À une quinzaine de semaines de la présentation du budget 2022-23, l’opération Grate Kot Kapav (GKK) initiée du côté de l’Hôtel du gouvernement entre dans sa phase active. Profitant d’une séance de travail du Public/Private Joint Committee sous l’égide de l’Economic Development Board (EDB), vendredi, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a mis en train les préparatifs budgétaires. Aux dires du Grand Argentier, l’objectif est d’appuyer sur l’accélérateur de la croissance pour renverser la vapeur suite aux précédents exercices financiers marqués par l’impact du Covid-19.
L’ambition déclarée est de pouvoir attirer au moins un million de touristes cette année pour booster la relance économique escomptée. Mais force est de constater que l’invasion de l’Ukraine par la Russie se présente comme un obstacle quasi insurmontable sur cette voie, d’autant que le Covid-19 Aftermath est loin d’être géré. Au ministère des Finances, l’on se prépare déjà sur deux fronts, soit les différentes étapes menant au Budget Day au cours de la première quinzaine de juin et aussi surtout affronter les Article IV Consultations du Fonds monétaire international (FMI) du 20 avril au 4 mai. La principale appréhension porte sur le Set Menu appliqué au cours de la semaine écoulée par le FMI au Sri Lanka avec un relèvement des impôts en vigueur et une dévaluation de la monnaie pour contrer les problèmes de la dette publique et le manque à gagner au niveau des recettes publiques.
À ce stade, la stratégie de relance de l’économie est axée sur une reprise de l’industrie touristique à Maurice. Que ce soit le Mauritius — Back-to-Office Report du FMI suite à des consultations préliminaires et virtuelles du 9 au 17 février dernier ou encore les prévisions de Statistics Mauritius, du ministère des Finances et de la Banque de Maurice, la fourchette du taux de croissance variant de 6% à 9% présente un point commun. Toute cette stratégie s’articule sur des arrivées touristiques d’au moins un million contre les 1,4 million du pre-pandemic level.
L’Economic Commission sur l’Export Development (Services) sous l’ombrelle du Public-Private Joint Committee, menée par Gérard Bussier du ministère des Finances et Daniel Essoo de la Mauritius Bankers Association est catégorique au sujet du secteur du tourisme. Maurice se doit de conjuguer son industrie touristique avec un minimum d’un million de visiteurs cette année. D’ailleurs, intervenant lors des délibérations de vendredi, le ministre des Finances, qui est revenu avec le chiffre fétiche d’un million d’arrivées touristiques en une année, n’a pas manqué de souligner en prévision d’un coup d’accélérateur à la croissance que « nous sommes passés de 1,4 million de touristes à 308 000 en 2020 et 176 000 en 2021. »
Ainsi, pour retrouver cette vitesse de croisière dans le tourisme, la commission du duo Bussier-Essoo fait comprendre que « there is need to restore major air access routes and airline seating capacity to pre-Covid level of 2019 in order to at least reach 1 million tourists in 2022 ». Les autres mesures corollaires pour étoffer l’offre touristique de Maurice sont, entre autres,
l une révision du minimum requirement de 100 à 50 visiteurs sous le VAT Refund Scheme
l la mise sur pied d’un Joint Working Group/Events Coordination Committee pour replacer Maurice sur la carte de MICE, la filière des Meetings, Incentives, Conferences and Exhibitions (MICE) avec le déplacement simultané de groupes de visiteurs et
l promouvoir le Brand VisitMauritius sur tous les marchés traditionnels aussi bien qu’émergents et surtout « across all areas that drive destination spend, including higher education, long stays under Premium Visa, business and investment. »
Invasion de l’Ukraine
Sur le papier, la stratégie élaborée paraît sans conteste. Mais sur le terrain, avec la réouverture des frontières à partir du 1er octobre, le tourisme mauricien a dû faire face à un premier contretemps avec le variant Omicron du Covid-19 pour la pointe de décembre. Et aujourd’hui, l’hôtellerie mauricienne voit l’horizon s’assombrir avec les volutes de fumée noire suscitées par les bombardements russes de l’invasion de l’Ukraine.
Sans vouloir jouer les prophètes de malheur, des observateurs économiques avancent qu’un reassessment des prévisions touristiques en tenant en ligne de compte la nouvelle configuration géopolitique en Europe et dans le monde pourrait s’avérer être une police d’assurance pour l’économie de Maurice pour cette année ou encore le prochain exercice financier.
D’ailleurs, dans ses prévisions préliminaires de février dernier, le FMI notait au titre de la croissance que « (IMF) Staff’s preliminary projection for growth is about 7 percent in 2022 though there is significant uncertainty ». En tout cas, la situation qui se détériore de jour en jour en Ukraine est venue se greffer sur ces incertitudes latentes évoquées par le FMI et devant être précisées lors des prochaines Article IV Consultations d’avril.
Pour l’instant, avec la donne Ukraine, le ministre Padayachy s’est contenté d’attirer l’attention sur les risques potentiels au niveau des prix à la consommation et ses répercussions multiformes. Le cours du baril de pétrole ne cesse d’établir de nouvelles pointes et titillant la barre des 120 dollars américains en fin de semaine dernière. Le blé et le maïs ne sont pas restés les bras croisés, se rapprochant de la barre des 400 euros la tonne, alors que la moyenne jusqu’à tout récemment était de 300 euros.
À une question de la presse, vendredi en début de soirée, au sujet des répercussions de la guerre en Ukraine, le ministre des Finances s’est contenté de souligner que « cette situation aura un impact sur les prix, le moral et la confiance, et aussi sur le mouvement des gens et des investisseurs ». C’est déjà tout dire. Tout semble indiquer qu’en marge des préparatifs du prochain budget aux Finances, Lakwizinn du Prime Minister’s Office pourrait recommander à Pravind Jugnauth de mettre sur pied une cellule de crise, comprenant des Senior Ministers et des Senior Advisers pour assurer un Ukraine Crisis Monitoring Committee.
Prévisions pessimistes
Néanmoins, dans l’immédiat, le focus aux Finances demeure le budget 2022-23, avec une première échéance le 25 mars, date quand sera clôturée l’étape de la soumission des Budget Memoranda par les partenaires sociaux sur la plateforme digitale mauritiusbudget.com. Toujours en termes de calendrier, le Budget Call aux Senior Chief Executives du Service civil et responsables de corps paraétatiques des paramètres pour les dépenses publiques et des directives de Grate Kot Kapav pour les revenus est actuellement en voie d’élaboration. S’adressant aux capitaines de l’industrie et autres représentants du secteur privé, Renganaden Padayachy déclare que « notre but c’est de trouver le bon arbitrage entre les dépenses et les recettes. Entre les politiques et les mesures que nous allons mettre sur la table et les taxes ». Il se dit déterminé à donner tort aux institutions internationales formulant des prévisions relativement pessimistes pour Maurice. « Nous sommes sur la même longueur d’onde concernant les priorités et aussi les inquiétudes, et main dans la main, nous allons travailler ensemble afin de donner tort aux prévisions de certaines institutions internationales sur les court, moyen et long termes », a-t-il fait comprendre au secteur privé.
Mais d’ici la présentation du budget, le ministre des Finances doit se soumettre au grand oral du FMI sous forme d’Article IV Consultations à partir du 20 avril. Les plus avertis mettent en garde contre la formule one cap fits all que pourrait préconiser le FMI après la prescription servie au Sri Lanka en fin de semaine, une économie basée sur le tourisme en proie à une grave crise économique.
Avec quasiment le même diagnostic d’un endettement public atteignant un niveau intolérable et des revenus publics en baisse, le FMI pourrait être tenté d’administrer à Maurice la même thérapie que celle du Sri Lanka, soit un relèvement des impôts, que ce soit directs ou indirects, comme la Taxe à la Valeur Ajoutée (TVA) et une dévaluation.
Et tout cas, le rendez-vous d’avril avec le FMI, et à l’agenda les relations incestueuses entre la Banque de Maurice et la Mauritius Investment Corporation Limited et le naufrage financier de la State Trading Corporation, accentué par la guerre en Ukraine, s’annonce des plus chauds…