au ministère des Affaires étrangères.

Une demande qui a été reçue au ministère des Affaires étrangères alors que Nando Bodha en était le ministre. C’est ce que soulignent, avec un plaisir non dissimulé, quelques sources travaillistes…

— J’ai entendu dire ça moi aussi.

Ah, bon ?! Vos oreilles n’étaient pas bouchées ? On dirait que vous êtes atteint d’une surdité sélective !

— J’ai entendu ces rumeurs comme tout le monde, mais je n’ai pas l’intention de faire de procès d’intention contre qui que ce soit. Ce qui est important, c’est que l’affaire Franklin révèle qu’en même temps que Pravind Jugnauth déclarait « mo pou kas lerin trafikan ladrog », Franklin développait tranquillement son “business” dans l’ouest, sans être inquiété. Si aujourd’hui le ministre de la Justice n’arrive même pas à donner un semblant de réponse aux questions que posent les journalistes, cela signifie que le pays est en train de pourrir. Et quand le pays se retrouve dans cette situation, nous n’avons pas le temps de nous battre pour un ticket, pour dire que les instances ne se rencontrent pas, que le Dr Ramgoolam a le caractère qu’il a ! La priorité des priorités quand on a un cancer c’est de se donner les moyens d’éradiquer la maladie, pas de se focaliser sur des choses moins importantes

Justement, la priorité ne devrait-elle être de constituer l’alliance de tous les partis de l’opposition que le PTr, le MMM et le PMSD n’arrivent pas à conclure depuis deux ans ? Ce qui, tous les observateurs le répètent, donne le champ libre au gouvernement !

— Je souhaite personnellement qu’avant le 1er mai, quelque chose de concret prenne forme en ce qui concerne l’alliance. Il faut tomber d’accord sur un programme de réformes, sur ce que nous allons faire pour faire les responsables d’aujourd’hui rendre des comptes demain…

Mais pour le moment, il me semble que la priorité des priorités des koz-koze est de déterminer qui sera Premier ministre, pour combien de temps, le nombre de tickets à partager, le nombre de postes dans les instances de l’État à pourvoir…

— Les leaders ne discutent pas que de ça. Il faut du temps pour discuter des reformes à entreprendre dans différents domaines, et je peux vous dire qu’il y a dans les trois partis des personnes qui réfléchissent sur divers sujets importants et font des propositions à leurs leaders qui les discutent ensuite. C’est pour cette raison que de temps à autre, le Dr Ramgoolam a fait des propositions pour tâter le pouls de la population…

En proposant, par exemple, d’envoyer les membres du troisième âge aller se promener à la Réunion !

— Il n’y a pas eu que ça comme proposition, tout de même ! Il a également parlé de hausse de salaire pour tous les frontliners de ce pays. Il a discuté de changements drastiques à apporter pour que ce soit possible, notamment au PRB. Il y a également des réformes à faire dans d’autres secteurs. Dans le cas de la pétition de Cader Sayed Hossen, les demandes de l’Electoral Commissionner vont faire que cette affaire pourrait ne pas être jugée avant les prochaines élections.

Justement, que pensez-vous de la stratégie du commissaire électoral dans ce cas précis ?

— Résumons les faits : nous avons demandé au commissaire électoral et au Returning Officer du N°15 de venir donner des explications sur les erreurs et les ratures sur les documents qu’ils ont signé. Les ratures concernent des dizaines de bulletins, alors que Cader Sayed Hossen a perdu l’élection par seulement 49 votes ! Le juge a accepté notre requête et eux vont au Privy Council ! Il est clair que le commissaire électoral ne veut pas répondre à des questions qui vont engager sa propre crédibilité. En allant au Privy Council, il engage une procédure qui va lui permettre de gagner du temps et qui va faire l’État dépenser quelques millions puisque c’est l’État, c’est-à-dire le contribuable, qui va payer. Nous avons besoin d’une politique de rupture avec les pratiques du passé et qui continuent aujourd’hui. On ne peut pas continuer avec des institutions qui ne fonctionnement pas ou fonctionnent contre les Mauriciens : rappelez-vous ce qui est arrivé au Mauritius Turf Cub ! Je me bats au sein du PTr pour une réforme qui soit une rupture avec les mauvaises pratiques du passé et du présent.

On pourrait vous dire que depuis des années au PTr, on parle de rupture et de réforme sans jamais donner des précisions ou présenter un programme détaillé !

— C’est vrai que nous n’avons pas suffisamment expliqué ce que nous entendons par rupture, en entrant dans les détails. Je crois qu’il faut mettre la tête ensemble pour tirer le pays de là où le MSM l’a mis. Il faut sortir le pays de là en proposant des mesures concrètes. Oui, l’espoir est possible, oui, on peut changer les choses. De toute façon, on n’a pas le choix.

Les deux partenaires du PTr sont-ils d’accord avec ce programme de rupture ?

— Cela fait partie des discussions des réunions en cours. Paul Bérenger a récemment parlé de rupture lui aussi. Ils discutent aussi de la manière de constituer un gouvernement crédible qui va permettre au pays de respirer parce qu’il étouffe de plus en plus. Les partis de l’opposition ont le devoir de se battre contre les accapareurs du MSM qui sont en train de finir le pays. Il y a des choses qui doivent changer, comme le choix de la date des élections. Comme en Grande-Bretagne ou en Inde, la date des élections ne soit pas être décidée par le Premier ministre, selon ses stratégies, mais par une commission qui fixe la date à l’avance. Nous avons affaire à un gouvernement revanchard qui n’hésite pas se servir des institutions contre ses adversaires et même contre la presse qu’il considère comme son ennemi…

Je vous rappelle qu’alors que le PTr était au pouvoir, il était interdit aux ministères et aux corps paraétatiques d’accorder de la publicité gouvernementale à certaines journaux qui étaient, de surcroît, interdits à bord d’Air Mauritius !

— Cela n’a rien de comparable avec ce que l’IBA est en train de faire aux radios privées et à la presse. Il a recommandé une augmentation de salaires des journalistes en sachant que la presse passe par des moments très difficiles. Vous croyez que c’est fait pour protéger la presse ou pour l’étouffer ? Toutes les institutions sont entre les mains du MSM…

Toutes, y compris le judiciaire ?

— Jusqu’à tout récemment je disais que c’était une des exceptions. Mais quand je vois ce qui est en train de se passer, quand je constate que nous ne sommes pas tous sur un pied d’égalité vis-à-vis de la justice, je commence à me poser des questions. Comme beaucoup de Mauriciens.

Revenons à la question des Judas du PTr. Qui sont-ils et qui est leur chef ?

— Tout le monde sait qui a emmené les soi-disant contestataires du PTr chez Pravind Jugnauth. C’est le chef Judas, celui qui avait trahi Navin pour Pravind et qui est aujourd’hui le chef recruteur qui donne, promet, fait chanter et abuse des faiblesses des gens. Ce sont les pratiques du MSM. Ils sont là pour jeter de la boue et salir : c’est l’agenda du MSM que les Judas sont en train d’essayer de mettre en pratique. C’est le seul moyen du MSM pour mettre des bâtons dans la roue de l’alliance qui est en train de se faire. Il a essayé d’introduire un cheval de Troie au sein du PTr pour atteindre Ramgoolam, pour casser la dynamique qui est en train de se mettre en place.

Sans langue de bois, pensez-vous que la population suit votre logique ou votre raisonnement, ou se dit-elle qu’il vaut mieux continuer à avoir affaire à Pravind plutôt que de retrouver Navin, Paul, Xavier et les autres ?

— Je pense qu’il y a un réveil de la population face à la multiplication des affaires et des scandales et la situation économique plus qu’inquiétante du pays avec la hausse des tarifs d’électricité et le refus du gouvernement de baisser les prix de l’essence. Le Mauricien constate chaque jour à quel point le pays est mal géré, à quel point nos ressources sont dilapidées. On a beaucoup parlé des Rs 200 millions des coffres-forts de Navin Ramgoolam. Mais que dire de ces milliards de dettes rayés par certaines banques dirigées par des nominés du MSM ? Demandez-vous pourquoi toute l’artillerie du MSM n’est concentrée que sur une seule personne : le Dr Navin Ramgoolam ? Cet acharnement suffit à démontrer à quel point ils ont peur de lui et de sa capacité à faire l’alliance de l’opposition remporter les prochaines élections. Le danger pour eux c’est que la population se tourne massivement vers l’opposition. Ce qui est en train d’arriver.

Une question personnelle pour terminer : si comme Navin Ramgoolam l’a déclaré il faut que les vieux fassent de la place aux jeunes au PTr, pourriez-vous avoir à céder les postes de président et de député ?

— Au dernier congrès du PTr, j’avais demandé au leader de me remplacer à la présidence. J’ai l’âge que j’ai et la santé qui va avec. De 2014 à aujourd’hui, j’ai été au frontbench et donné tout ce que je pouvais au PTr, au plus pire de son histoire, avec un leader et un parti à terre. Le Dr Ramgoolam m’a demandé de rester et je vais le faire en me battant pour soutenir l’alliance qui est en train de se faire et son programme de réforme bien défini et clair pour tirer le MSM du pouvoir. Mais je tiens à dire que je ne suis pas d’accord de retourner au pouvoir avec le PTr dirigé par Navin Ramgoolam sans une rupture en profondeur ! Il ne s’agit pas de retourner au pouvoir juste pour retrouver le pouvoir et ses avantages.

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