L’exposition Malcolm de Chazal : l’homme et l’œuvre que le Centre Culturel d’expression française propose en ses locaux à compter du 12 septembre et jusqu’au 1er octobre 2022 veut essentiellement marquer les 120 ans de la naissance de cet artiste hors normes, bien de chez nous, amoureux fou de son pays au point où, rentré de ses études à Bâton Rouge aux Etats-Unis, il n’a plus jamais voulu quitter son île, sa fiancée disait-il…
L’exposition est ouverte du 12 septembre, soit le jour même de sa naissance, et sera close le 1er octobre, jour de son décès. Qu’on apprécie l’œuvre de Chazal ou qu’on la considère comme ayant peu d’intérêt, il n’en reste pas moins que ce cher Malcolm dérange quand même toujours… Mais qu’importe : l’œuvre demeure, plus solide que jamais… une œuvre multiforme ayant démarré sur des essais d’économie politique avant de se révéler et s’affirmer par des genres bien différents : 8 volumes d’aphorismes, 4 recueils de poèmes, 15 pièces de théâtre, 980 chroniques de presse, plusieurs dizaines de contes, 29 essais métaphysiques, et pour couronner le tout : des centaines de tableaux…

C’est donc évident que Malcolm avait bien des choses à dire, des réflexions qui l’habitaient mais aussi des vérités que la nature lui dictait à travers fleurs et montagnes… Des messages urgents, dont le sort de l’humanité dépend. Malcolm de Chazal a vécu ainsi en permanence avec des idées nouvelles à communiquer, des paradoxes inédits à proposer, des fulgurances exaltantes à partager… Dès ses débuts en écriture et jusqu’à ses toutes dernières œuvres, Malcolm de Chazal avait une expression fétiche : au-delà de … Ainsi fallait-il aimer, vivre, écrire, peindre, lire, s’exprimer … au-delà de soi-même ! Ce message d’indispensable dépassement résume pleinement la volonté de Malcolm de Chazal en tant qu’artiste intégral, profession de foi qu’il définissait dès le 14 octobre 1961 dans une chronique intitulée Pourquoi écrire ? dans le journal local Le Mauricien : « Pourquoi écrire ? Eh bien, parce qu’il faut que l’arbre donne ses fruits, que le soleil luise, que la colombe s’accouple à la colombe, que l’eau se donne à la mer, et que la terre donne ses richesses aux racines de l’arbre. Pourquoi écrire ? Mais afin de se donner. Et le don enrichit. Cette « richesse » grandit la personnalité. Et l’on monte. Où ? En soi-même. J’ai nommé la délivrance. Il n’y a pas d’autre forme de libération. »
Cela n’a pas empêché que lui soit apposée une étiquette, son étoile jaune à lui : ce fou de Malcolm ! Folie qu’il revendique, d’ailleurs, dans ses chroniques comme dans celle de novembre 1960 publiée dans Le Mauricien : « En moi-même et devant ceux qui me comprennent, je fais jouer ma personnalité magique. Je suis sage et fou. Je suis moi-même. Je suis le poète. Dans mon œuvre, je suis toujours moi-même. Avec mes amis, je laisse voir ma vraie personnalité. Ailleurs j’agis en comédien. Je ne suis pas prêt à « déballer » mon être devant ceux qui ne me comprennent pas. »
Laissons à Malcolm le soin d’expliquer par ses propres mots sa prétendue folie que de mauvaises langues continuent à évoquer…
Les sages et les fous — Le Mauricien, 18 novembre 1960
« En cette fameuse rue de L’Église, devenue rue Sir William Newton, un peintre un jour marchait auprès de moi sur le trottoir. À la hauteur de la Librairie Sénèque où mes tableaux étaient appendus, je me tournai vers le peintre mauricien qui m’accompagnait et je lui dis : « Il vous manque une chose essentielle ». Le peintre me regarda, étonné. Je me tournai vers mes tableaux et distraitement je dis : « Il vous manque d’être fou. C’est alors que vous vous réaliserez ». Je ne sais ce qu’a pensé cet homme. La conversation a passé à autre chose.
Napoléon était fou et sage à Austerlitz, à Iéna, à Wagram. Il était trop sage à Waterloo.
Alexandre le Grand avait juste la folie qu’il fallait dans ses premières batailles. Il devint trop sage par la suite.
Dans ses Tournesols, Van Gogh avait la folie généreuse. Il exagéra. Il devint fou. Et ses tableaux créés dans l’asile d’aliénés à Arles sont sans contrôle. Il faut harnacher la folie pour être un génie.
Le bateau est dans la brise. La furie du vent est dans la voile et entraîne le bateau. Mais que serait-ce sans cette main ferme qui tient le gouvernail ? Telle est la folie : le vent déchaîné. Le gouvernail, c’est la raison et le bateau avance.
Je suis l’homme le plus équilibré de ce pays, parce que je suis totalement fou et totalement sage. J’ai en moi ce paradoxe, cette dialectique vivante. Et mon génie est équilibre. Je suis poète.
Voyez-vous ce commerçant qui compte ses sous ? C’est un bourgeois. C’est l’homme le plus ennuyeux de la terre. Il raisonne, il raisonne, il raisonne à perte de journée. C’est un automate de la roupie.
Mais voyez-vous cet utopiste, déréglé, déraisonnant, qui est nébuleux, qui bavarde sans rien dire, qui est tout le temps en train de courir après une chimère ? Cet homme est infréquentable. Pressez un peu plus sur la manette et cet homme sera dans un asile d’aliénés.
Au premier homme, le commerçant, il manque la folie. Au second homme, l’utopiste, il manque la raison.
Sens-Plastique est un ouvrage génial, où le créateur est en parfait équilibre avec lui-même parce que bien que dans le déchaînement total de la folie, l’homme ici est en pleine sagesse de l’esprit. Le génie est équilibre. Mais pour ceux qui sont aux deux bouts de la conscience : les rêveurs et les raisonnants, tout génie paraît un déséquilibré. Et la cause est simple : sauf exception, et c’est cela qui constitue le génie, les hommes ne peuvent se mettre au sein de la dialectique vivante.
Nul n’est en état d’équilibre qui n’est pas un être magique. Les êtres magiques sont les poètes. Ce sont de « grands enfants ». »
Sacré Malcolm ! Et le terme ‘sacré’ est bien de mise… Je me souviens de ce commentaire datant d’avril 1948 du journaliste mauricien André Masson : « Le Christ ne vous avait pas prévu, Malcolm »… Propos doux-amer, quelque peu moqueur, d’autant plus que Masson était souvent (sinon toujours) en désaccord avec Chazal et qu’il l’exprimait régulièrement dans la presse locale occasionnant ainsi, entre eux, des polémiques… Mais ce qu’il y a d’intéressant par-delà cette citation, c’est sa date : 1948 ! Malcolm de Chazal n’est alors qu’au tout début de sa vie artistique. Sa première œuvre publiée en France, chez Gallimard, sous le titre de Sens-Plastique, est parue depuis quelques mois seulement. Cela n’empêche que, déjà, Chazal s’est forgé localement une image de trublion que les éloges du célèbre Jean Paulhan, dans le Figaro Littéraire du 11 octobre 1947, avaient renforcée. En effet, Paulhan commence son article par ces mots : « Ça n’arrive pas tous les jours de rencontrer un écrivain de génie, que personne ne connaît. En voici un. » Cette étiquette collera au personnage qui y croira fermement et s’en souviendra à toutes les étapes de son évolution artistique, mais causera également dans le milieu insulaire des jalousies féroces et de fortes inimitiés, qui seront amplifiées par Petrusmok en 1951…
Par rapport aux critères littéraires cultivés localement, le parcours décrit dans Petrusmok ne peut qu’être un voyage de dingue, une vraie folie peuplée d’extraterrestres communiquant par télépathie et des montagnes jouant à cache-cache dans la plaine ! Et puis, surtout, il y a ces petites phrases acides de sa préface… vous vous en souvenez ? Conclusion évidente, l’auteur ne pouvait donc qu’être… fou !
Robert Furlong
Chazal et Hart à Souillac parlant de La Lémurie
(croquis de Hervé Masson)
