2023 s’annonce sous de bons auspices avec l’année du lapin qui symbolise le bonheur en abondance. L’occasion pour nous de découvrir Chinatown sous un autre regard, avec des escales dans des endroits qui recèlent des souvenirs, des traditions et où le passé se recompose avec le présent. Notre guide Kwang Poon, Chairman d’East Meets West Association et la Plateforme pour la Préservation du Patrimoine est très concerné par la valeur patrimoniale et historique de Chinatown. Pour lui, il est clair que les années à venir s’insèrent dans le cadre d’un rebranding de Chinatown comme carrefour interculturel. Incursion…
D’abord, plongeons dans la mémoire de Kwang Poon du temps de son enfance. Il se rappelle sa grand-mère qui, dit-il, a dû se réinventer en fabriquant de la sauce de soja et des pantoufles avec des rebuts de toile pour faire bouillir la marmite et répondre aux besoins dans un contexte difficile occasionné par la guerre. Une grand-mère qui, selon ses dires, pouvait à peine écrire ou compter mais était animée par cette qualité qu’on appelle l’esprit entrepreneurial considéré comme la fameuse débrouillardise mauricienne. Il relate dans le même souffle les affres de la Seconde Guerre mondiale où les chaînes d’approvisionnement reliant Maurice à l’étranger étaient perturbées. «Les Allemands avaient déployé une flotte de U-boats sous le nom de code de « Gruppe Monsun » dans l’Indo-Pacifique, compte tenu de l’importance géostratégique de cet espace. »
Kwang Poon est ravi que Chinatown qui arbore sa couleur d’un rouge vif fasse toujours de la résistance face à l’usure du temps. « Riche par son histoire et sa culture à multiples facettes, Chinatown mériterait des efforts plus appuyés de préservation et de promotion. Ce quartier mythique, pour ne pas dire quasi-mystique, serait l’un des berceaux de l’entreprenariat mauricien. C’est ici que plusieurs fabriques artisanales ont vu le jour ; certaines se sont développées en de marques connues alors que d’autres occupent une part non négligeable du marché. »
Notre visite immersive dans Chinatown permet de découvrir d’autres petits bijoux, sorte de reflet d’or oubliés comme celui de l’atelier Jinchi qui a été un des pionniers dans la confection d’uniformes d’écoliers. Au fil des générations, cette marque a grandi en estime et a confirmé son succès. Cette entreprise a habillé plus de 80% d’enfants avec plusieurs points de vente autour de l’île.
On a souvent tendance à croire que Chinatown se résume uniquement à des boutiques chinoises, alors qu’il a été au cœur de l’industrialisation. L’histoire rappelle que pendant la Seconde Guerre mondiale où il y avait des problèmes d’approvisionnement, Chinatown a su développer sa propre chaîne d’alimentation. Cette tradition s’est depuis instaurée dans les foyers chinois. Et aujourd’hui, avec le brassage culturel, tous les Mauriciens continuent de manger des mines et des boulettes.
Chinatown est aussi réputé pour avoir connu de bons calligraphes. Comme le raconte Charlie, en 1890, son grand-père était à la fois virtuose de la calligraphie chinoise et boutiquier. ll se servait du vieil abacus pour désigner le montant à ses clients qui s’approvisionnaient dans sa boutique. Et dans ses temps libres, il s’adonnait à la calligraphie pour illustrer des noms en chinois sur les cartes d’invitation de mariage. « Aster zeness pa kone kouma ekrir zot non an sinwa. » Il raconte aussi que son père était professeur à la Chinese Middle School et avait rencontré sa mère qui était alors son élève. « Du temps de mon grand-père et mon père, il y avait aussi ce fameux petit carnet rouge. Laboutik ti donn lor kredi. Aujourd’hui, avec les mauvais payeurs, c’est difficile de donner à crédit. »
L’envie nous a été donnée de visiter la Chinese Middle School, histoire de rester dans les souvenirs de Charlie. Certes, nous n’avons pas retrouvé l’amour sur les bancs, mais Ah-Noo Lam, le principal, raconte les 110 ans d’existence de cette école… plus qu’un patrimoine, c’est une vraie mine d’or qui a mis en relief plusieurs jeunes talents. Le fait propre à l’emplacement de la Chinese Middle School serait ce lieu devenu emblématique à Maurice où on a hissé le nouveau drapeau de la République Populaire de Chine. De plus, cette école enseigne le mandarin également à ceux qui ne sont pas d’origine chinoise tout en offrant une base de la musique chinoise pour développer leurs talents.
Premier pas des savates Dodo
À Ollier Plaza Chinatown, il y a Lindsay qui depuis neuf ans a repris le business de son grand-père, une sorte d’héritage léguée sur la préparation de divers aliments, porc rôti, saucisse, chasive, canard. « Mon grand-père était sino-mauricien et ma grand-mère hindoue. Je suis de la troisième génération. L’emplacement de mon commerce se trouve là où autrefois il y avait une église chinoise, Fock Diack. Le bâtiment qui était en tôle a été reconstruit en appartements et moi j’ai eu une place pour entreposer mon commerce. Je vends sur place où sur commande pour les mariages. À Ollier Plaza, on ne voit pas le temps passer. Autrefois, on travaillait avec des abattoirs, aujourd’hui tout le système est modernisé. »
Au Commercial Centre, Margaret tient un magasin spécialisé dans la vente d’habits traditionnels chinois depuis les années 60 et qui s’est transmis de génération en génération. « Les gens font leurs achats surtout pour la fête du Printemps ; ils cherchent des habits de spectacle, de fête. On s’est aussi spécialisé dans la lingerie de luxe pour dames et enfants, ainsi que layettes pour bébés. » La gentillesse de Margaret à l’égard de la clientèle fait que son magasin reste un point incontournable. « C’est petit ici, mais chaleureux. »
Les savates Dodo sont toujours très prisées par les Mauriciens, étant un produit emblématique synonyme d’une dolce vita tropicale. Mais peu d’entre nous savent que ces mêmes savates Dodo ont fait leurs premiers pas à Chinatown. Chez Ah Koy Ha Chow & Co.Ltd, on trouve encore sur les rayons ce produit phare et incontournable.
Un peu plus loin, une autre enseigne, le Bubble Tea Shop, pour ceux qui veulent se lancer dans ce commerce, ils peuvent acheter sur place une machine pour faire leur bubble tea. À l’heure actuelle, les parfums de melon et de blueberry ont la cote.
Le Guan Yin Citta Dharma Door est un centre bouddhiste qui accueille les gens qui veulent prier pour un monde meilleur, pour cultiver ce qui est bon en soi. Il y a aussi des événements végétariens mis en place, des spectacles et toute une culture autour de la pratique du bouddhisme.
Parcours interculturel
Chinatown est aussi réputé pour sa pharmacie avec des tisanes prescrites par de vieux médecins chinois à base de poudre de serpent, cancrelat, etc… et qui aujourd’hui sont vendues sous forme de pilules et de sirops. Autrefois, il y avait cinq pharmacies chinoises à Chinatown avec pour attrait ces tiroirs anciens ornés d’une belle reliure. Et pour peser la poudre des tisanes, en grammes, il fallait utiliser une balance chinoise.
Wan Fishing Shop est l’endroit rêvé pour les amateurs et professionnels de la pêche. Évidemment, on ne pourrait oublier la presse chinoise, surtout qu’on vient de célébrer les 250 ans de la presse mauricienne. Le China Times et le Sino News tiennent toujours le coup et font la fierté du quartier.
Chinatown dévoile aussi le plus gros dragon de 108 mètres fait de bouteilles en plastique, sans oublier son manga street faisant la part belle aux fresques murales manga, Sailor Moon, Dragonball, dont sept fresques animées. Il suffit de tout télécharger sur son application mobile pour avoir un rendu visuel impressionnant. Ce projet de la New Foundation Chinatown a attiré 500 artistes en 2020 après le confinement.
Kwang Poon insiste que la valeur patrimoniale et historique de Chinatown n’est plus à démontrer, mais que la question de sa mise en valeur et de sa réjuvénation demeure toujours un sujet d’actualité au centre des discussions. Il y a toujours des phrases qui viennent en amont pour l’avenir de Chinatown. « Il y a eu plusieurs appels à propositions. Au départ, une reconnaissance comme patrimoine national, voire international, a été contemplée. Au niveau national, le cadre réglementaire est régi par la National Heritage Fund Act alors qu’au niveau international, une inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO serait la procédure toute tracée. Dans les deux cas, les règlements rigides et contraignants y afférents nous poussent à une approche prudente afin de vraiment favoriser sa renaissance et non de condamner Chinatown à une mort lente. »
Évaluant les différentes propositions émises durant l’exercice consultatif, Kwang Poon pencherait plutôt pour un cadre novateur et adapté au contexte mauricien. Pour un Chinatown qui serait un « carrefour interculturel » avec une gestion flexible et éclairée dans l’optique d’impulser sa renaissance.