Un État putassier ?

Un État putassier, une catin en robe d’argent

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Qui a des gens pour soulever sa traîne

Mais qui tire derrière elle

Son âme dans la boue

Ces mots sont de Henry David Thoreau, dans La désobéissance civile. À l’origine de cet essai paru en 1849, qui a influencé Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela, entre autres, il y a un événement personnel. En juillet 1846, Thoreau est brièvement emprisonné pour avoir refusé de payer un impôt à l’État américain, ce en signe d’opposition à l’esclavage et à la guerre contre le Mexique. Il s’ensuivra cette réflexion qui fonde le concept de désobéissance civile. Et qui ré-affirme avec force que la politique est l’affaire de tous, et pas seulement des gouvernants.

Si cet ouvrage est daté, s’il fait appel à des termes qui seraient peut-être aujourd’hui formulés autrement, il y a indéniablement beaucoup d’échos à trouver en ce moment en Thoreau.

Ici et là, des gouvernants dits démocratiques s’arrogent des pouvoirs arbitraires, dénigrants, contre lesquels l’individu se révèle impuissant.

On en voit l’exacerbation à Maurice, ces derniers jours, où un Premier ministre s’arroge le droit de vilipender une magistrate pour un jugement qui lui déplaît, sans que s’applique à lui la loi de contempt of Court qui s’applique au commun des citoyens ; où un opposant politique voit ses avoirs saisis aussitôt qu’il déclare sa décision de former une plate-forme ; où la photo d’une artiste est jetée en pâture sous des allégations non voilées dans l’enceinte d’une Assemblée nationale qui garantit la totale impunité à ses lâches accusateurs.

On le voit aussi en France où la population réagit vivement, avec grèves d’éboueurs et manifestations nourries dans les rues, contre la réforme faisant passer l’âge de la retraite de 62 à 64 ans. Dans son ouvrage, Thoreau critique les bases de la prise de décision d’un gouvernement, où ce n’est pas l’idée la plus “juste” qui remporte l’adhésion, mais l’idée de la majorité. Ce qu’il appelle “la tyrannie de la majorité”. Or, même cette notion de majorité est, cette fois, remise en question par l’utilisation d’une procédure, en France le 49.3, qui permet à un gouvernement de faire adopter un texte de loi sans qu’il soit soumis au vote de l’Assemblée nationale. Parce qu’il craint justement de ne pas obtenir la majorité pour faire avaliser sa loi.

Ce qui pose, dès lors, la question de la représentativité démocratique.

Dans une déclaration face aux manifestations à Paris et à travers la France, la semaine dernière, le Président Emmanuel Macron affirmait que “la foule” n’avait “pas de légitimité face au peuple qui s’exprime, souverain, à travers ses élus.” Ce, apparemment en écho à Victor Hugo qui faisait “la distinction entre la foule et le peuple.”

Dans une tribune publiée par Le Monde quelques jours plus tard, Antoine Corre-Basset, enseignant-chercheur en droit public à l’université de Rouen-Normandie, affirmait, lui, que “l’illégitimité de la foule ne fait pas la légitimité du peuple.” Pour lui, “la fiction selon laquelle le peuple souverain s’exprime à travers ses élus ne doit pas être prise au pied de la lettre pour rejeter d’emblée toute expression qui ne passerait pas par la voie parlementaire.”

On considère, en effet, généralement qu’à la différence de la foule, “le peuple trouve un moyen d’expression dans les institutions, et un moyen d’expression d’autant plus important en démocratie que l’on peut prouver que c’est bien la majorité, même lorsqu’elle est par ailleurs silencieuse, qui s’exprime ainsi. Une foule, si importante soit-elle, n’est jamais la majorité. Ce n’est pas un hasard si ceux qui considèrent que la foule constitue elle aussi, par elle-même, une entité juridique l’utilisent avant tout pour justifier la violation des règles constitutionnelles qui les entravent”.

Mais, poursuit-il, “la démocratie représentative n’a jamais pu dépasser la faiblesse très simple décelée par Rousseau : si l’électeur partage les positions de celui pour qui il vote au jour du scrutin, rien ne garantit le maintien de cet accord ensuite ; la délégation du pouvoir législatif fait nécessairement des électeurs les sujets des élus – seul l’artifice de la Nation permet de prétendre que ceux-ci expriment réellement la volonté de ceux-là. Cela n’en fait pas un système failli, mais un système par essence imparfait, et dont l’imperfection doit être assumée. C’est pourquoi certains auteurs ont pu regarder des éléments de démocratie directe, tel le référendum, non comme une atteinte au principe représentatif, mais comme un heureux complément. Il permet, sinon de vérifier l’adéquation de la volonté attribuée au peuple par ses représentants aux volontés effectivement exprimées par les individus (car le référendum aussi a ses failles !), au moins d’amoindrir tant que faire se peut une éventuelle distance qui se serait creusée de l’une aux autres.”

En France, un sondage Cluster 17 pour Le Point révèle que 71% des Français se disent prêts à signer un référendum d’initiative partagée (RIP), outil juridique popularisé lors du mouvement des Gilets jaunes, afin de maintenir l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans.

Reste que le referendum est aussi une possibilité accordée… par le pouvoir en place.

“Nous avons coutume de dire que la masse des hommes n’est pas prête ; mais le progrès est lent car l’élite n’est sensiblement ni meilleure ni plus sage que la foule”, renchérit, de son côté, Thoreau. « Quand à la possibilité d’adopter les modes d’action que l’État a prévus pour remédier au mal, eh bien, je ne sache pas qu’ils existent. Ils prennent trop de temps : la vie d’un homme n’y suffirait pas. J’ai d’autres choses à faire. Je suis né dans ce monde non pas principalement pour en faire un endroit où il fait bon vivre, mais pour y vivre, qu’il soit bon ou mauvais. On ne peut attendre d’un homme qu’il fasse tout ; on peut seulement attendre de lui qu’il fasse quelque chose. Et de ce qu’il ne peut tout faire, il ne résulte pas qu’il doive faire quelque chose de mal.”

Aux États Unis, jeudi 30 mars, l’ex-Président Donald Trump a été officiellement inculpé par la justice de New York. Si c’est la première fois qu’une telle chose survient aux États Unis, c’est aussi la nature de l’interpellation qui retient l’attention. Donald Trump est, en en effet, accusé d’avoir, à la veille de son élection en 2016, versé 130,000 dollars à l’actrice et réalisatrice de films X, Stormy Daniels, pour acheter son silence sur une liaison qu’ils auraient eu en 2006.

Si Donald Trump dénonce là ce qu’il considère comme une “machination et une persécution politique”, eu égard à son annonce qu’il compte se représenter aux élections présidentielles de 2024, il n’a pas fait mystère du fait qu’il ne compte pas se laisser faire. Et certains craignent un recours à une mobilisation de ses partisans les plus acharnés. Ceux, notamment, qui avaient pris d’assaut le Capitole le 6 janvier 2021 pour protester contre sa défaite électorale face à Joe Biden. Un épisode extrêmement violent, dans lequel la responsabilité de Donald Trump, alors encore Président en exercice, a été établie en décembre dernier par la commission d’enquête parlementaire instituée à ce sujet.

“Quelle force une foule peut-elle posséder ?”, interroge encore Thoreau.

Une force imprévisible, est-on tenté de dire.

Ce qui amène immanquablement à s’interroger sur ces pouvoirs qui s’évertuent à saper la valeur de la représentativité populaire, faisant ainsi monter le risque de jeter la foule à la rue.

Février 1999 à Maurice, ses séquelles sont encore là…

SHENAZ PATEL

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