Dr Vasant Bunwaree : « J’ai peur pour les enfants qui reprennent le chemin de l’école »

Analysant l’évolution du Covid-19 dans le pays, le Dr Vasant Bunwaree dit avoir peur pour les enfants, surtout après l’annonce d’une scolarité Back to Normal à partir du 18 octobre. S’il dit ne pas être contre, il pointe du doigt l’absence d’un plan B et souligne que maintenant que les adultes sont vaccinés, les enfants, sans protection, se retrouvent fragilisés. « Même s’ils reçoivent le vaccin demain, la protection ne sera pas là le 18 octobre. » Tout comme pour les établissements scolaires, le cardiologue juge qu’il ne faudrait pas rouvrir trop brutalement  les frontières et que l’ouverture doit être conditionnelle. Aux autorités, il demande davanatge de transparence en vue de mieux cerner la situation réelle.

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Alors que le pays s’apprête à rouvrir ses frontières dans moins d’un mois, le week-end dernier, le site web RoyLab Stats a classé Maurice premier pays avec le plus fort taux de croissance concernant la contamination par le Covid-19, devant le Bénin, le Vietnam et l’Australie… Comment voyez-vous les choses évoluer ?

Les choses évoluent d’après ce qu’on attendait. J’avais dit qu’il y aurait une flambée bientôt. On est effectivement en plein cœur de cette déflgration.

La flambée est là depuis un bout de temps déjà, sauf que maintenant on recense davantage plus de décès…

Oui, quand je dis flambée, je parle plus de la transmission du virus entre les personnes. Maintenant, on recense beaucoup de décès. Je dois dire qu’il y a eu beaucoup de flou. Je ne peux personnellement pas dire quelle est la réalité de la situation. Ce qu’on sait, c’est qu’il y a des décès en plus.

Comment est-on en train de les comptabiliser ? J’ai l’impression qu’il y a un manque de franchise quelque part. Ce n’est qu’après chaque décès d’un malade positif au Covid-19 qu’on va fouiller pour décider si on dira si c’est dû au Covid-19 ou non. Or, c’est simple, si le décédé était positif, il a pu mourir d’une cause rénale etc., mais il faut dire qu’il était positif au Covid-19. Et, parmi les positifs, donc, dire combien sont morts de cause rénale, cardiaque, hépatite, etc. Ce qu’on sait, c’est que le nombre de décès ne cesse d’augmenter.

Pourquoi justement ?

Il ne faut pas oublier que Maurice est dans la Top List mondiale s’agissant du diabète, de l’hypertension. Le Covid-19 est venu s’y greffer car il s’agit d’un nouveau virus qui se propage dans le monde et continue à tourner en générant des variants. Les chercheurs et les médecins ont les moyens de suivre son évolution et préparer la riposte en conséquence tout en l’ajustant au fil de sa mutation pour avoir de bons résultats. C’est ce qu’on fait dans le monde.

Mais à Maurice, nous avons, je pense, accumulé certaines erreurs, à commencer par les insuffisants rénaux. Sinon, l’an dernier, je flattais un peu la gestion de la crise. Il y a eu deux ou trois petites erreurs. On a permis au personnel navigant de rentrer chez eux alors qu’il y avait un contrôle plus strict à côté avec des Contact Tracings plus appropriés pour les autres. Cela a créé un décalage.

Au même moment presque, il y avait quelques arrivées de l’Inde. Tout cela a créé un bouleversement. Jusqu’à l’heure, on n’a pu dire exactement ce qui a déclenché la deuxième vague. Il y a eu le manque de vigilance à l’intérieur et les arrivées de l’extérieur qui, couplés ensemble, ont donné lieu à la deuxième vague. La vaccination n’était pas avancée encore à l’époque. Quand on parle de vaccination, il faut souligner que ce n’est pas à la date de l’injection, mais trois semaines après la deuxième piqûre que la personne a, non une protection complète, mais commence à avoir une protection.

Votre réaction suite à l’annonce de l’ouverture des écoles à plein-temps à partir du 18 octobre ?

L’ouverture Back to Normal à partir du 18, je ne dis pas non. Mais je dis : faites attention ! J’apprécie qu’on fixe des dates comme Target. On est tous patriotes et on veut travailler ensemble pour faire cela réussir car au bout du compte, ce sont les enfants qui sortent gagnants. Mais, au vu des failles susmentionnées depuis janvier et l’absence de rigueur dans les gestes barrières dans les écoles jusqu’ici, sans dire qu’on a permis aux bus de circuler avec 60 passagers et fenêtres fermées, je serai très prudent quant à ce retour à la normale.

En effet, ce sont les enfants qui sont maintenant menacés. Nous avons atteint environ 60% de vaccinés, soit environ 700 000 – 800 000 personnes. Ce qui n’est pas mauvais. Avant, on dirait que l’immunité collective est pratiquement atteinte. Mais, quand on fait le Breakdown de ce chiffre, les 40% non-vaccinés sont essentiellement les enfants et les jeunes, soit de 0-18 ans !

On prévoit de vacciner les jeunes entre 12-18 ans dans les jours à venir, c’est bien. Mais il faut savoir que même si c’est le vaccin Pfizer qui est utilisé, ce vaccin ne sera efficace que trois mois après la première injection. La seconde injection n’arrivera que deux mois après, et il faudra compter encore trois à quatre semaines pour le début de la protection. À ce moment, les vacances seront déjà là. J’ai l’impression qu’on n’a pas étudié tous les phénomènes autour avant d’annoncer une date même si j’apprécie qu’on ait mis une Target Date.

Que fallait-il faire alors ?

Je peux paraître paradoxal, mais non. Je tire la sonnette d’alarme quant à la nécessité, dans une semaine au plus tard, de venir avec un plan B. À ce moment, on sait qu’une date a été fixée tout en ayant un plan B et tout en assurant une vigilance à l’extrême suivant l’évolution du Covid-19 et en vaccinant les enfants. Ensuite, arrivé début octobre, on évalue à nouveau la situation avant de décider si on continue dans la même direction ou non. Or, là, il n’y a pas de plan B !

Sur le plan de l’éducation, on n’a pas géré comme il le fallait. Beaucoup d’hésitations et les enfants ont payé les pots cassés. Servons-nous des erreurs du passé pour ne pas en créer d’autres. C’est pourquoi je dis qu’il faut un plan B car ce sont les enfants qui, sans protection, seront plus fragiles. Ce sont eux qui seront à l’école en groupe et ce sont eux qui ont plus de difficultés à appliquer les gestes barrières.

Sommes-nous prêts pour la réouverture le 1er octobre alors qu’on figure sur la Top List” du taux de contamination au niveau mondial ?

À Maurice, nous sommes assez bien rodés. Nous sommes déjà passés par là. Maurice est un pays où on surveillait les maladies infectieuses comme la malaria, l’hépatite, etc. avant le Covid-19. Combien de fois les inspecteurs sanitaires ne se sont-ils pas rendus dans les maisons pour faire le suivi une semaine ou deux après un voyage dans un pays suspect ? Cela a toujours donné de très bons résultats. Nous avons les compétences.

En temps général, oui, mais actuellement, tout le système est saturé…

Si on ne connaît pas bien le virus, on risque de faire des erreurs. Ce virus nous donne des leçons tous les jours, générant de nouveaux variants. Même à l’heure actuelle, je ne peux vous dire quel variant est présent à Maurice. Dans deux semaines, peut-être, on viendra nous le dire. Ce n’est pas possible. Il y a des moyens de détecter rapidement les nouveaux variants. Donc, si on a des doutes, il faut faire appel à l’expertise étrangère tout en restant en contact permanent et dire ce qu’on compte faire à partir du moment de l’ouverture.

Je dirais qu’il ne faut pas ouvrir trop brutalement, d’un seul coup. Certes, on a un protocole. Ce ne sera pas une ouverture sans contrôle. Mais il faut bien vérifier les provenances, de quelles zones s’agit-il ? Il faut, 24h-48h avant, vérifier la situation dans le pays où on attend des arrivées. À ce moment-là, avec nos moyens et compétences que je juge suffisants, on pourra parer au pire. Encore faut-il que les passagers soient avisés de protocoles différents, selon leur zone de provenance.

Je crois que ce n’est pas un drame d’ouvrir sauf si avant l’ouverture il y a une flambée ou la découverte d’un variant singulier ou d’un nouveau virus qui vient s’ajouter à celui-là. Donc, tout comme pour les écoles, l’ouverture de nos frontières doit être au conditionnel.

Il y a peu encore, on disait du virus qu’il était faible. Avec le nombre de décès qui va croissant et le cimetière de Bigara étant saturé, tel n’est plus le cas… Il y a forcément un variant mortellement plus sévère, n’est-ce pas ?

Moi, je n’ai jamais dit que le virus était faible. J’ai toujours dit que c’est un virus qui a un potentiel féroce. Mais c’est un virus qu’on connaît bien. Nous savons comment il faut faire pour en sortir victorieux. Mais des personnes refusent la vaccination et c’est là que le bât blesse. Ce virus tue surtout les non-vaccinés et ceux avec des comorbidités. Ces derniers doivent se faire traiter encore plus que normalement pour que leur organisme soit dans la meilleure forme.

Quelles recommandations auriez-vous à l’intention des autorités ?

C’est d’être plus transparent. Je dois fouiller à gauche et à droite pour avoir des informations. On n’arrive pas à situer le vrai problème. On veut comprendre. Il y a des collèges qui ont fermé mais la Santé n’a pas rapporté. On donne un chiffre de contaminés, ensuite on dit que tant de personnes ont été admises. Il faut donner le chiffre total pour les dernières 24h, ensuite on décline selon les asymptomatiques, symptomatiques, etc.

Il faut impérativement être transparent et dire ce qu’on est en train de faire, continuer à sensibiliser l’opinion publique. Le Brainwashing dans des moments pareils n’est pas inutile. Des Mauriciens donnent l’impression qu’ils ne comprennent pas certaines vérités concernant ce virus. Or, il est invisible. Nous sommes en train de parler, peut-être est-il à côté.

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