De janvier à novembre 2022, 577 femmes, dont 133 Rodriguaises (source : Reproductive Health Service Statistics), ont eu recours à la ligature des trompes de Fallope dans les hôpitaux publics. Dans les hôpitaux, à des exceptions près, l’accès à cette méthode de stérilisation définitive qui consiste à fermer les trompes de Fallope pour empêcher la fécondation n’est rendue possible qu’aux femmes mariées.
Et à l’unique condition que leurs époux donnent leur accord pour cette intervention. Sans la signature de son mari, une femme qui a déjà connu plusieurs grossesses et qui ne souhaiterait plus avoir d’autres enfants pour diverses raisons, dont économiques, ne peut disposer de son intégrité physique ! Toutefois, lorsqu’il est question de vasectomie, l’accord de l’épouse n’est pas obligatoire. Par ailleurs, en l’absence d’une loi autorisant l’accès à la ligature des trompes de Fallope pour toutes les femmes, mariées ou pas, Rajni Lallah demande l’amendement de la Criminal Code Act, laquelle rend la stérilisation illégale.
Avant d’entrer en salle pour son accouchement par césarienne, Premila (nom modifié) tente une dernière fois de convaincre l’obstétricien de ligaturer ses trompes. Elle attend son huitième enfant et ne veut plus en avoir. Elle évoque sa situation économique et sa santé. Malgré ses supplications, le médecin de l’hôpital reste sur sa position. Premila ne rentrera pas chez elle les trompes ligaturées. Pour cause, le mari de Premila aurait dû avoir donné son consentement au préalable. Sans l’approbation de ce dernier, Premila ne peut obtenir la ligature de ses trompes.
Ce jour-là, face à la détresse de Premila, l’obstétricien s’est montré compréhensif et compatissant. Mais il avait les mains… liées. S’il avait accédé à la demande de Premila, il aurait encouru de gros risques. En clair, il aurait enfreint les règlements qui sont appliqués dans tous les hôpitaux publics, il aurait été sanctionné avec les conséquences qui s’ensuivent et aurait été passible de poursuites. En effet, le mari de Premila est en droit de poursuivre le spécialiste et l’hôpital pour n’avoir pas recueilli son autorisation avant de ligaturer sa femme. Premila a beau faire comprendre qu’elle ne vit plus avec son mari et que celui-ci n’est pas le père de l’enfant qu’elle est sur le point d’accoucher, il n’y avait rien à faire…
« Tansion bonom oule ankor zanfan »
Si dans plusieurs pays, dont l’Inde et la France, l’accord de l’époux n’est pas obligatoire lorsqu’une femme veut avoir recours à la ligature des ses trompes, en revanche, tel n’est pas le cas à Maurice. Du moins dans le service hospitalier public.
L’autorisation du conjoint, lequel reconnu devant l’État civil au moment du mariage, est-elle stipulée dans la législation mauricienne ? À cette question, Dr Himla Dhoma, consultante en gynécologie à l’hôpital Jeetoo, répond que la « Santé s’en tient au Code Civil mauricien. C’est-à-dire on se marie corps et biens. Ce qui veut dire que nous ne pouvons pas faire une intervention qui va changer des caractéristiques chez l’un sans que l’autre ne soit au courant. » Dr Himla Dhoma précise aussi que si « l’hôpital ne tient pas en compte cet aspect et procède à la ligature des trompes d’une femme mariée sans l’autorisation officielle de son époux, celui-ci peut poursuivre l’établissement. »
De son côté, Manuela (nom modifié), mère de six enfants, a eu plus de chance que Premila. Son mari s’est rendu à l’hôpital, quelques semaines avant l’arrivée du benjamin, pour apposer sa signature autorisant le personnel médical à ligaturer ses trompes de son épouse. « J’ai eu mon premier enfant à l’âge de 15 ans. Je n’avais pas encore 26 ans que j’ai eu deux autres enfants qui sont nés à une année d’intervalle. À cette époque, j’avais demandé au médecin de ligaturer mes trompes. Je me souviens qu’il m’avait déconseillé cette méthode. Dokter dir mwa ki mo ankor tro zenn pa bizin atas tib tansion bonom oule ankor zenfan. Je l’ai écouté. Je pensais que je n’aurais plus d’enfants, mais deux autres sont arrivés. C’est là que j’ai pensé fermement à avoir recours à la ligature de mes trompes. Je suis tombée enceinte.
Malheureusement, mon mari n’a pas pu se rendre à l’hôpital pour signer les documents. J’étais déjà à mon cinquième enfant. Quelques années plus tard, je suis à nouveau tombée enceinte. Le médecin de l’hôpital m’a demandé si je voulais me faire ligaturer les trompes. J’ai accepté et cette fois mon époux a pu signer les papiers », dit Manuela, la cinquantaine.
Quant à Mélanie (nom modifié), 39 ans, mariée civilement au père de ses sept enfants, elle concède qu’elle n’a pas eu le temps de considérer cette méthode contraceptive, et ce, même si les médecins le lui ont préconisé à quelques reprises. « Kan mo ti demann dokter pou atas tib, li ti dir mwa mo tro zenn. À ma quatrième grossesse, le médecin m’avait conseillé de penser à la contraception. Je n’avais plus en tête la possibilité de ligaturer mes trompes. Mo’nn pran konprime. Pou mwa, apre kat zanfan, mo dir mo pou aret la mem », confie Mélanie. Mais les cinquième et sixième sont arrivés. Puis, le septième en octobre dernier. La rupture de la poche d’eau de Mélanie est intervenue plus tôt que prévu, dans un supermarché.
Des documents de divorce pour valider l’opération
Transportée en urgence à l’hôpital par la police, elle a accouché d’un bébé prématuré. Durant ses consultations prénatales, le médecin, reconnaît-elle, lui a encore une fois conseillé de ligaturer ses trompes. Mélanie est une bénéficiaire du registre social et vit dans deux pièces en tôle dans des conditions précaires. « Avan mo gagn ti baba mo ti pe vann minn sis zour lor set. Aster mo bizin vey li, trase rod feray pou vande », explique-t-elle. Avec un enfant de plus à nourrir, elle s’est résolue à laisser tomber la pilule contraceptive pour l’injection. Elle veut être certaine de ne plus tomber enceinte. Malgré les conseils des médecins pour la ligature de ses trompes, Mélanie a refusé cette méthode. « Mo per… », dit-elle.
Mélanie n’a pas été invitée à la réflexion. En France, par exemple, la loi impose un délai de réflexion de quatre mois entre la demande de la patiente et l’opération. À Maurice, une femme qui est éligible — de par de son statut marital — à la ligature de ses trompes a moins de temps pour revenir sur sa décision, après l’accord de son époux. En France toujours, « si au bout du délai de réflexion la patiente est bien décidée à avoir recours à cette méthode et qu’elle est parfaitement consciente qu’elle ne pourra plus avoir d’enfants naturellement après cet acte, elle doit confirmer son consentement par écrit lors d’une deuxième consultation médicale » (source : internet). Mais à Maurice, la ligature des trompes n’est régie que sous la section 234 de la Criminal Code Act, laquelle qualifie cette méthode comme une offense (voir hors-texte). L’esprit de cette loi ne rendrait pas forcément légale la ligature des trompes de Fallope à Maurice.
Dans le cas des femmes séparées ou divorcées de leur époux, leur demande pour la ligature de leurs trompes est considérée après l’analyse de leur dossier. Selon les explications de Dr Himla Dhoma, des facteurs familiaux et sociaux peuvent peser en faveur de ces dernières. « Une femme qui par exemple est en instance de divorce peut produire des documents qui attestent sa situation actuelle », précise-t-elle. Ainsi, la concernée pourra avoir recours à la stérilisation tubaire. Dans le cas d’une patiente dont la vie est en danger et que cette intervention s’avère cruciale pour sa survie, Dr Himla Dhoma explique que l’hôpital aura recours à un ordre de la cour.
Elle se souvient encore, dit-elle, du cas d’une très jeune patiente où ce sont les parents de cette dernière qui ont dû donner leur autorisation pour ligaturer ses trompes. C’était, selon Himla Dhoma, vital pour la jeune fille alors âgée de 13 ans seulement. L’adolescente avait accouché par césarienne et une autre grossesse était susceptible de provoquer une rupture de son utérus. « Nous sommes régulièrement confrontés à des situations qui nous posent des dilemmes », concède la consultante de l’hôpital Jeetoo, tout en rappelant que les hôpitaux « s’adaptent aux lois » dans le cadre des interventions liées à la ligature des trompes.
Cliniques privées entre fflexibilité et accord obligatoire de l’époux
Dans les cliniques privées, le consentement de l’époux quand il y a une demande pour une stérilisation contraceptive par une patiente serait aussi « obligatoire ». Le Dr Issac Jawaheer, président de la Private Medical Practitioners Association, s’appuie aussi sur le lien du mariage entre les époux pour soutenir le recours au consentement du mari. Toutefois, rappelle ce dernier, toute intervention chirurgicale requiert la signature du patient et d’un proche. Si d’aucuns parlent de « flexibilité » sur la question dans le service hospitalier du privé, d’autres confient qu’en consultation, « ce sont les maris qui, en premier, émettent la demande pour la ligature des trompes de leur épouse. » Il y a encore quelques années, la clinique qu’opère la Mauritius Family Planning Association pratiquait cette intervention avant ensuite de rediriger ses patientes vers les hôpitaux. « Tout choix pour une méthode de contraception devrait se faire en concertation dans le couple. Dans le cas de la ligature des trompes, cette méthode est irréversible », dit la directrice de la MFPA, Vidya Charan. Cependant, dit-elle, « lorsqu’une femme est engagée dans une relation aléatoire, la décision devrait lui revenir. »
Si aujourd’hui des services de santé exigent d’une femme demandant la ligature des trompes qu’elle a besoin l’accord de son mari, en revanche, un homme qui fait la requête pour une vasectomie (méthode de stérilisation masculine qui consiste à couper et bloquer les canaux déférents qui transportent les spermatozoïdes à partir des testicules) n’a aucunement besoin de l’autorisation signée de son épouse.Rajni Lallah (MLF) : « Le régime de la communauté de biens n’a rien à faire avec le choix de procréer »
« Il faut amender la Criminal Code Act qui rend la stérilisation illégale »
Si Rajni Lallah, de Muvman Liberasyon Fam (MLF), s’oppose d’emblée aux procédures qui exigent de la femme qu’elle obtienne le consentement de son mari pour la ligature des trompes, elle demande l’amendement de la Criminal Code Act. La loi, dit-elle, rend illégale cette méthode contraceptive, laquelle a pour finalité la stérilisation. « Le code criminel condamne la stérilisation », avance-t-elle en citant la section 234 de la Criminal Code Act relative à la castration.
En effet, celle-ci stipule : « i) Any person guilty of the crime of castration, or amputation or destruction of any organ necessary to generation, shall be punished by penal servitude. (2) Where death has ensured therefrom servitude for lifeor, where the Court is satisfied that compelling reasons exist which justify the imposition of a lesser sentence and has specified the reasons on the record of the proceedings, for a term not exceeding 60 years. »
Rajni Lallah estime qu’il est grand temps d’amender cette loi : « Castration li vedir prosedir pou ki enn zom perdi itilizasion so testikil — swa fizikman, swa simikman. Anfet kan nou pe koz konsep, telman kod kriminel aryere ki li pa kapav fer diferans ant « obligasion patriarkal pou prokree » ek konsantman zom ek fam, individielman pou desid pou sterilize volonterman.
Bizin amande pou tir sa bout konsern « generative organs » dan lalwa e pou permet sak imin deside si li anvi prokree ou pa. Anfet kan nou pe koz konsep, telman kod kriminel aryere ki li pa kapav fer diferans ant « obligasion patriarkal pou prokree » ek konsantman zom ek fam, individielman pou desid pou sterilize volonterman. »
Les hôpitaux, dit Rajni Lallah, se doivent de respecter la volonté de chaque personne sur son choix de procréer. « Le régime de la communauté de biens n’a rien à faire avec le choix de procréer, parce que ni la femme ni l’homme ne peuvent être considérés comme un bien pour l’un comme pour l’autre ! L’enfant ne peut non plus être considéré comme un « bien ». Si une femme décide pour la stérilisation volontaire, mariée ou pas, elle est la seule à donner son accord pour une intervention. « E lalwa bizin amande pou ki li parey kouma pou tou loperasion, se pasian-la ki bizin volonterman e san kontrint deside », fait ressortir Rajni Lallah.