Engagée dans le domaine de l’innovation sociale et polyvalente, Selena Roopnarain a dû revoir son parcours professionnel à la suite de la maladie d’Hashimoto. Opérée de 17 tumeurs à l’abdomen, Selena est une rescapée. Témoignage.
Lauréate de la Confejes en 2013, Selena Roopnarain s’est démarquée par son innovation avec de la poudre de papaye. Bénéficiaire du programme global du Massachusetts Institute of Technology, et cette année d’un programme d’études de l’université de Géorgie dans le leadership d’engagement et l’inclusion sociale, Selena est polyvalente.
Elle a aussi travaillé sur le projet pilote Wavemakers, en collaboration avec l’ambassade des États-Unis, qui consiste à former et accompagner pendant six mois des “changemakers” pour améliorer et promouvoir l’impact social à travers le “Human Centered Design”, l’innovation sociale et les principes de la circularité. Humaniste, elle a dû revoir son parcours professionnel à la suite de sa maladie d’Hashimoto.
L’innovation pour Selena Roopnarain n’est pas linéaire, mais elle s’accompagne de différents processus et d’expérimentations. Selena développe ainsi une poudre de papaye propre à la consommation et à de multiples usages en 2013. L’idée de la papaye pour le concours de la Confejes lui est venue en travaillant sur un programme pour les femmes vulnérables. « J’avais pensé à la sécurité alimentaire à travers des aliments sains transformés. Je suis partie au concours avec des échantillons, et à l’époque les gens ne croyaient pas trop en l’Afrique car aucun Mauricien n’avait jamais été primé dans ce concours. »
En tant que lauréate de la Confejes, elle a eu la chance de travailler pour certains gouvernements de l’Afrique de l’Ouest, notamment avec les ministères de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Culture et des Arts. Elle a aussi été chef de délégation pour les échanges sud-sud et des partenariats de coopération public et privés.
Pendant 12 ans, Selena Roopnarain a travaillé dans différents secteurs tels que la télécommunication, la formation et l’audit de compétences, les ressources humaines, la gestion de projets et le secteur d’échange événementiel médical en France. Elle a été entrepreneuse, comptant 17 employés dans le secteur de l’offshore et du “business process” avec des opérations sur Madagascar et en Europe, a mis en place des “learnings audits” pour des cadres dans une dizaine de domaines ainsi que la programmation de modules en leadership dans plusieurs autres secteurs.
Elle a également travaillé sur des projets d’optimisation communautaire et d’autonomisation des femmes avec la décentralisation de projets de l’Union européenne. Elle a aussi fait du “coaching” d’accompagnement aux États-Unis et avec des professionnels du leadership en Belgique, tout en travaillant sur un plan de programme au Kenya, en Corée du Sud, au Niger, en Afrique du Sud et l’Éthiopie. Elle a été parallèlement mentor et assesseuse de compétences pratiques pour des élèves préparant leurs diplômes australiens en “community services”.
Le déclin
Sa vie prend un virage abrupt en 2014, lorsqu’elle tombe malade. On lui diagnostique plusieurs tumeurs endocrines et à l’abdomen, des métastases osseuses, des conditions thyroïdiennes sévères. Selena raconte que lors d’une visite professionnelle en Afrique de l’Ouest, elle a dû être admise à l’unité des soins intensifs.
Elle rentre à Maurice pour une série de tests dans le privé. Les tests sanguins indiquaient déjà un fort taux d’hypercalcémie mais les médecins avaient préféré ignorer cet état, pensant qu’elle était trop jeune à 28 ans d’avoir quelque chose de grave. Elle mettait tout cela sur le compte d’une grosse fatigue musculaire, alors que ses problèmes n’avaient cesse de s’intensifier.
La jeune femme témoigne : « Certains médecins ont vu une forme de lésion sur certains organes et pensaient que cela était de l’inflammation. Un soir, j’ai réalisé que je n’arrivais plus à lever les jambes. Le matin, je faisais semblant de pouvoir marcher, je refusais d’admettre que cela m’avait mise en situation de handicap. Je me réveillais avec des chutes de cheveux importantes et des migraines intenses. L’IRM n’avait rien trouvé à ce niveau, car les tumeurs ne se trouvaient pas là. Vu que j’étais anémique, un autre médecin pensait que c’était peut-être la thalassémie, mais ce n’était pas le cas. J’étais exténuée avec des palpitations rapides au cœur tout en ayant du mal à ingurgiter des aliments. »
Selena évoque la déprime et le temps passé à se documenter dans des revues médicales. Elle voulait comprendre les symptômes et trouver des remèdes à ses douleurs. Se tournant vers un centre hospitalier des États-Unis pour un diagnostic, elle se heurte au problème de la distance. Suivant le protocole de diagnostic en ligne, Selena se plie aux consignes en effectuant une série de tests sanguins selon les demandes des médecins et en envoyant ses résultats.
Son état continue à s’aggraver faute de soins appropriés. Selena s’accroche et parvient à trouver les coordonnées d’un autre médecin aux États-Unis en lui faisant parvenir les résultats de ses tests sanguins. « Il m’a répondu qu’il confirmait l’urgence de la situation, la présence de tumeurs et qu’il fallait que je sois opérée et traiter tout de suite. »
Opérée de 17 tumeurs à l’abdomen
Sa force, sa détermination et surtout la foi permettent à Selena de rester focalisée sur son désir de vaincre la maladie. Ses parents étant décédés, elle a dû se résoudre à mener seule son combat. Le voyage aux États-Unis pour son opération lui paraissait interminable : il lui fallait passer par Paris, Detroit jusqu’en Floride. Selena est prise de malaise dans l’avion. « Je demandais aux hôtesses des glaçons que je mettais sous mes dents pour essayer de supporter les douleurs. Aux États-Unis, grâce aux avancées et innovations médicales, on a pu m’opérer de quatre glandes endocrines en même temps et on a enlevé deux glandes parathyroïdes qui s’étaient transformées en tumeurs. J’ai dû faire un traitement radioactif avant. Je suis passé de l’hyperthyroïdie à l’hypothyroïdie et le médecin a confirmé la condition Hashimoto. »
L’annonce qu’elle était atteinte de la maladie d’Hashimoto était incompréhensible pour Selena, qui pensait que cela était une maladie liée au Japon. Le médecin lui dit alors que la maladie d’Hashimoto est auto-immune, le système immunitaire attaquant les cellules thyroïdiennes et provoquant une inflammation de la thyroïde. Elle se traduit généralement par une hypothyroïdie.
« Concernant mes os, il m’avait informé que cela prendrait huit années de traitement pour qu’ils se régénèrent et se restaurent. Le médecin était prévoyant car il m’avait déjà prescrit des suppléments pour les os puisqu’il savait qu’après l’opération j’aurais toujours des difficultés de mobilité vu la dégradation osseuse. J’étais comme dans un nouveau corps avec de nouvelles conditions que je ne maîtrisais pas », confie la jeune femme.
Se heurtant à une autre possibilité de se retrouver en fauteuil roulant ou avec des béquilles, Selena récuse cette idée et entreprend des thérapies rééducatives pour marcher normalement, s’essaie à l’aquagym et commence son traitement avec d’autres médecins afin de trouver son dosage de remplacement d’hormones. S’ensuivent aussi de nombreuses thérapies en Afrique du Sud car les médecins craignaient des récidives, ce qui la conduira à se faire enlever 17 tumeurs à l’abdomen.
Diagnostiquées bénignes dans un premier temps, ces tumeurs étaient devenues entre-temps agressives. « Le bilan était sombre et il fallait me faire opérer au plus vite. Le médecin n’en revenait pas de ma décision car je refusais son traitement. Je voulais bien qu’on enlève les tumeurs mais j’ai refusé qu’il m’enlève certains organes. J’ai eu la chance de trouver un autre médecin qui a accepté d’enlever toutes les tumeurs, de replacer mes organes à leur place en les maintenant intacts. »
Stigmatisation au travail
Selena fait état de sa volonté de se battre en 2014, ce qui lui a sauvé la vie. Elle a pensé à feu Valérie Sénèque, alors vivante, qui était en traitement, à son témoignage : les médecins auraient tardé à se prononcer sur son état qui s’était dégradé jusqu’à sa mort. « La seule chose que je n’avais pas perdue, c’était la ferme assurance et la volonté de me battre jusqu’au bout. »
Lorsque Selena s’est sentie mieux un an après, elle a cherché du travail, mais se heurtait à un refus. « C’était perturbant d’entendre les commentaires désobligeants de certains qui pensaient que les personnes atteintes de cancer ne pouvaient plus reprendre une vie professionnelle normale car elles pouvaient mourir à tout moment. C’était une autre forme de stigmatisation dès 2014. Ce qui me faisait perdre confiance dans pas mal de recruteurs locaux. J’ai réalisé avec une amie Rachel, une autre professionnelle qui souffrait de troubles rénaux, que 95% des entreprises à Maurice en 2014 et 2015 n’avaient pas de politique d’insertion et d’inclusion pour employer des professionnels différemment capables. On se heurtait à des cercles fermés, à l’arrogance de certains dans la façon de recruter. »
Elle décide alors de se rendre en Afrique du Sud, continue à suivre des thérapies avancées, de la “trauma release therapy”. « J’ai découvert de nouvelles aventures comme copilote des avions privés et m’essayer à plein d’autres activités qui ont rehaussé mon nouveau style de vie. »
Retour à la vie normale
La dernière chirurgie de Selena remonte en 2020. Aujourd’hui, elle est en rémission. Elle se remet au travail et trouve que Maurice ne figurait pas sur la liste des événements africains du Yali. Comme citoyenne engagée, elle contacte l’ambassade des États-Unis et enregistre le tout premier “Yali serves local”, un programme en leadership pour les femmes.
S’ensuit la Young African Leaders Initiative et elle remet cap sur Johannesburg pour intégrer le Yali Regional Leadership Center à Midrand pour contribuer à l’Innovation Hub à Pretoria. Également finaliste du Mandela Washington Fellow, Selena lance le “Young Africa Initiative Program” quand elle voit de jeunes Mauriciens engagés dans la fintech et la cryptographie quitter l’île pour immigrer en Europe où leurs compétences étaient mieux valorisées. « À force d’encourager des initiatives d’opportunités pour les autres, j’ai aussi développé une appréciation de la fintech au fil du temps. Cette année, j’ai intégré la CVA basée en Suisse. En tant que membre, cela renforce mes convictions que les métiers du futur se préparent dès maintenant. »
Aujourd’hui, Selena Roopnarain soutient une orpheline à Maurice comme mère alternative ainsi que huit orphelins en Éthiopie. « En 2011, j’ai décidé d’utiliser toutes mes économies pour commencer à aider des orphelins. J’ai investi dans des professionnels en Europe et en Afrique du Sud sur certaines missions d’outreach. Et j’ai mis en place des programmes d’actions de soutien pour une vingtaine d’orphelins et d’autres enfants éthiopiens en difficulté. J’ai soutenu des jeunes femmes et des filles en les formant au leadership et à l’entrepreneuriat social dans la lutte contre la pauvreté. »
En cette période de pandémie de Covid-19, Selena soutient certaines familles vulnérables à travers l’initiative Sarepta qui aide à procurer des kits de tests Covid et des équipements sanitaires. Sortie grandie après tout ce qu’elle a vécu, elle dira : « La vie vaut la peine d’être vécue dans toutes ses perspectives, même les plus mystérieuses. Et je la savoure sous différentes formes. Il faut garder un bon sens de l’humour, savoir rebondir et surtout aider là où l’on peut. »