Jean-Luc Mootoosamy
Petit Papa Noël, quand tu descendras du ciel avec des jouets par milliers, de grâce, change de véhicule à l’approche de ma ville de Beau-Bassin-Rose-Hill (BBRH). Un char de combat chenillé serait plus approprié pour emprunter ce qui reste de voies circulables dans ces villes-sœurs, jadis flamboyantes. Je t’écris ces lignes dans l’urgence, en espérant éviter une immense catastrophe. Car, Petit Papa Noël, les risques sont grands pour ton traineau, outil de travail qui a traversé le temps, qui pourrait être méconnaissable après ton passage. Les risques sont démesurés pour tes fidèles rennes : une bonne partie de tes chers compagnons, terriblement amochés, devront probablement et malheureusement être euthanasiés sur place.
Vois-tu, Petit Papa Noël, les routes de ma ville aux noms d’illustres personnages ne sont plus que des trous. Nous “circulons” sur un bloc de gruyère, présentant des trous de tailles diverses, allant du nid de pigeons à celui d’autruches. Les conducteurs joueurs, avec énormes 4×4, s’y amusent, à toute vitesse, comme lors d’un rallye, provoquant des nuages de poussière et des jets de cailloux, mais — crois-moi —, ce n’est pas le cas pour la majorité.
Alors, je t’imagine, enthousiaste, quittant la route Royale, souriant en voyant le Plaza illuminé, puis commençant à froncer des sourcils sur la rue Ambrose sur ta gauche. Je te vois déjà grogner dès l’entrée de la rue Dr Raoul Félix, crier après 5 mètres, tempêter à l’approche de la rue Raymond Peril, hurler en empruntant la rue Abbé Harel et abandonner au moment de tourner sur la rue Farquhar.
Et je te comprendrais parfaitement si tu lâchais un gros mot (ou plusieurs). Nous l’avons probablement tous fait. Tu peux y aller car personne n’osera te jeter la pierre. Nos suspensions de véhicule entendent chaque jour ce que nous pensons de ceux qui “gèrent” nos routes.
Petit Papa Noël, en prévision de ta venue, j’ai appelé la municipalité pour savoir comment t’éviter ce cauchemar ? Au bout du 413-7600, j’ai obtenu un « Allô oui ? » Je n’avais pas fini ma phrase que cette voix féminine — première porte d’entrée de ma mairie — me coupait la parole avec «enn ti minit ar ou», suivi d’une musique d’ascenseur et d’une proposition pour « depoz enn complainte ». Quelques secondes plus tard, une employée — d’une grande courtoisie — a pris mon appel. Je m’attendais à une discussion compliquée, mais grande a été ma surprise lorsque j’ai constaté qu’elle aussi partageait ma consternation ! Elle m’a expliqué que la Central Water Authority (CWA) — un organisme qui ouvre et ferme les arrivées d’eau à Maurice comme bon lui semble, à l’heure qu’il veut — a effectué des travaux « nécessaires », mais n’a pas bien refermé les routes convenablement. Comme on est à Maurice, c’est le plus fort qui tient le plus faible. Et BBRH ne fait pas le poids face à CWA !
Une lueur d’espoir toutefois : BBRH prend sur elle pour commencer à réparer les routes — les main roads d’abord. Pour les routes secondaires que j’ai mentionnées précédemment, c’est foutu. Si seulement il y avait des municipales avec pluie de cadeaux dont des routes neuves… malheureusement, elles ont été renvoyées pour cause de Covid-19. Mais gardons espoir. Qui sait, il y aura peut-être un miracle pour ton passage. Oui, Petit Papa Noël, un miracle, car c’est la seule chance de voir quelque chose d’utile se manifester ici.