Veemy était une jeune femme dynamique croquant la vie à pleines dents, en phase ascendante dans son métier. La trentaine bien révolue, elle envisageait de se poser et de faire un enfant. Et puis, au lendemain d’un accident, on lui demande de faire des examens et, à sa grande surprise et détresse, on lui apprend que la « bébête » est dans son sein. En un instant, elle voit le monde s’écrouler avant de relativiser et de se soumettre aux soins avec courage et détermination. Toutefois, pour l’heure, elle a décidé de se fermer au monde suivant les changements opérés en elle puisque, entre autres, ses rêves et ses désirs sont devenus inaccessibles… C’est le tout dernier témoignage de la série que Week-End a proposé dans cette série d’octobre rose 2021 pour sensibiliser sur la lutte de personnes atteintes d’un cancer du sein. Cela ne sonne pas pour autant le glas de la sensibilisation et du dépistage qui doivent se poursuivre chaque jour qui passe…
Je suis Veemy. Une jeune femme d’une quarantaine d’années, autrefois très dynamique. Je dis autrefois, car malgré mon plutôt jeune âge, je n’ai plus d’énergie. Surtout en ce moment. Je suis fatiguée. J’ai mal partout. Tout m’irrite. Je n’ai envie de rien. Ça doit être l’effet des médicaments car, avant, je n’étais pas comme cela. Joyeux boute-en-train, je faisais partie de ces personnes qui aiment faire cinquante choses, découvrir le monde, faire de nouvelles rencontres…. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, les rencontres, je n’ose pas les faire. Je me suis repliée sur moi-même.
Cela fait maintenant deux ans que je ne suis plus la même. Deux ans depuis que la maladie m’a touchée, sans crier gare. Depuis que ma vie a changé. Je passe les détails de l’annonce du cancer par mon chirurgien, l’effet que cela m’a fait, mais surtout le choc que cela a suscité chez mes proches. Cancer du sein, stade 3 ! Du jour au lendemain, j’étais devenue une malade. Ma famille a beaucoup pleuré. Je pense qu’elle a imaginé le pire. Moi, cette nouvelle, une fois le choc passé, je l’ai vite intégrée : j’avais un cancer, il fallait le soigner.
J’avais peur de devenir un fardeau pour mes proches
Lorsque le médecin m’expliquait les procédures pour le traitement à venir, la seule question qui me venait à l’esprit c’est : vais-je mourir ? Quand ? J’avais peur de devenir un fardeau pour mes proches. Une seule fois j’ai pleuré. Le lendemain de l’annonce du médecin. Parce que j’avais peur de faire souffrir les autres avec ma maladie.
Mais très vite, grâce à un ami, j’ai repris le dessus et j’ai entrepris des démarches pour commencer un traitement. Au départ, j’ai voulu l’avis d’un autre oncologue, car le premier que j’ai vu, il était froid, aucune compassion. J’étais un numéro pour lui, parmi d’autres dossiers, des centaines qu’il traite par jour. Donc, je me suis tournée vers un oncologue femme. Pour elle, il fallait que j’enlève mon sein complètement et que je commence une chimiothérapie. Par la suite, elle pensait qu’il fallait aussi que je supprime mon utérus. Comme le traitement différait de celui que me préconisait le premier, j’ai voulu un 3e avis. Sur conseil de mon ami, je me suis rendue à l’étranger.
« J’ai dû abandonner mon rêve d’avoir un enfant »
Là-bas, l’oncologue a pris près de deux heures avec moi. C’était comme dans le cabinet d’un psy. L’oncologue m’a écoutée. Il a tenu à connaître mon histoire et ce que j’attendais. Il m’a surtout expliqué que le cancer n’est pas une fatalité. Les traitements existent, il faut y croire, m’a-t-il dit. Avoir un esprit positif, c’était déjà avoir entamé 50% de la guérison. Le reste, ce serait à la médecine de faire ses preuves. Mais pour lui, je venais avec un bagage positif, donc, très vite, je serai remise. Tout comme le premier oncologue que j’ai vu à Maurice, lui aussi m’a prescrit une radiothérapie, couplée à l’hormonothérapie. Je lui ai fait confiance et pendant deux mois, j’ai effectué ma radiothérapie.
La radiothérapie n’est pas un traitement dur. Du moins, les séances sont très courtes — 10 à 15 minutes quotidiennement pendant deux mois. J’ai eu beaucoup de soutien. Ma famille et plusieurs de mes amis ont toujours été à mes côtés pour m’encourager. À l’hôpital où j’étais — à mes frais je précise, car les assurances à Maurice refusent de prendre en charge les traitements d’un cancer qu’on aurait découvert lors d’une chirurgie —, j’ai été choyée. Le personnel était non seulement très professionnel, mais surtout compatissant. Non pas que j’avais besoin d’un apitoiement sur mon sort, mais c’était apaisant de voir le sourire de ces infirmiers, infirmières qui avaient toujours un bon mot pour tous les patients. Je n’étais pas un numéro, mais Melle Veemy, de l’île Maurice, pays du soleil, pays des vacances, pays de rêve…
Pendant mon traitement de radiothérapie, j’étais loin de ma famille, mais en même temps, je ne me sentais pas seule. Dans ma famille d’accueil, j’ai appris à prier et j’y ai trouvé du réconfort. Du coup, les deux mois de traitement ont été plutôt simples à vivre. Même si quelques jours après avoir aussi commencé mon traitement d’hormonothérapie en parallèle, j’ai commencé à ressentir des douleurs dans tout mon corps. J’avais des nausées aussi. J’en ai toujours d’ailleurs, mais je m’y suis habituée. Par contre, les douleurs osseuses et musculaires sont parfois très pénibles. Mais ce n’est pas le plus dur que mon traitement. L’hormonothérapie est nécessaire pour réguler mes hormones afin que les tumeurs ne reviennent pas. Ce n’est pas à 100% garanti, mais ça aide à ce qu’il paraît. C’est un traitement de cinq ans.
En deux ans, j’ai pris 20 kilos
Au départ, je ne voulais pas le faire. Car outre les effets secondaires, comme les bouffées de chaleur, les nausées, les douleurs osseuses, les difficultés respiratoires… avec l’hormonothérapie, j’ai aussi dû abandonner mon rêve d’avoir un enfant. La décision a été difficile à prendre, mais c’était ça ou prendre le risque que le cancer ne revienne plus vite. Du coup, j’ai accepté. Un peu à l’aveuglette. Mais chaque jour, je repense à mon rêve et je suis tout aussi bouleversée que le jour où j’ai fait ce choix. Ça doit aussi être l’effet des médicaments, car les baisses de moral, j’en ai très souvent. Chaque jour qui passe est un véritable combat intérieur. D’abord avec les effets secondaires du traitement et ensuite avec le regard des autres.
Il faut dire qu’en deux ans, j’ai énormément changé. Renfermée sur moi-même, sans énergie, avec des fois du mal à marcher, ou à faire quoi que ce soit, sans énergie, sans entrain… Je me laisse aller. Je ne me sens plus la même. Je ne me sens plus belle et désirable. En deux ans, j’ai pris 20 kilos. Je ne suis plus Veemy. C’est une autre personne dans ce corps que je traîne. J’ai beau lutter contre la prise de poids qui est un effet secondaire du traitement, mais rien à faire, les kilos s’accumulent. Je dois pourtant continuer ce traitement trois ans encore. Combien de kilos encore à venir ? Souvent, j’ai droit à des remarques désobligeantes. C’est le plus dur à supporter. Quand les gens me disent : comme tu as grossi, ou encore, fais un peu d’exercice, tu deviens trop grosse, j’ai envie de leur mettre mon poing dans la gueule.
J’ai besoin de courage
Mais je me retiens. Je reste silencieuse. Si seulement ils savaient ce que je vis quotidiennement et le combat que je mène pour me lever, pour dormir, pour m’habiller… Ce n’est pas tous les jours faciles. Surtout avec les bouffées de chaleur constantes. De nuit comme de jour. Partout. En plein hiver, alors qu’il fait 13° ! Comment expliquer aux gens que moi j’ai chaud ? La nuit, c’est un cauchemar. Difficile d’avoir une bonne nuit tellement je transpire à grosses gouttes. Et avec ça, cette raideur dans mon mon corps devenu un comme un morceau de bois. Mais tout ça, les gens ne savent pas. Ils me voient, debout, allant travailler et surtout avec un embonpoint et pensent que je vais bien. Oui, je ne suis pas malade. Du moins, je pense avoir vaincu le cancer depuis ces deux ans. Mais à l’intérieur de moi, ce que cela a fait, ce que cela a détruit, personne ne le sait. Aujourd’hui, je ne m’aime pas. Je ne m’aime plus. Mais ça, personne ne le sait. J’ai changé de vie. Ça, personne ne le sait.
Je dois maintenant être en rémission. Je n’ai pas encore vu le médecin pour qu’il fasse un bilan. Faudra y aller, mais en ce moment, j’hésite. Surtout que je ressens à nouveau des points dans mon sein. L’autre sein aussi. J’ai besoin de courage. Pendant ces deux dernières années, je me suis montrée courageuse. Mais là, ça commence à peser. Mais je suis sans doute dans une mauvaise passe. Ça va passer. Je vais y aller. On verra bien.