Protection de l’environnement : Le tri sélectif n’est pas une option, mais une nécessité

4% : c’est la part de déchets que nous recyclons par an à Maurice. Une part négligeable face aux 540,000 tonnes de déchets que nous produisons annuellement. Cela signifie qu’environ 1,500 tonnes de déchets sont enfouies chaque jour à Mare Chicose. Centre d’enfouissement à la superficie de 49,9 hectares qui est saturé depuis plusieurs années. Mais que faisons-nous ? Visiblement, pas assez! Si Maurice est doté d’un système de gestion des déchets de qualité par rapport à d’autres pays, ce qui nous permet de ne pas baigner dans nos déchets, il a cependant fait son temps et n’est pas en mesure d’assurer la transition vers une économie circulaire, consistant à produire de manière durable, en limitant la consommation, le gaspillage des ressources et la production des déchets. Il est ainsi plus qu’urgent que le pays se dote d’un nouveau système faisant du tri sélectif une réalité et non plus un idéal.

- Publicité -

Trier, c’est facile !
Avant tout, le tri sélectif consiste à trier les déchets selon leur type (ménager, organique, industriel, lié à la construction, agriculture) afin de mieux les traiter (recyclage, compostage, valorisation énergétique ou enfouissement). Cette répartition est facilitée par la présence de plusieurs poubelles, chacune destinée à accueillir ses déchets respectifs : une poubelle pour les déchets compostables ; les biodéchets de la cuisine et déchets verts du jardin ; une poubelle pour les déchets recyclables comprenant le papier, carton, plastique et aluminium, et une poubelle pour les autres déchets non recyclables comme les emballages alimentaires à usage unique, les couches et protections hygiéniques. Par ailleurs, le verre, matière réutilisable et recyclable, n’est pas à mettre à la poubelle mais à déposer à des points d’apports volontaires (bennes), après l’avoir vidé et enlevé son couvercle.

De surcroît, le tri peut être effectué de 3 façons : le tri à la source, c’est-à-dire lorsque les déchets sont triés avant la collecte, par chaque foyer, par exemple ; le tri par apport volontaire, celui du citoyen engagé qui trie et dépose par ses propres moyens ses déchets recyclables dans les bennes à disposition, et le tri en déchetterie effectué par les professionnels après que soient collectés les déchets. Finalement, le tri a de nombreux avantages : réduire le nombre de déchets enfouis, d’autant plus que Mare-Chicose est saturé ; réduire la quantité de déchets produits chez nous et économiser les ressources naturelles qui ne sont pas toutes renouvelables et menacées par le changement climatique. Le tri est, donc, la première étape d’une longue chaîne de valorisation des déchets mais qui se veut être un moyen de protéger l’environnement et d’empêcher notre pays de couler sous ses déchets. Où en sommes-nous à Maurice ?

Des acteurs engagés…
Selon l’ONG Mission Verte, à ce stade et depuis bientôt 15 ans, c’est le système de tri par apport volontaire qui est en place. D’ailleurs, Mission Verte, créée en 2007, œuvre pour la protection de l’environnement tout en sensibilisant la population à ce sujet. Les membres de cette Ong tiennent à être « des agrégateurs de solutions », comme le témoigne Sébastien Geneuil, Project Manager à Mission Verte. « Notre rôle n’est pas de transformer le déchet, mais de permettre de sécuriser du volume. Cela permet aux industriels et entreprises d’avoir de la matière à transformer. Nous contribuons à la structuration de la filière économie circulaire à Maurice », dit-il. Dans cette démarche, en 2021, l’équipe de Mission Verte a permis le recyclage de 34,3 tonnes de bouteilles plastiques PET ; 161 tonnes de papier et 162 tonnes de carton entre autres. Néanmoins, Mission Verte n’est pas le seul acteur dans ce domaine. Plusieurs autres entreprises ou associations sont engagées, même s’il reste beaucoup à faire.

Dès lors, au lieu de jeter tous nos déchets dans une même poubelle, voyons les alternatives que proposent les nombreux recycleurs locaux. En sus des bennes de Mission Verte, pour les papiers, journaux et cartons, on peut, par exemple, se tourner vers WeCycle Ltd ou Mafta International Ltd. Les entreprises Polypet Recyclers Ltd, Reso Green Ltd ou Surfrider Co Ltd s’occupent des plastiques recyclables. Quant aux bouteilles en verre et autres, elles sont reprises par la Mauririus Glass Gallery, filiale de Phœnix Beverages et Plankton Recycling. Bioil Ltd se charge elle des huiles alimentaires usagées qu’il faut stocker dans un récipient hermétique et déposer dans un BioilBox, conteneur présent dans les supermarchés, centres commerciaux ou écoles. Tous les E-waste, soit les équipements électriques et électroniques (réfrigérateur, micro-ondes, ordinateur) peuvent aller à destination de B.E.M. Recycling, Recycling Valorisation Environment ou encore Green Ltd. Enfin, les pneus usagés sont rechapés par des entreprises, à l’instar d’Emcar Ltd et la Compagnie Mauricienne De Commerce Ltée.

…pour un tri nettement insuffisant
Cette liste exhaustive démontre la volonté de Maurice de trier davantage et le pays en a fortement besoin. D’après les études du ministère de l’Environnement, environ 60% de nos déchets sont compostables et 30 à 40% sont recyclables. Le compte est vite fait mais le résultat paradoxal : nous recyclons uniquement 4% des déchets et Mare-Chicose est saturé ! En cause, un manque de sensibilisation et de poubelles de tri ainsi que l’absence d’une politique nationale. Selon le sondage Continuous Multi-Purpose Household Survey, réalisé en 2015 par Statistics Mauritius, 78% des interrogés n’ont pas d’infrastructures destinés au tri des déchets dans leur localité et seul 6,6% déposent leurs déchets chez les recycleurs. De plus, les difficultés les plus courantes rencontrées lorsque les citoyens essaient de trier sont à 70% un système défectueux de collecte de déchets par les autorités ou ne respectant pas le tri et à 60% le difficile accès aux bennes de tri. « Il y a des initiatives de certaines collectivités, mais, elles ne permettent pas de structurer une démarche dans le temps. L’absence d’un cadre et le système actuel de gestion des déchets ne prônant que le linéaire, ne permettent donc pas à la population d’aller au bout de leur geste », avertit Sébastien Geneuil.

Si l’inexistence du tri par les camions à benne est à déplorer, le coût financier de ce système est aussi à aborder. Selon Bhagut Beerachee, Directeur adjoint du Solid Waste Management Division, environ Rs 1,7 milliard sont dépensées annuellement pour la gestion des déchets. Or, cette dernière n’est nullement facturée aux citoyens. Il en est de même pour les entreprises. Résultat : une personne peut produire autant de déchets qu’elle le souhaite, elle ne sera jamais incitée à les réduire ou facturée pour. L’exemple du plastique est un autre moyen d’illustrer l’importance de la fiscalité dans le processus de tri. Le plastique PET ayant une valeur de Rs 15 par kilo est collecté à hauteur de 40 à 50%, selon Mission Verte. Quant aux autres plastiques, ils n’ont pas ou très peu de valeur. Or, ces types de plastiques représentent 52% des 70,000 tonnes de plastiques qui sont émis sur l’île contre 17% pour le PET. Le Project Manager de Mission Verte rappelle que « les mesures actuelles n’encouragent pas au tri et encore moins à l’évitement de la génération de ces déchets. La fiscalité du déchet est quelque chose d’important car il permet d’apporter un peu de justice. »

À vos déchets, triez, recyclez !
Face à cet état des lieux, une seule solution, l’action ! Pour ce faire, il n’y a pas un modèle idéal mais une multitude de solutions. Intéressons-nous par exemple au cas de Claude (prénom fictif) : Si Claude se met à trier, que faut-t-il mettre à sa disposition ?
La sensibilisation

Il faut d’abord sensibiliser. Cela est indispensable puisque si Claude souhaite trier, il doit apprendre à le faire. En effet, un tri mal réalisé peut mettre en péril l’ensemble de la collecte. Par exemple, la bouteille d’eau qui n’est pas complètement vide peut souillée toute une cargaison qui n’est alors plus recyclable. Sensibiliser est aussi essentiel car certaines populations ne se sentent tout simplement pas concernées par le tri par manque d’informations. Ainsi, communiquer c’est valoriser le geste des citoyens dont celui de Claude.

Dans ce sens, Mission Verte, accompagne les établissement éducatifs à travers leur cursus pédagogique et des initiatives comme Eco-schools programme, de même que les entreprises et institutions qui souhaitent organiser des sessions de nettoyage et de formation à l’économie circulaire à l’instar des partenaires comme Ascensia, Terra, MCB ou encore Reef Conservation. L’une des missions que s’est donnée l’ONG est d’introduire un grand système de tri à Ébène… étonnamment toujours absent, malgré la présence de dizaines de tours ! Des ambassadrices et ambassadeurs auront le devoir de continuer à sensibiliser sur place, tout en collectant les déchets grâce à un moyen de mobilité douce, le vélo cargo.

La collecte
Collecter est tout aussi important car une fois triés ses déchets, Claude s’en débarrasse, mais ne veut pas que ses efforts soient gâchés en les mélangeant à nouveau dans une même benne. Pour ce faire, il existe les points d’apport volontaires mis à disposition par les ONG. Toutefois, Claude n’a pas de voiture et ne peut pas tout apporter ; il se demande comment faire ? Selon le Continuous Multi-Purpose Household Survey de 2015, la proximité des poubelles de tri encourage 70% des interrogés à trier. Eh oui, ces bennes ont leurs rôles à jouer puisqu’il s’agit de mini-déchetteries ; il faut, donc, s’assurer que l’ensemble de la population y ait facilement accès. De même, la collecte de déchets triés par les autorités locales pousserait 53% des personnes à changer leur comportement. Si cette dernière mesure n’est pas encore d’actualité à Maurice, le ministère de l’Environnement et notamment la Solid Waste Management Division ont annoncé, lors du 1er salon de l’Economie Circulaire en mai 2022, le déploiement du tri à la source. « Cette démarche fait suite à la nouvelle stratégie déchets de Maurice soutenue par l’Agence Française de Développement et la France. Elle permettra, enfin, aux citoyennes et citoyens de trier à la maison et d’avoir une collecte régulière », explique Sébastien Geneuil. Ainsi, à partir de 2024, Claude pourra trier à domicile grâce aux trois poubelles distribuées par le gouvernement, sans se soucier de leur collecte.

La logistique
C’est la clé qui permet à toutes les pièces de la chaîne de s’emboiter. Jusqu’à l’heure, c’est à ce niveau que Maurice peine à avancer puisqu’une meilleure logistique inclut de revoir toute la chaîne en répondant à la fois à « comment mieux produire » et « comment mieux trier/recycler ». De ce fait, elle démarre en amont du tri, au niveau des industriels, afin qu’ils génèrent moins de déchets et commercialisent des produits avec une plus longue durée de vie. C’est ensuite que vient la coordination avec les opérations en aval, comme la collecte. Collecter des déchets déjà triés doit aussi s’accompagner d’une organisation pratique et efficace.

En effet, il peut y avoir des camions bi-flux, capables de collecter à la fois les déchets recyclables et non recyclables. Une autre alternative, une fréquence et un jour différents pour sortir chacune des trois poubelles. En tous les cas, notre pays ne progressera dans ce domaine que s’il se dote d’un système mieux adapté aux enjeux. Puis, une fois les déchets triés collectés, il est nécessaire de prévoir des espaces adéquats afin de ne rien mélanger et de soulager le centre d’enfouissement de Mare-Chicose. Dans cette optique, le ministère de l’Environnement a lancé la construction de 5 déchèteries à La Chaumière, La Laura, Poudre-d’Or, Roche-Bois et La Brasserie avec une capacité maximum allant de 150 à 450 tonnes de déchets par jour. Une négociation avec le ministère des Terres et du Logement est en cours pour l’acquisition de terrains pour 7 autres déchèteries.

Face à ces avancées conséquentes, le Project Manager de Mission Verte est persuadé que d’autres unités verront le jour : « Le ratio de 1 pour 10 à 20,000 familles serait judicieux, cela ne représente que 34 déchetteries. Certaines pourraient même être mobiles et ponctuelles pour plus de diffusion », confie-t-il. Une fois l’étape du tri complété, le traitement des déchets s’enclenche mais cela est une autre affaire. Pour Claude, sa mission est réussie, mais n’est pas terminée, il sait qu’il doit continuer à trier s’il veut aider son pays.

En 2022, le constat est sans appel : trop peu de déchets sont recyclés et trop attendent de l’être. Alors, bien que le tri sélectif ne soit toujours pas entré dans nos mœurs, il est encore temps de développer cette conscience écologique. Sébastien Geneuil va dans ce sens en disant : « Nous sommes dans une situation passionnante. Toutes les composantes sont réunies sur notre île pour changer de paradigme sur les déchets : une volonté citoyenne, la présence d’ONG motivées, le soutient du secteur privé et de partenaires internationaux ainsi qu’une stratégie déchets qui se dessine avec un ministère de l’Environnement volontaire et à l’écoute ». Alors, Mauriciennes et Mauriciens, anou marye pike parski trier na pas en lopsion, li en necesité !

Vers une conversion des kilos de déchets
Trier c’est gagner en pouvoir d’achat ! Tel est le concept de FOURMIZE dont le système de collecte innovant permet d’accumuler des Mizes à chaque kilo de déchets rapporté et de les convertir en bons de réduction ou avantages chez les partenaires. Par exemple, 1 kg de papiers équivaut à 100 Mizes. Victime de son succès à La Réunion, ce système de rewarding devrait se déployer sous peu à Maurice, accompagné par Mission Verte. « Cette méthode de captation permet aussi de récompenser le geste citoyen et, donc, de mêler l’utile au nécessaire », affirme Sébastien Geneuil.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -