Durant la semaine s’est tenue une cinquième session de négociations, entre les États membres de l’Organisation des Nations unies (ONU), dont l’île Maurice, qui devraient aboutir à un traité international pour la protection de la haute mer, le Global Ocean Treaty. La haute mer qui représente plus de 60% des océans, qui ne disposent à ce jour d’aucun cadre juridique. Pour les petits États insulaires comme Maurice, ces discussions de haut niveau revêtent une importance sacro-sainte. La Mauricienne Shaama Sandooyea, biologiste marine et écoactiviste, a une fois de plus, répondu à l’appel de Greenpeace International. Elle était à New York pour parler de l’océan Indien, son océan, notre océan.
« Il n’est pas juste possible de le faire. Il est nécessaire ! » C’est ce que nous confiait au téléphone Shaama Sandooyea durant la semaine, quelques jours avant la tenue de la manifestation pacifique de Greenpeace International devant le bureau des Nations unies, à New York. Elle tire la sonnette d’alarme sur l’urgence de protéger « cette haute mer qui représente deux tiers des océans sur la planète et dont moins de 1% est protégé » et sur la nécessité
« d’informer les Mauriciens sur ce qui se passe ailleurs et sur ce qui se dit sur l’avenir de nos océans face à la crise écologique sans précédent que nous vivons. »
De New York, elle se confie. « J’ai répondu à l’invitation de Greenpeace suite à l’expédition menée à Saya de Malha l’an dernier. Le but est de prendre les données qui y ont été recueillies sur l’écosystème marin de cette partie de l’océan et de les partager au plus grand nombre », dit-elle. En effet, la biologiste marine avait participé, en mars, au tout premier underwater climate protest de Greenpeace dans l’océan Indien, plus précisément sur le plus grand banc submergé au monde de Saya de Malha. « Ce traité est extrêmement important, car à ce jour, aucun État et aucune autorité ne peuvent régulariser les autorités en haute mer qui reste une sorte de no man’s land », dit-elle. Une faille énorme qu’il faut à tout prix rectifier, dit-elle, car seules les grandes compagnies ont les moyens d’accéder à ces eaux… ce qui ne présage généralement rien de bon. De plus, la haute mer constitue un énorme puits de carbone.
Ainsi, ce traité sur la protection de la haute mer permettra de mettre en place une cour institutionnelle pour régulariser et contrôler les activités qui y ont lieu. Par ailleurs, Shaama Sandooyea explique que la mise en place d’un cadre légal bien ficelé pour la haute mer obligera les compagnies à soumettre, par exemple, une demande d’EIA et « de protéger ces riches zones de biodiversité comme celle de Saya de Malha, dont le seabed est géré par les Seychelles et par Maurice. » Pour elle, « ce traité permettra de protéger ces zones sensibles et riches contre les industries qui auront alors une responsabilité morale de protéger, mais pas contre les peuples qui en dépendent. »
Riches zones de biodiversité
Elle explique par exemple que « si un jour une compagnie pharmaceutique fait une découverte majeure lors d’une expédition marine à Saya de Malha ou ailleurs, avec ce traité, il incombera à la compagnie de partager les gains de ce nouveau médicament avec les communautés avoisinantes. » Même si, ajoute-t-elle, « je suis contre toute exploitation quelle qu’elle soit. » Shaama Sandooyea a ainsi fait un plaidoyer pour les îles de l’océan Indien lors de la manifestation pour urger les chefs d’État à finaliser ce Global Ocean Treaty. Elle intervenait aux côtés de Ngozi Oguguah (Nigeria) et de Khaireeyah Ramanyah (Thaïlande). Elle nous a aussi avancé qu’un représentant de Maurice prenait part aux discussions dans le bureau de l’ONU et qu’encore une fois,
« il faut que les citoyens mauriciens sachent ce qu’il se passe lors de ces discussions ! » Il faut aussi noter que les jeunes de Fridays For Future Mauritius (FFFM) se réuniront le 23 septembre à Port-Louis pour une manifestation pacifique.
90% du commerce mondial en haute mer
Pour info, dans sa résolution 72/249 du 24 décembre 2017, l’Assemblée générale de l’ONU a décidé de convoquer une conférence intergouvernementale afin d’élaborer le texte d’un instrument international juridiquement contraignant se rapportant à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale. En effet, les eaux internationales ont longtemps été ignorées au profit de la protection des zones côtières. Aujourd’hui, l’intensification de la pollution, de la surpêche, du réchauffement des océans dû au changement climatique, ou encore de l’exploitation minière et pétrolière rend la prise de décision de plus en plus impérieuse.
Par ailleurs, d’après les estimations de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la part des stocks de poisson exploitée à un niveau biologiquement non durable est passée de 90% en 1974 à 65,8% en 2017 ; la part exploitée à un niveau non durable est, elle, passée à 34,2% contre 10% en 1974. De plus, 90% du commerce mondial passe par le transport maritime en haute mer. Des collisions surviennent souvent entre les navires colossaux qui sillonnent l’océan et les mammifères marins. Les bateaux sont également à l’origine d’une pollution maritime. Plusieurs tonnes de filets destinés à attraper un grand nombre de poissons ont été retrouvées. Des déchets auxquels s’ajoutent divers plastiques rejetés par des navires toujours plus nombreux. Retrouvés en haute mer, ces déchets sont si nombreux si denses qu’ils pourraient recouvrir les territoires de la France, de l’Allemagne et de l’Espagne réunies.
Maurice : 2 040 km2 de terre contre 1,9 million de km2 de mer
« La République mauricienne a une superficie de 2040 km2, mais elle possède une des plus importantes zones économiques exclusives (ZEE) du monde : 1,9 million de km2, soit environ mille fois sa superficie terrestre ! » écrit l’auteur Shafick Osman en 2010 dans son ouvrage Maurice un futur État-océan. En effet, depuis des âges, ils sont nombreux, spécialistes, pêcheurs, chercheurs à le marteler : l’avenir de Maurice est dans notre océan. Dans un article que notre collègue Shenaz Patel écrivait en février suite à l’expédition scientifique du Bleu de Nîmes vers les Chagos, elle reprend la carte du géographe géomaticien Adish Maudho. « Cette carte nous montre que loin de n’être qu’“une tête d’épingle au milieu de l’océan Indien”, la République de Maurice, c’est en réalité un territoire qui est plus grand que l’ensemble de l’Europe occidentale. Oui. En additionnant la superficie de la France métropolitaine, de l’Espagne, de l’Allemagne, de l’Italie, du Royaume-Uni, du Portugal, de l’Irlande, des Pays Bas, de la Belgique et du Luxembourg, on arrive à un total de 2,2 millions de km2. La République de Maurice, elle, couvre une superficie de 2,6 millions de km2. Nous serions donc un continent à nous tout seuls… »