- Maude (mère d’un fils accro) : « Bondie inn tann nou lapriyer ! Me enn lakrint ankor-la »
- Cadress Rungen (Groupe A de Cassis/Lakaz A) : « Nombre de parents vivent dans la frayeur de leurs enfants qui les agressent, physiquement ! »
Maude, mère d’un fils accro pendant une vingtaine d’années aux drogues, qui a tout connu de la descente aux enfers – les vols, les mensonges, la prison… -, a retrouvé le sourire. Son fils, Mathias, a décidé de se ranger et prendre un nouveau départ. Pour son mari Olivier et leur fille Cendrine, « la famille sera enfin à nouveau réunie ! Ce Noël sera celui du renouveau, d’un nouveau départ pour Maude et les siens ». La maman ne cache pas que « malgré tout, il y a toujours au fond de moi cette crainte qu’il ne rechute et ce sera alors tout à refaire. »
« Bondie finn ekout nou lapriyer ! Li finn trouv nou larm ek nou soufrans », exulte Maude. Après plus d’une vingtaine d’années pénibles, continue cette jeune maman et grand-mère, cette fois, quand Mathias est rentré de la prison, il s’est longtemps entretenu avec son papa et elle. « Il nous a dit, en toute franchise, clairement, qu’il veut mettre son passé derrière lui. Qu’il a fini avec les mensonges, les cachotteries… Qu’il veut recommencer à vivre », confie-t-elle.
Mathias n’est pas arrivé à cette décision sur un coup de tête. Peu de temps après son retour à la maison, il y a quelques semaines, il y avait le mariage d’une de mes nièces. « Pour la première fois après très, très longtemps, mon fils a demandé, à son papa et à moi, de l’accompagner aux magasins. Il a voulu s’acheter un complet, nouvelle chemise, cravate, gilet… Et des chaussures neuves ! » dit-elle en ajotant que « l’unique fois où le quadragénaire avait porté un costume, c’était au mariage de Cendrine, il y a des années. »
Le jour venu, à l’église comme à la réception, Mathias était un homme nouveau. « Il avait le sourire franc, la blague au bout des lèvres… Li ti pe rayone ! » Maude est submergée d’émotions en se rappelant ces beaux moments. « Cela faisait tellement longtemps que nous n’avons pas connu autant de joies dans la famille », rajoute-t-elle. Malgré tout, reconnaît cette jeune maman, « au fond de moi, il y a toujours cette peur, cette inquiétude… Et si un jour il replonge ? S’il rechute ? »
Briser les tabous
Il y a peu plus d’une vingtaine d’années, Maude, employée à son propre compte, est loin de se douter que son fils unique était devenu l’esclave des marchands de la mort. « Mo tifi, enn de fwa dir mwa, Ma, kan Mathias rantre, tanto, li pa santi lalkol, me li sou !” » Intriguée, la mère de famille se met en tête de découvrir ce qui cloche avec son fils d’une vingtaine d’années. À l’époque, il venait de terminer le collège et apprenait un métier.
Dans un premier temps, ce sont les mensonges : « Li pa ti le dir nou laverite; li rakont tou kalite zistwar. » Puis viennent les menus larcins et les vols. Et, au final, Mathias se retrouve en prison. Maude est dévastée. Olivier, terrassé de chagrin. Cendrine tente tant bien que mal de garder la famille soudée. « Je refusais d’aller le voir en prisonJe n’en avais pas la force ! » avoue-t-elle. La famille est déchirée, meurtrie.
Maude entend parler de Lakaz A. Elle s’y rend sans grande conviction. C’était déjà très dur d’avoir à jouer le jeu devant les proches et la famille. « Surtout quand certains lancent des piques, genre kot to garson la ? Li ankor laba mem ? Venir parler de ma situation à des étrangers, je trouvais cela difficile », se rappelle-t-elle. « Quand Cadress Rungen m’a parlé et m’a expliqué à quel point c’était important d’aller vers Mathias, de briser le tabou, de lui montrer qu’on tenait toujours à lui, j’ai été convaincue et j’ai rassemblé toutes mes forces et mon courage ».
Maude parvient à persuader le papa et les deux parents de se rendre à la prison où est détenu Mathias. Les retrouvailles se passent plutôt bien. Et graduellement, « nous avons puisé des forces en nous-mêmes ». Elle poursuit : « mon fils a compris qu’on ne l’avait pas rejeté. Mais cela ne voulait pas dire qu’on passait sur tous ses caprices non plus. »
« Pena sarm… »
Maude se décrit volontiers comme « une maman gâteau », mais ferme et juste. « Quand il prenait des drogues, il lui arrivait de ne pas se doucher. Je passais à côté de lui et je lui disais: tu ne sens pas bon ; va prendre un bain. Et il s’exécutait. » De même, continue-t-elle : « Mon fils a eu cet accident de parcours, c’est vrai. Mais à aucun moment il n’a manqué de respect envers son papa, sa sœur ou moi. Il a toujours eu un comportement décent et respectable avec nous. Pas de gros mots, pas de violences. »
Ce 24 décembre, la famille sera enfin ensemble pour la messe et le réveillon de Noël. « Oui, les autres années, nous avons fêté Noël. Mais quand votre enfant n’est pas là, et surtout, s’il est en prison, vous êtes à table et vous pensez à lui… Dans cet uniforme orange de la prison, qu’est-ce qu’il mange ? Qu’est-ce qu’il boit ? À quoi pense-t-il ? Simplement ces pensées suffisent à vous bouleverser, vous serrent la gorge et font monter des larmes… Et là, tout est gâché. Nous n’avons plus envie de rien. »
Maude et les siens ont connu de longues années où il n’y avait aucun charme, aucun goût à préparer les repas des fêtes. « Bien sûr, je ne négligeais pas Cendrine, ni mes petits-enfants. Mais cela a été très, très dur. » En ce Noël 2022, Maude pense à tous ces parents qui n’ont pas la même chance qu’eux à la maison, avec le retour de Mathias. « Pour certains leurs enfants sont décédés. C’est extrêmement dur de vivre cela. D’autres ont rejeté ces enfants et se retrouvent aujourd’hui loin des uns et des autres. D’autres ont encore leurs enfants en prison. »
Mais, conclut-elle : « Je demande à chaque maman, chaque papa, chaque parent : ne rejetez pas votre enfant. Je sais que c’est difficile, mais faites un effort sur vous-mêmes, et montrez-lui que vous l’aimez, plus que tout. Comme dans la parabole du fils prodigue… »
Des parents terrifiés
Noël, déclare Cadress Rungen, travailleur social, fondateur des Groupe A de Cassis et Lakaz A, est synonyme d’espérances. « Certaines familles, comme celle de Maude, vont redécouvrir les joies d’être enfin ensemble. Mais d’autres subissent encore la terreur de leurs enfants qui, esclaves des drogues, les maltraitent, physiquement et verbalement. Ce Noël, beaucoup de parents passeront les fêtes dans la frayeur… »
Il fait ressortir que de nos jours, les toxicomanes prennent leurs familles en otage. « Frapper ses parents, les menacer, les insulter en pleine rue… tout cela est hélas ! devenu courant à Maurice. Il n’y a plus aucun respect. »
Le travailleur social fait remarquer que pendant de longues années, et même jusqu’à présent, l’accent est mis sur la personne qui devient accro aux substances. « C’est vrai : la première victime, c’est ce consommateur. Qui est de plus en plus jeune, ainsi qu’on le constate sur le terrain. » Mais il n’y a pas que le rajeunissement. « Il y a aussi un nombre croissant de jeunes filles qui prennent ces drogues nouvelles… Mais au-delà de la personne qui prend les drogues il y a son environnement direct. Les parents souffrent énormément de ce genre de situations. »
Le fondateur du Groupe A de Cassis et de Lakaz A renchérit : « Nous avons ainsi lancé, depuis plusieurs années, le programme SEL (Solidarité Épanouissement Liberté). Et nous croyons solide comme le fer que nul autre que des parents de toxicomanes peuvent soutenir d’autres frères et sœur qui connaissent le même problème. »
Actuellement, au sein de SEL, les parents créent leurs propres réseaux de communications et d’entraide. « Chacun agit comme un soutien pour l’autre. De cette façon, nombre de parents sortent de leur isolement. C’est formidable de voir des parents reprendre goût à la vie, après des années qu’ils se sont renfermés sur eux-mêmes. » Il rappelle qu’il existe aujourd’hui, plusieurs Ongsn actives dans la lutte contre la toxicomanie. « Chacun peut faire son choix. »
« Ce combat, c’est ensemble que nous pourrons la gagner. Parents, enfants, Ong et autorités ensemble. Il nous faut mettre nos différences et nos divergences de côté et regarder dans la même direction : sauver des vies ! » conclut-il.