Narendranath Gopee (FCSOU) : « Jugnauth et Sawmynaden doivent step down »

Le président de la Federation of Civil Service and Other Unions (FCSOU), Narendranath Gopee n’affiche pas l’optimisme pour 2021 car l’onde de choc provoqué par la COVID-19 va perdurer, estime-t-il. Analysant la situation dans le pays, il trouve que le Premier ministre, Pravind Jugnauth, n’est pas en train de donner le bon exemple. Pour lui, le chef du gouvernement et le ministre du Commerce, Yogida Sawmynaden, doivent « step down » pour que la justice puisse suivre son cours dans le cadre des affaires, qui ébranlent le pays depuis ces derniers mois.

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Par ailleurs, le syndicaliste se dit outré par le nombre de meurtres répertoriés dans le pays et se demande si une bande organisée ne serait pas à l’œuvre dans l’ombre. La FCSOU, dit-il, fera pression cette année pour la publication du rapport du Pay Research Bureau (PRB) et la nécessité de faire respecter les droits acquis des travailleurs. Il parle aussi du besoin de venir de l’avant avec la Freedom of Information Act, car les fonctionnaires ne doivent pas continuer à être complices d’un système.

Quel regard portez-vous sur l’année écoulée ?

Le pays a connu en 2020 une crise sans précédent marquée par des pertes d’emplois dans le secteur privé. Certes, la Fonction publique a été sans doute le secteur le plus protégé. La COVID-19 n’a pas impacté celui-ci. Il est cependant vrai que le gouvernement a dû œuvrer en catimini pour protéger les travailleurs du secteur privé à travers le COVID-19 Bill. Malheureusement, on a constaté que dans le feu de l’action certains droits acquis des travailleurs ont été enlevés à l’instar de l’Annual leave, qui a été réduit de quinze jours.
Le ministère de la Fonction publique a dû adopter le concept de Work From Home pour certaines catégories de travailleurs. Il y a eu des décisions qui ont été entérinées sans consultation préalable avec les fédérations syndicales. Parmi on compte le non-paiement des heures supplémentaires, le gel dans le recrutement, l’application d’une nouvelle formule pour le paiement du sick leave et de vacation leave.
La fédération a eu quand même une considération spéciale pour les travailleurs du secteur qui ont traversé une année très difficile. Le gouvernement a dû mettre en oeuvre le Redundancy Board en vue de stopper l’hémorragie sur le plan de la perte d’emploi. On a également assisté à l’introduction de la formule leave without pay pour 18 mois. Le pouvoir d’achat de la population s’est aussi appauvri et de nombreuses pertes d’emplois ont été enregistrées chez Air Mauritius et d’autres entreprises. Il est vrai que le gouvernement a introduit le Wage Assistance Scheme mais cela n’a pas été suffisant pour atténuer la douleur des travailleurs.

Comment qualifier donc cette année 2020 ?

Je dirai que c’en est une assez grave car le pays a eu à faire face à l’inattendu. Cette situation s’est aggravée en partie par l’inaction du gouvernement au tout début. Il faut se rappeler que lorsque la COVID-19 a fait son apparition en mars dernier le gouvernement « ti pe tik-tike pour pran desizion ». Il faut rappeler que le ministre des Finances, Renganaden Padayachy avait même enclenché des mesures pour encourager les touristes à venir au pays.
Le contrôle du virus à Maurice n’est pas l’affaire du gouvernement seul. Sans la discipline de la population, nous n’aurions pas pu le contenir. Celui-ci a malheureusement entraîné dans son sillage la misère. Les prix des denrées alimentaires avaient pris l’ascenseur et il y a eu des abus de la part des vendeurs de légumes et des grandes surfaces. On n’oublie pas ces longues queues pour se procurer des produits alimentaires.
L’année 2020 n’a pas été positive pour le pays. Je ne pense pas non plus que 2021 sera meilleure car nous sommes encore sous l’emprise de la COVID-19, surtout lorsqu’on évoque la nouvelle variante du virus qui affecte l’Angleterre et l’Afrique du Sud de même que d’autres pays du monde. On n’a aucune garantie que ce nouveau virus ne sera pas en mesure de se propager avec des risques de résurgence.
Qui plus est, le gouvernement est en train d’inviter les étrangers à venir travailler à Maurice dans le teleworking dans les hôtels. Donc, il faut être très vigilant, car la variante de la Covid-19 est beaucoup plus virulente que l’actuelle.

Quel constat faites-vous sur le plan social ?

L’année 2020 a été désastreuse sur le plan social, que soit en termes de protection de nos côtes et de l’application du law and order. Des scandales autour de l’achat des médicaments et des enquêtes policières bâclées ont marqué cette année. Je note aussi qu’une série de meurtres, parfois intentionnels, a vu le jour. Il semblerait que certains groupes sont en train d’opérer dans le noir avec le seul but de faire disparaître certaines personnes.
Sont-elles victimes de leur intention de dénoncer certaines choses auprès l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) ? On ne sait pas. En tout cas, on a assisté à la mort, dans des circonstances troublantes, d’un Procurement Officer, et d’une fonctionnaire affectée au Prime Minister’s Office. Et jusqu’ici, les explications fournies à la suite des enquêtes ne sont guère convaincantes.
Tous ces cas nous interpellent. On se demande si une mafia n’est pas en train d’opérer dans le pays pour éliminer de potentiels whistle blowers. Le Judicial Enquiry, qui a été mis sur pied, fera la lumière sur certaines zones d’ombre. Il y aura sans doute des révélations très graves car tous les avocats faisant partie du groupe Avengers ont déjà trouvé que la mort de l’ex-agent du MSM de Quartier-Militaire/Moka (No 8), Soopramanien Kistnen, n’était pas un simple cas de suicide. C’est un meurtre maquillé en suicide. Le rapport de cette enquête judiciaire pourrait s’annoncer explosif et grave.
Il ne faut pas oublier que tout ce qui se passe à Maurice actuellement génère des répercussions sur le plan international. Tout le monde est en train de nous suivre, pas uniquement les Mauriciens à l’étranger, mais les étrangers également nous observent. C’est une honte pour le pays car les gens à l’étranger sont en train de voir que nous sommes menés par des dirigeants incompétents. On disait souvent que des fonctionnaires sont des incompétents, maintenant il faut ajouter à cela que des politiciens incompétents ne parviennent pas à diriger le pays comme il le faut.

Quelles pourraient en être les conséquences?

Quel signal sommes-nous en train d’envoyer au monde lorsque des politiciens sont impliqués dans des scandales comme celui de l’épouse du défunt Kistnen? Ce qui se passe actuellement à Maurice est semblable à ce qui se produit dans certains pays africains. En Afrique, nous avons constaté que lorsque certains politiciens sont impliqués dans des social disturbances ‘zot pa step down’. Nous ne sommes pas loin d’un pays comme le Zimbabwe sous l’emprise de Mugabe.
À Maurice, le ministre du Commerce, Yogida Sawmynaden, aurait dû step down après les révélations de l’épouse de Kistnen. On se rappelle que le Premier ministre, Pravind Jugnauth, avait demandé à son Deputy Prime minister, Ivan Collendavelloo, de step down au nom de l’ éthique. Il a même été jusqu’à le révoquer. Si on adopte le même principe, je pense que Pravind Jugnauth aurait dû également step down compte tenu de l’affaire Angus Road.
Si le chef du gouvernement est en train de donner le mauvais exemple, il est tout à fait normal que Yogida Sawmydanen reste à son poste. Cette situation aura des conséquences très graves car elle pèsera lourd dans la balance lors des élections, et dire que ces politiciens ont prêté serment pour servir le pays en toute honnêteté. S’ils avaient pris en considération de ce serment, ils auraient dû step down temporairement dans le cadre d’une enquête devant suivre son cours. Le ministre du Commerce est encore à son poste avec des soupçons de risque sérieux de tampering with evidence. Voilà pourquoi nous avons toujours dit aux fonctionnaires que du moment qu’il y a une charge provisoire à leur encontre, il faut step down. Malheureusement, cette éthique n’est pas en train d’être suivie par les politiciens du gouvernement.
En Inde, un ministre a démissionné à la suite du déraillement d’un train même s’il n’a pas été impliqué. C’est ce qu’on appelle l’éthique. Ici à Maurice, tout semble indiquer que la loi est appliquée à deux vitesses. Nous avons été témoins, d’une part, du cas d’un simple voleur de litchis qui fut arrêté et condamné à la prison le même jour et, d’autre part, on voit des ministres qui réussissent à passer au travers des mailles du filet. Tant que perdure cette situation, je ne vois pas comment Maurice sera retirée de la liste noire de l’Union européenne.

Que pensez-vous des démêlés de l’ancien commissaire de police, Mario Nobin, avec la justice ?

D’abord, je dois dire que l’ancien commissaire de police n’aurait jamais dû accepter de prendre les commandes des prisons car il avait occupé un poste constitutionnel auparavant. Il aurait dû partir à la retraite la tête haute. Je ne peux dire pour l’instant s’il a été impliqué ou pas dans l’octroi du passeport de Mike Brasse. Je pense que c’est à la Cour de tirer cette affaire au clair. Je ne sais pas pourquoi le passeport a été accordé rapidement à Mike Brasse. Je crois que « at the end of the day, justice must prevail and justice must be seen to be done ».

En parlant de la nomination à des postes importants, pensez-vous que les Senior Chief Executives (SCE) font de l’ombre aux secrétaires permanents dans les ministères ?

Je m’interroge des fois sur la contribution des SCE aux ministères. Qu’est-ce qu’ils peuvent apporter de plus qu’un PS à un ministère. La création de ces postes a soulevé pas mal de frustration au sein de la Fonction publique. Nous savons que certains PS ont été forcés à prendre leur retraite car leurs perspectives de promotion ont été bloquées. Au fait, le poste de SCE est tout simplement un moyen de toucher un plus gros salaire et de gros bénéfices. En termes de services, ils n’apportent rien.
Aussi, le poste de Secretary for Public Service doit être revu. Celui-ci avait été créé afin d’établir la liaison entre le poste de SCE et celui du Secrétaire au Cabinet. Et suite à une proposition de la FCSOU à l’ancien ministre de la Fonction publique à l’effet que le SPS n’a pas d’autorité pour donner des instructions aux SCEs, maintenant que les hauts fonctionnaires qui partent à la retraite privilégient ce poste. Il faut aussi savoir qu’un SPS touche des bénéfices juteux.
Au fait, la Fonction publique demande une refonte totale si on veut sa transformation. Au rythme où vont les choses, la Fonction publique restera figée 50 ans plus tard. La transformation ne se fait pas avec des dossiers préparés par les consultants. Au sein de la Fonction publique, malheureusement, des officiers bornés ont déjà leur propre perception de la Fonction publique. Il faudra d’abord un changement drastique de la mentalité des fonctionnaires. Il existe au sein de la Fonction publique quelques hauts fonctionnaires qui prennent des décisions sans consultations avec les petits fonctionnaires. Il convient d’instituer des comités permanents entre les différentes parties prenantes pour discuter de tous les problèmes qui surgissent et en même temps accorder l’ indépendance aux fonctionnaires dans l’intérêt de la Fonction publique. Parfois, les petits fonctionnaires viennent dire que si le travail ne fonctionne pas correctement, c’est parce qu’ils sont en train d’appliquer les directives des hauts fonctionnaires. La Fonction publique doit être interactive entre le management et ses employés, qui sont en contact permanent avec le grand public.

On a une enquête policière sur les fonctionnaires du ministère de la Santé ayant travaillé sur le dossier de l’achat des médicaments. Quel regard portez-vous sur un tel agissement ?

Même si la Prevention of Protection Act prévoit une protection sur les whistleblowers, les fonctionnaires n’ont pas droit à cette protection. C’est pour cette raison que beaucoup de fonctionnaires préfèrent ‘gard bann informasion dan zot vant’ car ils sont régis par l’Official Secrets Act. Ils ne sont pas en mesure de divulguer des informations.
C’est un danger terrible, car les dispositions de l’Official Secrets Act aident en quelque sorte à fermer les yeux sur la corruption. Les fonctionnaires deviennent en quelque sorte complices d’un système. Ils n’ont ainsi d’autre choix que de divulguer certaines informations de façon anonyme. Mais là encore, si on arrive à savoir qui a divulgué des informations aux médias, le gouvernement ne va pas accepter cela. Voilà pourquoi il est important de venir de l’avant avec la Freedom of Information Act. Il s’agit d’une loi qui aidera beaucoup à combattre la corruption. On comprend mieux pourquoi le gouvernement se montre réticent à venir de l’avant avec cette loi de peur qu’une trop grande transparence soit étalée au grand jour. Si le gouvernement n’a rien à cacher, je ne vois pas pourquoi celui-ci ne devrait pas venir de l’avant avec ce projet de loi.

Quelle est la position de la FCSOU sur la Contribution sociale généralisée (CSG) ?

Je pense sincèrement que le gouvernement a induit en erreur la population. Pour moi, la CSG n’est pas un fonds de pension. Le National Pensions Fund est par contre un fonds de pension car les travailleurs du secteur privé y contribuent depuis des années. Ce fonds dispose d’un Investment Committee, qui investit en vue de faire grossir le fonds de pension. La CSG a été créée pour réaliser une promesse électorale pour que la pension universelle se situe à Rs 9 000. La pension de vieillesse est au fait puisée dans Consolidated Fund. La pension, qui se chiffrait à Rs 6 210 avant octobre 2019, est passée à Rs 9 000 et cette différence de quelque Rs 3 000 a été puisée du Consolidated Fund. Cela concerne environ 234 000 retraités.
Pour que la pension ne pèse pas lourd dans la balance, le gouvernement vient de l’avant maintenant avec un fonds contributif. Ainsi, tous les travailleurs touchant moins de Rs 50 000 contribuent 1.5% de son salaire et l’employeur, 3 %. La contribution est de 3 % pour ceux touchant plus de Rs 50 000 et l’employeur y contribue 6 %. C’est l’État qui contribue pour les fonctionnaires à hauteur de 4.4% pour le fonctionnaire et de 9 % comme employeur. Il faut savoir que les fonctionnaires contribuent déjà 6 % pour pension de retraite, cela depuis 2008. Maintenant la CSG a été instituée tout simplement pour top-up la pension de Rs 9 000. Il ne faut pas oublier que le gouvernement a promis d’augmenter la pension de vieillesse à Rs 13 500 d’ici 2024. D’où le gouvernement compte extraire la somme de Rs 4 500 ? Voila pourquoi la CGS a été créée pour top-up la pension de Rs 9 000. La CSG n’est pas un fonds de pension mais un buffer fund. Il s’agit d’une taxe imposée sur tous les travailleurs du secteur privé.
Maintenant, toutes les contributions des travailleurs du secteur privé dans le fonds NPF ont cessé. Là, c’est un gros danger. Les travailleurs contribuaient au fonds NPF pour savoir aussi combien ils toucheront lorsqu’ils partiront à la retraite. Si un travailleur commence à opérer maintenant, il ne va pas contribuer dans le NPF mais au CSG. Donc, lorsqu’il partira à la retraite dans 40 ans par exemple, la NPF n’aura plus de fonds pour payer sa pension de vieillesse. Pour la pension des fonctionnaires, le gouvernement contribue 12% comme employeur pour chaque fonctionnaire. Le dernier y contribue 6 %. Au total, c’est 18% qui sont contribués pour la pension des fonctionnaires. Ce système a toutefois changé à partir de février 2013. Leur contribution est désormais versée au plan de pension de la SICOM qui, à son tour, fait des placements. Là il y a un gros danger. Nous avons eu récemment une réunion avec des responsables de la SICOM pour connaître les dangers de ces placements. Donc, il y a toujours le spectre que les fonctionnaires n’aient pas droit à une pension lorsqu’il part à la retraite s’il y a un crash économique. C’est au fait, une discrimination. Car il y a maintenant deux catégories de fonctionnaires : ceux qui contribuent au Consolidated Fund et ceux qui contribuent au plan de pension de la SICOM.

Quels sont les défis à relever en 2021 pour la fonction publique ?

Le gouvernement doit venir de l’avant d’abord avec la Freedom of Information Act. Nous allons exercer une pression dans ce sens. Aussi, nous allons faire pression pour une transparence accrue dans le recrutement par la Public Service Commission. Notre gros souci, c’est la publication du rapport du Pay Research Bureau. D’après nos informations, le rapport devrait être publié en mars de cette année. Nous savons que le gouvernement garde jalousement la date de l’application du rapport.
Entre temps, nous avons proposé au gouvernement d’abandonner l’idée de mettre en exergue le rapport Errors and Omissions qui parait normalement tout de suite après la publication du rapport. Celui-ci ne sert pas à grand-chose car les fonctionnaires signent les Option forms avant la publication du rapport Errors and Omissions. Selon mes informations, le State Law Office a été consulté au regard de notre proposition, qui est sur le point d’être adoptée. Nous allons aussi accentuer la pression sur le remboursement de nos congés de maladie qui a été gelé en raison de la COVID-19. D’après mes informations, le paiement pourrait avoir lieu en mars de cette année dépendant bien sûr de la situation économique du pays.

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