Port-Louis allait clore les années 1960 en tant que témoin privilégié de l’élévation du pays au statut d’Etat souverain et indépendant. Assez ironiquement, Port-Louis, à l’exception de la circonscription No 4 Port-Louis Nord/Montagne Longue, avait voté massivement contre l’indépendance aux élections générales d’août 1967. Toutefois la circonscription No 4 (avec d’autres circonscriptions marginales telles Vacoas-Floréal) pesa de tout son poids dans la balance pour faire le Parti de l’Indépendance rafler la majorité de sièges aux générales de 1967. SSR fut toujours reconnaissant à la circonscription No 4 pour cet apport décisif à la victoire du Parti de l’Indépendance.
En 1969, SSR fit une confidence à l’un des candidats victorieux de la No 4 aux élections générales de 1967, en l’occurrence Raouf Bundhun. Nous révélons dans quelle circonstance ces confidences fut faite: «Bien plus tard, en avril 1969, lors d’une visite à Londres, Raouf est invité par Kher Jagatsingh à prendre un repas à l’hôtel Strand Palace où logeait Sir Seewoosagur Ramgoolam.
Dayendranath Burrenchobay était en compagnie de SSR. Alors que Raouf et Kher Jagatsingh prenaient leur déjeuner dans la chambre d’hôtel de SSR, ce dernier fait ces confidences à haute voix à Raouf :
‘To koné Raouf, sa No 4 là, ti avoy twa pou alle mort sa! Se grass a to viktwar laba ki nou finn gayn
lindépendans.» (1)
La prestation de serment après les élections générales de 1967
Après la victoire électorale du Parti de l’Indépendance aux élections générales d’août 1967, l’étape suivante fut la prestation de serment des députés qui eut «lieu dans le nouveau bâtiment flambant neuf de l’Assemblée nationale qui a été également inauguré lors de cette occasion»(Idem), suivi de l’élection du Speaker et du Deputy Speaker, respectivement Harilal Vaghjee et Raymond Rault. Les nouveaux membres de l’Assemblée nationale se rendirent ensuite à la salle du Trône pour écouter le discours du Trône (discours-programme) «qui devait être prononcé par Sir John Shaw Rennie, qui était devenu entre-temps Gouverneur-général.» (Idem)
Après la lecture du discours du Trône les élus retournèrent «à la Chambre pour la première session de l’Assemblée nationale» où «Sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR), leader de la Chambre, proposa une motion selon laquelle Maurice devient un Etat indépendant et souverain au sein du Commonwealth.» (Idem)
S’adressant ensuite à la Chambre en tant que leader de l’opposition, Gaëtan Duval s’opposa à la motion de SSR. Mais, «mise aux voix, la motion de SSR est adoptée à l’unanimité, en l’absence des membres de l’opposition» (Idem) qui, entretemps, avait effectué un walk-out, mécontente de la révélation faite par le leader de l’IFB, Sookdeo Bissoondoyal, à l’effet qu’il fut invité par le PMSD à quitter le Parti de l’Indépendance contre une grosse somme d’argent et le poste de Premier ministre.
L’opposition boude la cérémonie du 12 mars 1968
L’attitude contrariante de l’opposition ne découragea nullement SSR qui arrêta, de concert avec le 10, Downing Street, la date du 12 mars 1968 pour la cérémonie de passation du pouvoir pour matérialiser l’accession du pays au statut d’Etat souverain et indépendant. Aussitôt après les préparatifs pour la cérémonie du 12 mars démarraient. Du côté de l’opposition la logique anti-indépendance fut poussée jusqu’au bout. Le conseil municipal de Port-Louis vota pour la non-participation aux fêtes de l’indépendance en évoquant quatre raisons à cet effet.
Récit:
«M. Norbert Poupard, maire de Port-Louis a, au cours de la réunion du Conseil Municipal tenue hier (16 février 1968), présenté une motion d’urgence demandant que la Cité de Port-Louis ne prenne part aux fêtes qui marqueront l’accession de l’île à l’indépendance le 12 mars. Développant sa motion, M. Poupard mis en avant les raisons suivantes pour motiver la non-participation de la cité à ces fêtes:
La majorité des électeurs de Port-Louis s’est prononcée contre l’indépendance. En participant à ces fêtes, la Municipalité défierait l’opinion de cette majorité.
On ne peut demander à une cité qui vient d’être plongée dans le deuil (en raison des bagarres intercommunautaires) de danser sur des cadavres.
Le Gouvernement a porté atteinte à la dignité du Conseil, qui a été tenu à l’écart, aucune invitation ne lui ayant été faite pour se faire représenter au sein du comité organisateur du programme des réjouissances.
L’attitude non-coopérante du Ministère des Administrations régionales.
La motion mise aux voix passe. »(2)
Adieu à l‘Union Jack’, la bienvenue au quadricolore mauricien
Et c’est ainsi que Port-Louis, malgré le mot d’ordre des anti-indépendantistes de boycotter la première cérémonie du drapeau au Champ de Mars, la cérémonie de passation du pouvoir eut bel et bien lieu. «La cérémonie du drapeau mauricien se tint à midi. L’ Union Jack fut ramené par le lieutenant D.E. Wenn de la Royal Navy sous les sifflets de la foule alors que se jouait le God Save the
Queen. Le quadricolore mauricien sera levé par l’Inspecteur Roger Palmyre de la Special Mobile Force sous les cris de la foule alors que l’hymne national mauricien Motherland était interprété. L’événement se passa en présence du Gouverneur John Shaw rennie et du Premier ministre Dr Seewoosagur Ramgoolam ,tous deux fort émus.
L’hymne national mauricien O Motherland fut une création commune du poète mauricien Jean- Georges Prosper qui écrivit le texte, sur une musique de Philippe Gentil et d’une orchestration de Philippe Ohsan. Seize coups de canon furent tirés par la SMF et 15 autres par chacun des navires de guerres ancrés dans la rade de Port-Louis. Ce fut alors que s’élévèrent les applaudissements de la foule présente estimée à 100,000 personnes. L’Ile Maurice accédait au statut d’Etat indépendant sur décision britannique, devenant ainsi le 27e membre du Commonwealth et sera un mois plus tard le 124e membre de l’Organisation des Nations-Unies.» (3)
Revenons à l’hymne national O Motherland. Un comité composé de M. Moutia (président), Dr I. Nundlall, MM. D. Beeharry, A. Kasenally, P. Ohsan et M. Cabon avait été nommé antérieurement pour choisir l’hymne national parmi plusieurs propositions. Ce fut O Motherland qui fut retenu.
B. Burrun
Bibliographie
Burrun, Breejan, Taqdir – A. Raouf Bundhun, Une vie, un destin, BM Book Centre, 2017.
Chelin, Jean Marie, Port-Louis, Histoire d’une capitale, Volume II (1900-1969), Phoenix:
Imatech 2017.
Advance, 17 février 1968.