Joana Ramasamy de l’Association de l’aile féminine de Cotteau-Raffin : « Beaucoup de femmes vivotent en exerçant de petits boulots »

Joana Ramasamy est responsable de l’association de l’aile féminine de Cotteau-Raffin, village où elle réside. Dans l’interview qui suit, cette ancienne présidente du conseil du village revient sur les formations conscarées aux femmes ainsi que les problèmes d’approvisionnement en eau dans la région. Quant aux jeunes, dont beaucoup sont en décrochage scolaire, elle s’appesantit sur le fait qu’il faudrait valoriser davantage la formation professionnelle.   

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Pouvez-nous nous dire qui est Joana Ramasamy ?

J’habite Cotteau-Raffin depuis ma plus tendre enfance et suis mère de trois enfants. Jeune, je fréquentais le Collège Eden de Rose-Hill, où j’ai étudié jusqu’à la Form IV. J’avais bien envie de poursuivre mes études supérieures, mais à cette époque, mon père, qui était un conservateur pur et dur, n’appréciait pas qu’une fille de mon âge – j’avais 14 ans – quitte la maison si tôt pour prendre l’autobus et aller à Quatre-Bornes. Je n’avais donc pas insisté.

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Comme je n’aimais pas rester sans rien faire, je passais toute ma journée à regarder ma mère, qui était couturière et travaillait sur sa machine à coudre. Avec le temps, j’ai fini par développer une grande passion pour le métier de couturière. Aujourd’hui, je travaille pour mon compte personnel. J’ai des clientes qui viennent de Mahébourg, Rose-Hill, etc., et qui me font entièrement confiance pour leurs habits des grandes occasions, que ce soit pour les mariages, les anniversaires…

Quelles sont les circonstances qui vous ont poussée à vous engager dans le social ?

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Cette envie vient d’Arlette Laganne, accompagnant le père Philippe Fanchette, qui venait souvent rendre visite aux habitants de la région de Cotteau-Raffin, La Gaulette…

Après plusieurs visites dans les deux quartiers, ils se rendent compte qu’il y avait beaucoup de femmes qui, faute de trouver un emploi dans d’autres secteurs, étaient contraintes de travailler comme femme d’ouvrage dans bann gran lakaz , parce qu’elle ne pouvait faire que cela comme métier. Le père Franchette et Arlette ont alors commencé à mettre en place des formations de pâtisserie, de fabrication de tentes, etc., pour les encourager à se mettre à leur propre compte. Malheureusement, beaucoup de femmes n’avaient pas pu suivre ces cours.

Qu’est-ce qui les en empêchait ?

Une bonne majorité souhaitait suivre ces formations qui, je dois dire, étaient intéressantes et passionnantes. Elles rentraient chez elles tard dans l’après-midi, après le travail, et le centre social de la localité était déjà fermé. Elles ne pouvaient donc pas y avoir accès.

Seules quelques retraitées de la localité, qui ne travaillaient pas, avaient le privilège de continuer de suivre ces formations dans différents domaines. Beaucoup de femmes n’ont pu aller au bout de leur scolarité. Elles vivotent en exerçant des petits boulots.

Vous étiez aussi conseillère du village ?

J’ai été encouragée par Karl Lamarque, qui s’était porté candidat, comme à chaque élection villageoise. Il m’a encouragée par sa manière de faire, car il se battait toujours aux côtés des démunis, des squatters, etc. Et avec ses propres moyens, sans dépendre de qui que ce soit. Et j’ai choisi de me jeter moi aussi dans la bataille.

Vous ne ratiez jamais l’occasion de faire entendre votre voix. Encore d’ailleurs tout récemment sur les problèmes de distribution d’eau, qui affectent toute la région…

Avec le projet de remplacement des tuyaux de la CWA, qui ont fait leur temps et qui étaient souvent endommagés, occasionnant de grosses fuites d’eau, et privant les habitants d’eau pendant plusieurs jours, cela s’est amélioré. Ces travaux étaient attendus depuis très longtemps. Autant que je sache, cela fait plus de 30 ans que nous attendions.

Ce problème a été résolu. Les habitants, surtout les femmes, n’ont plus à passer la nuit à attendre le camion-citerne avec leurs seaux et autres ustensiles de cuisine. Quand les conseillers et moi avions été élus, en 2012, nous avions fait de ce problème notre priorité.

Fallait-il que les habitants descendent dans la rue pour que les autorités trouvent une solution ?

L’important pour nous était que les autorités fassent de leur mieux pour trouver une solution. Il était temps. Ce problème d’eau était pour tous les habitants de cette région un vrai calvaire, et plus particulièrement pour les mères de famille, qui doivent aller travailler et dont les enfants doivent aller à l’école. Nous étions obligés de cuisiner sans eau courante et vivre dans des conditions peu hygiéniques. C’était  traumatisant. Heureusement, les autorités ont pu trouver des solutions. Pour longtemps j’espère.

Et si on parlait du taux d’échec scolaire dans la région Ouest…

J’entends souvent dire que le droit fondamental est inscrit dans la déclaration universelle. Malheureusement, l’éducation n’est pas une réalité pour de nombreux enfants dans cette partie du pays. Une bonne partie des enfants de 12 à 16 ans ne vont pas à l’école. Il reste beaucoup à faire sur ce plan. Il faut commencer par améliorer la préparation des enfants dès leur plus jeune âge. Ils ont tous accès à l’éducation mais pas dans les mêmes conditions. Nombre d’entre eux ne parviennent pas à rester dans le système.

Environ 30 à 40% des enfants de la région échouent à la fin du cycle primaire. Ils ne savent pas grand-chose. Je me demande si les compétences de base en lecture et calcul ont été acquises par un nombre suffisant d’enfants après cinq ou six premières années. Pas étonnant lorsque nous apprenons que Rivière-Noire enregistre souvent les plus faibles résultats scolaires, puisque la région regroupe les enfants les plus pauvres, avec donc des taux de décrochage scolaire plus élevés.

Ajoutez à cela la pandémie de Covid-19, qui a grandement perturbé le déroulement de la vie scolaire. La plupart des élèves dans une partie de cette zone ne pourront pas rattraper leur retard, et en particulier ceux qui ont des difficultés d’apprentissage. Et tout cela a donné lieu à davantage d’exclusion.

Que proposez-vous alors ?

Il faut donner à ces enfants une formation plus appropriée et qui réponde à leurs besoins, à leurs aspirations. Autrefois, fixer quelques tuyaux était suffisant pour dire qu’on est plombier. Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ? Les plombiers, par exemple, sont appelés à faire des installations dans des bâtiments de plusieurs niveaux. La formation est plus spécifique.

À mon avis, il faut valoriser la formation professionnelle, et non pas le bricolage, qui se pratique un peu partout à Maurice. Nous avons besoin de la contribution de tous pour développer le pays. Et si nous n’accordons pas priorité pas à la formation professionnelle, le pays sombrera et une bonne partie des Mauriciens avec. Imaginez une seconde que les jeunes ont l’obligation maintenant d’obtenir cinq Credits pour être promus en Grade 12…

Il faut faire de la place pour les jeunes qui ont échoué ou ceux qui n’ont pu poursuivre leur parcours au niveau du cycle secondaire. La formation professionnelle et technique n’est pas suffisamment valorisée. Je vous donne un exemple. Mon fils, âgé de 16 ans, fréquentait un centre du Mauritius Institute of Training Development pour suivre une formation de tourneur. Mais il avait des difficultés à s’adapter. En tant que parents, nous n’avons pas insisté. Nous lui avons laissé la liberté de choisir. Comme nous sommes propriétaire d’un bateau, il a choisi de travailler comme skipper. Et aujourd’hui, il travaille à son propre compte. Il a acheté des outils qui lui permettent de dépanner lui-même les bateaux tombés en panne. C’est pour vous dire que certaines personnes peuvent s’épanouir et trouver la filière où elles se sentent à l’aise.

Quelques mots pour conclure…

Je demande aux Mauriciens de ne pas se laisser berner par les politiciens, quel que soit leur bord politique, ou par un plat de biryani. Aret mont dan bis zis pou al danse ou bat sega. Il faut travailler dur pour que nos enfants aient leur place dans la société. Il faut inculquer à nos enfants la discipline ainsi que le goût de l’effort et de la réussite.

Propos recueillis par

Jocelyn Rose

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