De l’autre côté de la fenêtre

La vie n’est pas un long fleuve tranquille et me hissant jusqu’à la fenêtre en ce doux matin d’avril, je regarde le soleil éclairer chaque parcelle de pelouse, chaque petite branche, chaque bourgeon. Il s’amuse à créer de sacrés jeux d’ombres et de lumière sur le mur qui longe ma maison et ces reflets se transforment sous l’effet de la brise dans les arbres et évoluent au fil des minutes. Joyeuses images qui me sont offertes si tôt le matin et qui me font me réjouir de cette vie qui m’est donnée.

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Momentanément, je quitte mon petit monde pour penser à ce qui se passe en dehors de ce dernier ; il serait totalement inconvenant de passer à côté de la misère qui est le pain quotidien de nombreux Mauriciens ces temps-ci. La vie est dure pour beaucoup de nos compatriotes et la situation dans le pays est tendue. Si tendue que la corde de la cherté de la vie ne fait que nous étouffer toujours plus. Les malaises ont été exprimés, le trop-plein a été manifesté, l’explosion sociale nous pend au nez ! Des brèches s’ouvrent un peu partout, laissant passer par là même un lot de questionnements légitimes et une revendication bien simple : le droit à une vie digne et décente. La révolte, la violence, le désordre ne sont pourtant pas des solutions défendables, mais permettent de jauger à quel point la marmite est en ébullition. Il faut absolument être à l’écoute de ce vrombissement qui gronde déjà à l’intérieur de nombreux Mauriciens, ceux-là mêmes qui côtoient et tolèrent la pauvreté depuis trop longtemps, sinon, le tempo va exploser.

Revenons à la fenêtre, là où je me tiens, là où mes pensées vadrouillent. J’écris beaucoup sur la vie dans ces carnets et jusque-là, la mort se lisait souvent entre les lignes. Maintenant que la mort m’a tutoyée à travers le décès de mon père, c’est toujours de la vie dont j’ai envie de parler. Elle prend toujours plus de place que les ténèbres et est tellement plus forte que la mort.

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Tous les jours, je réfléchis à ce passage du magnifique livre du Cantique des Cantiques qui mérite qu’on s’y attarde : « L’amour est fort comme la mort. » Cette dernière est d’une radicalité désarmante et nous met face à une évidence terrible devant le souffle qui s’en va, le cœur qui s’arrête. Un cœur bat, un être respire, puis, plus rien ! Parti, comme ébloui, comme si quelqu’un d’invisible venait délicatement souffler sur une bougie allumée. Et qui sommes-nous pour redémarrer le corps humain quand plus grand que nous a permis que la machine ne s’arrête pour de bon ? Nous ne sommes rien, pas grand-chose, à cause de notre impuissance, mais nous sommes tellement à la fois, parce qu’à travers chacun de nous, l’amour peut continuer. L’amour subsiste par-delà la fin d’une vie. Cela est extraordinaire et bouleversant de se savoir des éléments de cette chaîne inaltérable et infinie permettant à l’amour d’être fort comme la mort. Aussi violente et douloureuse que cette dernière puisse être, aussi doux et puissant est l’amour qui continue à couler de manière si intense, si surprenante. L’amour résiste à tout, c’est quand même une chance inouïe !

La douceur de la vie et la force de l’amour sont désormais plus que de belles paroles, plus que des mots sensés criés ou écrits pour réconforter, pour témoigner ou redonner du courage. Elles ne découlent pas de simples sentiments passagers ou d’une émotion spontanée, subite. Elles font partie d’un vécu ancré solidement dans la tête et dans le cœur de ceux qui passent par cette épreuve.

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Pendant cette petite réflexion matinale, deux petits oiseaux viennent sur une branche face à ma fenêtre. Le serein et le rouge-gorge semblent se raconter des bobards sous mes yeux, tout en faisant de petits pas de gauche à droite. Essaient-ils de me séduire ? Ou plutôt, veulent-ils attirer mon attention ? Ils n’ont pas du tout l’air dérangés par ma présence et se lancent dans un débat de cui-cui.

Comme souvent, je me laisse aller à des imaginations enfantines qui me permettent de m’échapper. J’imagine qu’ils sont venus là pour me tenir compagnie dans ce moment de solitude nécessaire. En fait, ils viennent me réconforter par leur petite danse et leurs vocalises pleines d’entrain. Ils me rappellent que les souvenirs, surtout les bons, sont ceux qui nous portent lors d’un deuil. Ils me témoignent que la vie continue et m’assurent que l’abîme de la tristesse n’osera même pas s’approcher par ici. Ils me chuchotent que les bribes de tranquillité sont ce que nous devons chercher à chaque instant, même si la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Ils me convainquent que nous avons assez de ressources pour naviguer entre les eaux, suffisamment d’intelligence pour éviter les flots impétueux et que nous sommes déjà aguerris pour voir au-delà des tourments bouillonnants. Il est possible de se créer des plages où apaisement et quiétude règnent, il faut juste s’en donner les moyens, clament mes compagnons toutes ailes déployées !

Ces petits oiseaux qui se dandinent sous mon nez me disent aussi qu’il faut voir au-delà de son bout de nez ; cela évite que la morosité ne s’installe. Quittant mon jardin intérieur, je m’éloigne de la fenêtre, passe par la porte en bois pour aller à l’extérieur et m’assieds sur un banc blanc fait de lattes de bois. Ce matin-là, la douceur matinale est aussi prenante que consolante au moment même où les bons souvenirs fusent de partout. Tout en observant les alentours, j’imagine l’infini qui se cache en chacun de nous. La magnificence se dessine tout autour de moi et aucun soupçon de trouble ne semble pouvoir faire chavirer la grâce de ce moment particulier.

Là, assise sur ce banc blanc qui sent encore la rosée, une autre évidence s’offre à moi. L’épreuve ne change pas les faits, le temps non plus. Ils peuvent par contre éclairer le passé, ils peuvent sublimer l’avenir. N’est-ce pas merveilleux ?

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