Une marche, des partages

“Allons marche, marcher !” C’est toujours bien agréable d’aller marche-marcher par là. Tant de possibilités s’offrent à nous : des petits pas sur une plage ou de grands le long d’une promenade, s’évader dans une forêt, marcher d’un pas décidé autour du Trou-aux-Cerfs, ou arpenter les ruelles où les nids de poules et les trottoirs endommagés nous obligent à garder un œil avisé au sol. Une panoplie de possibilités, selon nos envies et nos capacités pour le bonheur de tous.

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Ce sont des moments de détente où nous apprécions être dehors, au contact de la nature et en plein air. Et pour d’autres, ce sont des temps d’activité sportive sérieux où, montre au poignet, ils calculent le nombre de pas faits, les kilomètres parcourus et les calories brûlées.

Mais ici, je ne parle ni de détente ni d’exploit, mais d’une toute autre marche. Celle que de nombreux Mauriciens ont récemment fait avec une démarche particulière. Le pèlerinage du père Laval – puisqu’ il s’agit bien de cela – est spirituel et s’accompagne de quelque chose d’encore plus grand, de plus profond qu’une activité de fin d’après-midi. Les pèlerins ne sont pas là pour admirer les alentours et n’ont aucun record à battre, aucun concurrent, aucun chronomètre en main, et n’ont surtout besoin d’aucun entraînement particulier. Bien qu’ils font le chemin à plusieurs, ils sont face à eux seuls et ne seront applaudis par personne à l’arrivée.

En ce jeudi 8 septembre, nous sommes nombreux à sillonner sagement et joyeusement les rues des villes et villages, qui ne sont pas excessivement éloignés de notre capitale, en direction de Sainte-Croix.

En jean, baskets, casquette et sac à dos, nous commençons le pèlerinage à différents endroits, chacun avec un objectif personnel, chacun avec un désir intime dans le cœur, et chacun avec sa croix à porter. Bref, ici et maintenant, à chacun sa vision et sa mission, et en route, tous, pour la même direction !

Au fil des pas, en file indienne, les confidences se font, les langues se délient, les partages entre inconnus et proches vont bon train. Pas à pas, nous avançons, pendant que d’autres nous rejoignent sur cette route encombrée de voitures, en cette fin d’après-midi où la brise fraîche et légère accompagne le soleil couchant dans un ciel sans nuages. D’accueil en rencontres, de chants en papotages, de sourires en regards, les pas se font de plus en plus lourds au bout de quelques kilomètres, alors que les sacs à dos se vident de leur contenu.

Tant de cœurs sont arrivés lourds en espérant qu’un miracle se produise dans leur vie, tant d’autres ont débarqué, le cœur léger, tout heureux de rencontrer des amis et de faire la connaissance de personnes jusque-là inconnues. De banals cause-causer en discussions profondes, des liens se créent et des échanges se font entendre de part et d’autre, pendant que les voitures passent et que des klaxons alertent sur les dangers de la route.

Le crépuscule se pointe rapidement et la nuit nous plonge dans une obscurité illuminée par les phares, mais pas que ! Les partages entre les uns et les autres réjouissent et éclairent les visages. Les silences intérieurs aussi embrasent puisqu’ils apaisent les tensions et les nœuds de nos vies.

Ludovic, tout rayonnant, se ramène près de moi après une petite course. Il a laissé son groupe et, tout essoufflé, me dit : “ J’ai fait la connaissance d’un jeune en marchant. Il m’a confié des petites choses sur sa vie. Maman, à un moment, j’ai vu le sourire rentrer dans ses yeux.” Puis, il est reparti en courant rejoindre son nouveau copain d’un jour.

Ce descriptif, si simple, clair et rapide, est d’une immense profondeur. Une unique petite phrase lancée comme cela, au détour d’un trottoir, où pèlerins et passants se croisent, me laisse dans une surprenante réflexion. Il est, en effet, possible de voir le sourire « rentrer » dans les yeux de quelqu’un. Dans un regard, de petites lueurs peuvent s’infiltrer jusqu’à faire briller des yeux éteints. Comme cela est bon, beau et… simple, puisqu’il ne faut, bien souvent, pas grand-chose pour être témoin d’une telle merveille.

Chemin faisant, nous croisons de nombreux bons samaritains debout devant des stands de victuailles préparées avec soins : pizzas, sandwich, gâteaux, fruits et boissons se présentent devant nous sur des plateaux bien garnis. Bien que nous “traçons notre route” sans vraiment nous arrêter, c’est avec reconnaissance que nous constatons ces élans de générosité. Aussi minuscule qu’une attention puisse être, aussi grande peut être le bienfait qu’elle apporte. Elle touche puissamment et émerveille profondément et durablement ceux qui prennent le temps d’y porter ne serait-ce qu’un peu d’attention.

Le pèlerinage continue, la route se déploie sous nos pas, le temps des confidences et des secrets laisse la place maintenant à la réflexion et à la motivation pour arriver à bon port, avant que nos pieds ne s’épuisent et que nos jambes ne faiblissent. Bien que toujours gaillards, les jeunes se plaignent de quelques douleurs physiques. Pour les moins jeunes…c’est une autre histoire !

En même temps que la fatigue se fait de plus en plus sentir, nos pensées font des va et vient entre le ciel et la terre. Nos orteils endoloris nous rappellent que nous devons toujours continuer, qu’importe les situations et les obstacles. À quoi bon s’arrêter, alors que nous ne sommes pas arrivés ! Courage et force, c’est la grâce que nous demandons en cette fin de soirée ainsi que pour toutes celles qui suivront.

Plus nous nous approchons du caveau du père Laval, plus les mètres semblent longs, plus je me pose des questions qui n’ont ni réponses ni le besoin d’en avoir. Plus la marche touche à sa fin, plus je me sens libre. Mais une question me revient sans arrêt, alors que j’ai choisi de faire ce pèlerinage, accompagnée de jeunes et d’amies : Qu’est-ce la liberté sans engagement ?

Peu importe comment nous avons été pendant ce temps de marche : à l’écoute, ancrés dans nos réflexions, en prière et recueillement, oreillettes pluggées aux oreilles, ou alors nous avons peut-être été un beau mélange de tout cela, ce qui importe, c’est d’avoir été là, dans cette marche symphonique et spirituelle comm l’est celle de Maha Shivaratree.

Je décide d’écrire ce bout d’histoire vécu avec les uns et les autres en lettres d’or imaginaire. De cette marche de quelques heures, resteront des partages qui fleuriront dans la vie de chacun, en un temps que nous ne connaissons pas.

Les jours ont passé, mais la question mentionnée plus haut me taraude encore. En vérité, je crois fermement que la liberté ne peut s’épanouir vraiment sans engagement.

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