Les Mauriciens sont, disent-ils, des amis des bêtes, plus particulièrement des chiens, le meilleur ami de l’homme. En dépit de cet amour déclaré, des dizaines de milliers de chiens errent dans l’île, certains évoluant en meutes, provoquant des accidents parfois mortels. Pour diminuer le nombre de chiens errants, la Mauritius Society for Animal Welfare (MSAW), l’organisme chargé de gérer le problème, procède à la capture et à l’euthanasie des stray dogs.
Selon des méthodes que dénoncent les associations de protection des animaux. Depuis plusieurs années, Priscilla et Linley Moothien animateurs de l’ONG 4 Tilapat, mènent la campagne contre la politique du catch and kill et la maltraitance animale à Maurice. Une campagne qui ressemble à un parcours du combattant semé d’embûches.
L’ONG 4 Tilapat est née des inondations de Canal Dayot en mars 2013. Chassés de leurs tanières par les eaux, les chiens errants des environs arrivent sur la plage de Sable Noir à partir du mois d’avril.
Cette arrivée incite trois habitants de l’endroit: Lindley et Priscilla Moothien et Gina Jean-Charles à d’abord les nourrir, puis à construire des chenils temporaires pour les héberger. Mais d’où venaient ces chiens errants ? « De partout. Les Mauriciens sont supposés aimer les animaux, mais ils les aiment quand ils sont petits, mignons et en bonne santé. Quand ils grandissent et tombent malades leurs propriétaires s’en désintéressent et beaucoup s’en débarrassent en allant les jeter dans la nature où ils deviennent les chiens qui errent pour se nourrir. Beaucoup de Mauriciens ne stérilisent pas leurs chiens et se contentent de se débarrasser des chiots en allant les jeter dans les champs et les terrains vagues. Et quand on sait qu’une chienne peut avoir deux portées de six à douze petits par an… ceux qui survivent viennent grossir le rang des chiens errants qui sont estimés à plus de 100 000 à Maurice. »
Effet d’annonce seulement
Au début, le couple Moothien ne pense qu’à s’occuper du petit groupe de chiens échoués sur la plage, puis leur nombre augmentant. Le couple décide de créer l’ONG 4 Tilapat et se penche sur le problème des chiens errants à Maurice. Il découvre que la MSAW, qui est censée gérer le problème, le fait en pratiquant la capture, puis l’euthanasie des stray dogs. « Au cours des dernières années, la MSAW a effectué une campagne massive de catch and kill. Une méthode inhumaine, car pénalisant au final des victimes (les chiens) qui ne sont en AUCUN CAS responsables de leur situation. » Pour 4 Tilapat et les autres ONG engagées dans la protection des animaux, la solution n’est pas la capture et l’euthanasie, mais la stérilisation, la création de centres pour prendre soin des stray dogs, les soigner et les faire adopter. Au mois d’août, les animaux, qui ont dépassé la centaine à Sable Noir, dérangent les voisins, et le couple commence à rechercher un terrain isolé où construire un vrai abri pour les chiens et trouver les moyens financiers pour les nourrir et les soigner. Dans le cadre de cette démarche, qui évolue en une croisade, les Moothien rencontrent Ken Arian, le principal conseiller du Premier ministre. Ce dernier promet de trouver un terrain de l’Etat pour accueillir le chenil/sanctuaire que les Moothien souhaitent faire construire. Les démarches du conseiller semblent avoir abouti, puisque le budget 2017/2018 annonce la mise à disposition de « two plots of land for stray dogs ». Mais comme c’est souvent le cas pour les annonces du budget, celle concernant les chiens errants est resté… une annonce jamais mise en application. Tout comme une somme budgétée pour le même usage ne sera jamais dépensée.
Malgré les obstacles de tous ordres qui se dressent sur le chemin —principalement un désintérêt de leurs interlocuteurs pour la cause canine —, les animateurs de 4 Tilapat continuent leurs démarches pour trouver un terrain. En décembre 2017, le locataire d’un terrain loué à bail à La Brasserie, Curepipe, autorise le couple à en utiliser une partie pour faire construire le sanctuaire. Les Moothien utiliseront leurs propres économies pour défricher, faire construire le fencing et les chenils pour loger leurs pensionnaires. Le centre sera opérationnel en avril 2018 avec une population de plus de deux cents animaux. Pour les nourrir, le couple, aidé de quelques volontaires, va récolter les produits que certaines entreprises spécialisées dans l’alimentation sont sur le point de jeter et ramasser des restes de légumes dans les foires.
Arrêt temporaire de l’euthanasie
Il fait également appel à de généreux, mais discrets donateurs. Tout en faisant fonctionner le centre, ses animateurs se rendent compte que leur action n’est qu’une petite avancée dans le grand problème que sont les chiens errants à Maurice. Ils décident de lancer une communication pour informer les Mauriciens de la situation en démarrant, en septembre 2018, la campagne “Lari napa enn labri”. Pour mieux faire connaître leur démarche, Linley Moothien se présente comme candidat indépendant aux élections de 2019.
Suite à une rencontre avec le Premier ministre, il a été ordonné l’arrêt de l’euthanasie sur les chiens pratiquée par la MSAW. Ce sera en fait un arrêt temporaire de seulement deux semaines, le temps de la campagne électorale. En février 2020, les animateurs de 4 Tilapat vont rencontrer l’épouse du Premier ministre et le ministre de l’Environnement pour les mettre au courant de la situation. Ces rencontres ne feront pas évoluer la situation, puisque la MSAW continue à pratiquer l’euthanasie. En juin, 4 Tilapat envoie une lettre à cet organisme pour lui demander de mettre fin à sa politique de catch and kill en soulignant le texte de loi qui précise qu’elle doit se faire dans le respect de certaines règles « in the interest/welfare of the dog ». N’ayant reçu aucune réponse de la MSAW, 4 Tilapat sert une mise en demeure à l’organisme. Par ailleurs, et toujours dans le but de sensibiliser l’opinion, le président de l’ONG se rend au bureau du ministre de l’Agro-Industrie avec un chien malade dans les bras, ce que n’apprécie pas, mais alors pas du tout, le ministre. En août, réponse de la MSAW, disant qu’elle va continuer à euthanasier les stray dogs puisque, selon son interprétation de la loi, elle ne fait rien d’illégal. En octobre, après la célébration de la Journée internationale des droits des animaux, un responsable de l’Animal Welfare Unit dénonce le traitement infligé aux animaux au centre de MSAW à Port-Louis, et demande que les chiens soient transférés à l’ONG. En guise de réponse: le responsable est transféré, deux jours plus tard.
En janvier de cette année, Linley Moothien jure un affidavit demandant au ministre de l’Agro-Industrie et à la MSAW de s’expliquer sur les cas de maltraitance dénoncés. En février, le ministre et la MSAW refusent de répondre à l’affidavit, puis finissent par le faire par un échange de documents et une audience en Cour est fixée en mars. Le 4 de ce mois, Linley Moothien va faire une déclaration à la police avec des images de maltraitance des chiens au centre de MSAW à Port-Louis déjà diffusées sur les réseaux sociaux. Deux jours plus tard, le ministre fait une descente surprise au centre… accompagné d’une équipe de la MBC ! Suite à cette visite, le centre est fermé. Survient ensuite le deuxième confinement et l’affaire est renvoyée en juin, mais suite à une méprise, les hommes de loi de 4 Tilapat ne se présentent pas en cour et l’affaire est rayée. Ce qui n’empêche pas les animateurs de l’ONG de continuer leurs démarches en écrivant aux ministres du Tourisme, de l’Environnement, de l’Agro-Industrie et aux responsables des différentes agences chargées de la protection des animaux.
Mais les rencontres n’aboutissent pas et les lettres restent sans réponse pendant que des dizaines de milliers de chiens continuent à errer dans les villes et les villages de Maurice, en provoquant parfois des accidents mortels. Comme celui qui a récemment coûté la vie à Alex Nwankpa, un étudiant nigérian heurté par une automobile alors qu’il était poursuivi par des chiens errants, à Réduit.
Combien d’autres morts faudra-t-il pour que les autorités se décident enfin à prendre leurs responsabilités en mettant en pratiques les recommandations préconisées par 4 Tilapat, et toutes les ONG et individus oeuvrant pour la protection des droits des animaux à Maurice ?
Les recommandations de 4 Tilapat
Amendement de l’Animal Welfare Act de 2013 pour sanctionner plus sévèrement les cas de maltraitance et d’abandon des animaux.
Mise en pratique RÉELLE de la section de l’Animal Welfare Act sur l’obligation de stérilisation et de microchipping.
Mise sur place et gestion de sanctuaires pour accueillir les chiens des rues.
Mise en place d’un système d’adoption stricte pour éviter d’éventuels abandons.
Taxer et régulariser le secteur de vente de chiens de race, afin de favoriser l’adoption de “roquets” mauriciens.
Travailler avec tous les stakeholders (public et privé), car la question de la bientraitance animale concerne tout le monde