Yatin Varma, membre du CC du PTr : « Le PTr de 2023 est pire que celui de 2019 ! »

Notre invité de ce dimanche est Me Yatin Varma. Dans la première partie de l’interview, il répond à nos questions en tant qu’avocat choqué par l’affaire Dip. Il endosse ensuite son costume de président du Bar Council pour ses vues sur la profession. Pour terminer, c’est en tant que nouveau membre du CC des rouges qu’il livre son analyse – qui fera hurler – sur l’état actuel du PTr.

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Revoyons la chronologie de l’affaire qui scandalise les Mauriciens en ce debut d’année. En 2018, M. Dip, par ailleurs fils de l’actuel Commissaire de police, est condamné à 12 mois de prison pour fraude de Rs 3 millions. Il fait appel, mais la Cour suprême maintient la condamnation le 18 novembre, tout comme elle refuse de l’autoriser à aller contester le jugement devant le Privy Council. Malgré tout ça, la commission de pourvoi en grâce recommande la grâce présidentielle et commue sa peine d’emprisonnement en une amende de Rs 100 000. Le tout est fait en moins d’un mois !
— Le pourvoi en grâce est régulé par une section de la Constitution qui date de 1967. Elle est calquée, comme toutes nos lois, sur la Constitution britannique. La grâce est au départ une prérogative du souverain qui a été transmise après l’indépendance à son représentant, le gouverneur général, puis au Président de la République. La loi prévoit que dans des conditions exceptionnelles, un condamné peut faire appel de sa sentence au Président de la République. Dans cette affaire, le Président de la République n’a pas agi illégalement.

Encore qu’on puisse dire qu’il a agi avec vitesse et précipitation, comme le rubber stamp de la commission de pourvoi en grâce. Exactement comme les députés de la majorité votent toutes les lois et les suspensions des membres de l’opposition !
— Ça c’est un autre débat dans lequel je ne souhaite pas entrer. Mais cela dit, le Président de la République n’est pas obligé d’approuver toutes les recommandations qui lui sont faites. Il doit assumer ses responsabilités.

Qui peut demander la grâce présidentielle ?
— N’importe quelle personne trouvée coupable d’un délit et condamnée par une Cour de justice. En tant qu’avocat, ce qui s’est passé dans l’affaire Dip me dérange profondément et suscite beaucoup de points d’interrogations.
Qu’est-ce qui vous dérange précisément et profondément dans cette affaire ?
— Premièrement, le condamné avait fait une demande pour faire un appel au privy council, demande qui a été rejetée par la Cour suprême où siégeaient la cheffe juge et un autre juge. Ensuite, la condamnation à douze mois de prison a été commuée en une amende, le tout avec une rapidité extraordinaire. J’ai un client qui purge sa peine à la prison de Melrose et qui a écrit à la commission pour demander la grâce il y a plus d’une année. Jusqu’aujourd’hui, il n’a pas reçu ne serait-ce qu’un avis de réception de son courrier de la commission ! Tout cela suscite des interrogations sur cette affaire et le fonctionnement de la commission de pourvoi en grâce. Ailleurs dans le monde, dans des pays qui ont un système judiciaire basé sur celui de l’Angleterre, des réflexions ont eu lieu sur la question du pourvoi en grâce, des amendements ont été apportés au fonctionnement de leurs commissions pour le moderniser et le rendre plus efficace. Il est souligné que la grâce n’est pas un droit, mais un privilège, que les procédures pour en faire la demande doivent être transparentes, à la portée de tous. Il est également souligné que les procédures de la commission, les critères qu’elle prend en considération ainsi que les raisons qui la poussent à recommander la grâce présidentielle doivent être rendus public. À Maurice, la commission fonctionne selon les critères de 1967. Je ne mets pas en doute l’intégrité et les compétences de son président et de ses membres.
Savez-vous que les membres de cette commission sont en général des personnes dont l’affiliation au parti politique au pouvoir est connue ? Cette nomination est plus une récompense pour services politiques rendus que pour des compétences. Donc, un des problèmes de cette commission vient de la désignation de ses membres.
— Je ne dis pas le contraire. Je dis simplement que nous devons avoir des paramètres clairs pour le fonctionnement de la commission. Des paramètres rendus publics puisque plus que jamais aujourd’hui, la société réclame de la transparence dans le fonctionnement de ses institutions. Surtout quand ces institutions sont financées par l’argent public. Je pense que la commission a le devoir d’expliquer à la population les critères qui l’ont amenée à recommander la grâce présidentielle de M. Dip.
Selon une consœur, la commission britannique de pourvoi en grâce n’a recommandé que deux dossiers depuis 1977. À Maurice, la commission est capable de faire plus d’une vingtaine de recommandations au cours d’une seule séance de travail. Elle travaille à la cadence d’une usine qui fonctionne 24/7…
— Raison de plus pour qu’il y ait de la transparence pour expliquer et justifier le fonctionnement de la commission, comme cela se pratique déjà dans d’autres juridictions.
Quelque part, on peut se demander si la commission n’a pas, dans le cas de M. Dip au moins, cassé un jugement de la Cour intermédiaire confirmé par la Cour suprême.
— Je sais que cette question a été posée et je crois même qu’on a parlé de justice parallèle. Cette commission a été établie par la Constitution en 1967: nous devrions avoir une loi cadre pour établir, comme c’est le cas ailleurs et nous en avons parlé, des critères et des procédures à suivre qui permettent d’obtenir la grâce présidentielle. Il faut que son fonctionnement soit transparent, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La commission n’a aucun site, aucun téléphone, aucune adresse mail pour permettre au public de la contacter. La seule infirmation disponible sur le net, c’est le texte de loi instituant la commission en 1967.
Le leader de l’opposition réclame la démission du président et des membres de la commission. Vous partagez son avis ?
— Je pense que le président et les membres de la commission ont le devoir d’informer le public de la nature de leur travail. Je suis pour des explications, pas pour une demande de démission.
Est-ce que légalement on peut faire appel de la recommandation de la commission en faveur de M. Dip ratifiée par le Président de la République ?
— Une personne qui a fait une demande et ne l’a pas obtenue peut demander une judicial review et interpeller la commission. Le bureau du DPP peut également le faire.
Êtes-vous de ceux qui disent que c’est parce le père de M. Dip est Commissaire de police qu’il a obtenu la grâce présidentielle ?
— Étant donné les circonstances de cette affaire et l’opacité qui l’entoure, qui laisse entendre que nous avons une justice à deux vitesses dans ce pays, la question mérite d’être posée.
Abordons la deuxième partie de cette interview, et là, j’interroge plus le président du Bar Council que l’avocat. Est-ce que depuis l’année dernière, les relations entre la police et les hommes de loi se sont améliorées ou dégradées ?
— Je rappelle d’abord qu’il y a beaucoup d’officiers de police compétents qui font leur travail comme il le faut. Malheureusement, il y a d’autres qui pensent que l’avocat est là juste pour empêcher une enquête de se dérouler comme eux le voudraient. Le Bar Council n’a aucune relation avec le Commissaire de Police depuis 2021, tout simplement parce qu’il a été offensé parce que nous lui avons envoyé un brief lui dire les sujets que nous aimerions discuter. Il a refusé de nous rencontrer à cause de ce brief qu’il aurait trouvé offensant ! C’est malheureux, mais cette attitude ne peut que développer de mauvaises relations entre les avocats et la police.
2022 a été marquée par l’histoire extraordinaire de cet individu qui a réussi à se faire passer pour un avocat et participer à des audiences avec un magistrat et des conférences de presse ! Comment c’est possible ?
— Dès que nous avons été informés de cette situation – et d’un autre cas similaire, nous avons porté plainte. Le problème réside dans le nombre grandissant d’avocats – nous sommes plus de mille – et dans le fait que nos recommandations ne sont pas suivies par les autorités. Nous avons demandé que la carte professionnelle de membre du barreau, que nous avons créée, soit institutionnalisée et ait force de loi. Nous attendons une réponse des autorités.
Plus de 1000 avocats, c’est trop pour Maurice ?
— Il faut que ceux qui ont passé des années à étudier le droit puissent travailler. Il est temps de repenser la profession à plusieurs niveaux. Je crois qu’il faut penser à élever les conditions d’entrée à la profession, à les rendre plus strictes, comme c’est le cas pour la médecine. Je crois qu’il est temps que la profession de juge ne soit pas réservée à ceux qui, comme l’exige la loi aujourd’hui, ont fait cinq ans au Parquet. Pourquoi ne pas ouvrir la profession de juge aux autres avocats ? En ce qui concerne le niveau, il faut faire fonctionner le MOU avec l’école internationale de Bordeaux qui nous envoyait des enseignants et des formateurs.
Est-ce que le nombre grandissant d’avocats n’aide pas à augmenter la vitesse de la justice à Maurice, qui est réputée très lente ?
— Je ne suis pas sûr que les nouveaux avocats soient utilisés pour s’occuper des cas anciens. À ce sujet , il faut dire que depuis quelque temps, des procédures ont été mises en pratique pour empêcher les renvois des cas pour des raisons frivoles. Il faudrait maintenant faire en sorte que le délai entre la fin d’une affaire et son jugement soit raccourci. Ce n’est pas encore le cas.
Est-ce que les relations avocats / judiciaire se sont améliorées du fait que le chef juge est une femme, ce dont vous vous félicitiez, lors de sa nomination ?
— Elles auraient pu être meilleures. Des plates-formes de rencontres et d’échanges réguliers pourraient être créés.
Des avocats ont allégué que la Special Striking Team de la police aurait « planté » des preuves chez des suspects, avant de procéder à des descentes de lieux. Votre commentaire.
— Vous n’avez jamais entendu dire qu’il arrive que les sommes saisies soient inférieures à celles découvertes sur le lieu quand elles sont déclarées ? Vous n’avez jamais entendu parler de zamal dont la quantité diminue de 50% entre la saisie et la présentation en Cour ? Ce n’est pas la première fois que le planting est évoqué. Dans le passé, j’avais préconisé que les officiers qui procèdent à des perquisitions soient munis de caméras. Que tout ce qu’ils font, qu’ils disent et tout ce qui est saisi soit filmé. Ce qui faciliterait le travail des officiers et de la Cour, et permettrait de respecter les droits des inculpés de manière irréfutable. Il suffit juste que cette mesure soit introduite dans la loi, ce qui n’a pas encore été fait. Ces mesures permettraient de faire diminuer la méfiance contre les policiers et obligeraient les uns et les autres à prendre leurs responsabilités et à répondre de leurs actions. En ce qui concerne la Special Striking Team, il faut dire que la manière spectaculaire dont elle opère ne donne pas une bonne impression. D’autant plus que récemment, elle a essuyé des revers en Cour quand aux « preuves » qu’elle a présentées. Ces revers ont ajouté à la mauvaise impression dont je vous parlais.
Parlons d’un autre sujet controversé : les charges provisoires qui peuvent permettre à la police de maintenir en prison pour plusieurs années un individu soupçonné de délit…
— Il faut savoir que la charge provisoire n’existe pas dans la loi mauricienne, mais que c’est une pratique courante qui permet à la Cour de contrôler quelqu’un qui est soupçonné d’un délit. Mais cette pratique ne peut exister que pour une période donnée. Ce n’est pas normal que quelqu’un reste en prison pendant des mois sous une charge provisoire. Il faut que la police vienne expliquer et justifier cette détention. Cela fait partie des lois et pratiques qui doivent être revues ou amendées et nous avons soumis des recommandations dans ce sens. La balle est dans le camp du gouvernement.
Je reviens au premier sujet de cette interview. Si Navin Ramgoolam, redevenu votre leader politique, était condamné dans l’affaire des coffres-forts, il pourrait faire appel à la commission de pourvoi en grâce…
— …on dirait que vous êtes en train de passer à une autre phase de l’interview, une phase plus politique.
Vous avez entièrement raison. En février de l’année dernière, vous m’aviez déclaré : « Depuis deux ans, je n’ai ni rejoint un parti politique, ni accepté un poste au gouvernement. Je suis apolitique, je me concentre sur la présidence du Bar Council et ne ferai aucune déclaration politique. » Or, quelques mois après, on vous retrouve sur la liste des membres élus ou cooptés du Comité central du PTr. C’est une drôle de façon d’être apolitique !
— Je suis retourné au PTr sans participer à aucune activité politique du parti…
Je ne comprends pas votre logique. Pourquoi reintégrer un parti politique pour ne pas faire de la… politique ? Pour quelle raison avez-vous reintégré le PTr ? Si ma mémoire est bonne, Navin Ramgoolam ne voulait pas entendre parler de vous.
— Moi aussi je ne voulais pas entendre parler de lui ! Par la suite, une ligne de communication a été établie et à la fin on m’a demandé de reintégrer le parti. Les raisons qu’on m’a avancées m’ont convaincu et j’ai fini par accepter en croyant que le parti avait changé. Le congrès du PTr pendant lequel j’ai réintégré le parti a eu lieu il y a plus de cinq mois. Depuis, j’ai eu le temps de constater que rien n’a changé depuis que j’ai été expulsé en 2020. C’est la même direction, le même copinage et, pour tout résumer en une phrase : le PTr de 2023 est pire que celui de 2019 !
Est-ce que cela veut dire que vous pourriez aujourd’hui réécrire la tribune qui vous a valu d’être expulsé en 2020 et dans laquelle vous réclamiez un changement de leadership ?
— À cent pour cent ! Je pourrais rééecrire cette tribune aujourd’hui sans changer un seul mot. Rien n’a changé depuis 2019 au PTr. Au contraire, tout a empiré ! Un parti politique ne peut pas avoir un exécutif composé de 400 personnes ! Un parti doit avoir un bureau qui fonctionne tous les jours, pas juste pour l’organisation d’un congrès. Il doit avoir une organisation, des activités, un calendrier de travail.
Mais puisque vous êtes dans une instance dirigeante, c’est là que vous devriez dire ce que vous me dites maintenant…
— À condition que ces instances se réunissent, ce qui n’est pas le cas ! Je l’ai dit à plusieurs dirigeants du parti.
Ce n’est pas au leader que vous devriez le dire ?
— Je ne lui ai pas dit de vive voix, mais je lui ai envoyé une lettre dans ce sens.
Avec votre démission, j’imagine…
— Absolument pas. Je n’ai aucune intention de démissionner. J’ai fait ce que n’importe quel membre du parti devrait faire : dire que ce n’est pas possible qu’on continue comme ça. Pour que le PTr revive, il faut faire ce que nous avons fait en 2005 : réorganiser le parti, faire fonctionner le secrétariat et les instances, descendre dans les circonscriptions, être sur le terrain avec trois futurs candidats, pas des dizaines de personnes à qui on a promis le même ticket !
Connaissant le PTr, je veux vous assurer que dans quelqueS jours, les instances se réuniront pour débattre d’une motion de blâme et de votre expulsion…
— J’ai déjà été expulsé une fois… Je n’ai pas reintégré le PTr pour jouer un rôle de figurant, mais pour apporter mon expérience au parti qui a besoin d’urgence d’un nouveau souffle. C’est ce que je suis en train de faire.
Que pensez-vous de cette alliance des partis de l’opposition dont Paul Bérenger a annoncé que le PTr assurerait le leadership – autrement dit, que le poste de PM reviendrait à Navin Ramgoolam ?
— Je pense qu’avant de désigner son leader, ou son Premier ministre, une alliance crédible doit d’abord présenter un programme. Il ne s’agit pas d’un gâteau que les partenaires de l’alliance se partageront, mais d’un programme pour répondre aux besoins et aux attentes de la population. La désignation du futur PM ou du Président ne fait pas partie des priorités de Mauriciens. Ils veulent savoir comment le pays fera face à la crise, comment nourrir sa famille et permettre à ses enfants de faire leurs études, entre autres.
La question suivante est logique : pensez-vous que Navin Ramgaoolam a les capacités pour redevenir Premier ministre ?
— Je pense que deux mandats au poste de Premier ministre sont amplement suffisants et qu’il faut faire de la place pour la relève. Comme on l’a déjà dit, le cimetière est rempli de gens qui se croyaient irremplaçables. Je pense que mon message est clair.
Êtes-vous d’accord avec les observateurs qui disent que la façon de faire des partis de l’opposition ouvre un boulevard à Pravind Jugnauth pour les prochaines élections ?
— Ils ont définitivement raison. Les meilleurs agents politiques de Pravind Jugnauth sont les partis de l’opposition.
Est-ce que vous n’êtes pas en train de dire tout ça parce que vous avez eu une offre digne et sincère du côté du parti du soleil ?
— Ce n’est pas le cas. Je n’ai pas reçu d’offre ni digne ni sincère.
La dernière question nous rameènera au Bar Council. Êtes-vous candidat pour un troisième mandat au poste de Président ?
— Je viens de vous dire que je considère que deux mandats sont amplement suffisants à la tête d’une institution. Non, je ne suis pas candidat, même si beaucoup de collègues m’ont demandé de l’être. J’estime avoir fait du bon travail et je laisse à d’autres le soin de le continuer. Je ne suis pas de ceux qui s’accrochent, car je crois qu’il faut savoir partir. De préférence quand on est en haut.

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