Dans les affaires de drogue, comme celle qui occupe l’actualité en ce moment, derrière ces saisies de biens aux montants faramineux, et la richesse accumulée par les présumés trafiquants et leurs clans, il y a souffrance et drame. Ceux vécus par des mères, pères et autres proches des toxicomanes, clients des petits revendeurs et gros trafiquants. Souvent, bien malgré elles et sous la contrainte, les familles d’usagers de drogues contribuent à l’enrichissement des trafiquants. Deux femmes, qui ont vécu des passages difficiles en raison de l’addiction de leurs proches, témoignent de leur douleur. L’une d’elles habite dans le même quartier qu’un présumé “ti baron.”
“Pou enn mama dimann Bondie ramas so zanfan, fodre krwar ki li nepli kapav get so piti soufer! Pou enn mama aksepte donn so linz so zenfan ki droge pou li al vande pou aste ladrog, fodre krwar ki li pena swa e ki li pa anvi get so zanfan soufer par mank”, s’insurge Sophie (nom modifié), la trentaine entamée. En colère et triste à la fois, cette mère de famille de quatre enfants est témoin de l’ampleur des dégâts causés par la drogue dans son quartier. Elle ne peut se retenir de dire ce qu’elle a sur le cœur. Il y a quelques semaines de cela, l’oncle de Sophie, toxicomane, est décédé des suites d’une hépatite. “Il n’avait que 42 ans. Il était usager de drogue dure et a fini par consommer du synthétique. C’est le deuxième membre de ma famille que j’ai perdu à cause de la drogue. Le premier nous a quittés, il y a quelque temps auparavant. J’ai vu à quel point ma grand-mère a souffert en raison de ses deux fils. J’ai vu ma mère verser des larmes amères, elle avait du mal à accepter ce qui nous arrivait. Même mes oncles, avant de mourir, avaient reconnu les torts que la drogue a causés sur eux”, confie-t-elle. Sophie avait été très présente aux côtés de ses oncles lorsque ces derniers sont tombés malades. Malgré les problèmes qu’impliquait leur dépendance à la drogue dure, Sophie avait décidé de les accompagner lorsque la maladie a commencé à les envoyer à l’hôpital. Ce choix, elle l’a fait, dit-elle, pour des raisons humanitaires et pour sa famille. Et parce qu’elle comprend les pièges et le cercle vicieux de la drogue qui fait de ses usagers, des proies.
“C’est moi qui faisais les frais de sa colère”
Magali (nom modifié), 32 ans, dit enfin pouvoir vivre en paix. Finis les coups, les gifles et les insultes subis pendant plusieurs années lorsqu’elle vivait avec son compagnon, le père de ses deux jeunes enfants. “Il était toxicomane et quand il n’arrivait pas à trouver de l’argent pour acheter de la drogue, il devenait violent et c’est moi qui faisais les frais de sa colère”, raconte la jeune femme, pendant sa pause déjeuner. Depuis qu’elle s’est séparée de son compagnon, après l’incarcération de celui-ci pour trafic de drogue et vol d’arme à feu, Magali a trouvé du travail et un logement de type social. Et pour rien au monde, affirme-t-elle, elle ne compromettra, de nouveau, son autonomie financière et sa tranquillité.
“J’étais enceinte de mon fils aîné quand j’ai appris qu’il était accroc au cannabis et qu’il se droguait aussi par voie intraveineuse. Sa famille, chez laquelle nous nous sommes installés parce que mes parents n’approuvaient pas notre relation, m’avait promis qu’il allait changer. Lui aussi. Nous étions très jeunes, il était un amour d’adolescence”, poursuit Magali, le ton posé. Mais les promesses ne se sont pas réalisées, d’autant que le frère de son compagnon était, lui aussi, impliqué dans le trafic de drogue. Les deux hommes étaient de “petits” trafiquants d’un village côtier. “Il avait abandonné la pêche et s’est mis à voler. Je voyais défiler toutes sortes d’articles volés dans la maison. Des téléphones, des play stations, des bicyclettes… Quand je lui posais des questions sur leur provenance, il me répondait enn trasman sa, et ajoutait que je ne devais pas m’en mêler. Son téléphone n’arrêtait pas de sonner. Kouma telefonn-la sone, li sorti. Je savais alors que c’était pour de la drogue. Combien de fois il a eu des soucis! Komie fwa dimounn pa vinn rod li. Cela devenait invivable pour moi !”
À l’époque sans emploi, Magali avoue qu’elle dépendait financièrement de sa famille et de celle du père de ses enfants. “Je ne pouvais pas partir de chez lui. Mo pa ti ena okenn plas pou ale. Les seules fois où je pouvais trouver refuge chez ma mère, c’est quand il se retrouvait en cellule après ses arrestations. Il s’achetait des vêtement neufs et des accessoires, se faisait plaisir. Il n’achetait rien pour nous”, dit-elle, concédant qu’elle souffrait de cette situation en silence. “Je n’arrêtais pas de me dire que je vivais dans un milieu toxique et que ce n’était pas ma vision du bonheur. Je regrette tellement d’avoir perdu beaucoup d’années à ses côtés, d’avoir connu tous ces moments difficiles et pas le bonheur ! Mon chagrin est immense”, confie Magali.
“Il se faisait plaisir et n’achetait rien pour nous”
Là où habite Sophie, il y a un “ti baron” comme elle le dit et qui est en train de poursuivre ses activités au nez et à la barbe de la police. Et de l’autre côté, il y a de nombreux jeunes, tombés dans l’addiction aux drogues synthétiques avec pour conséquences des drames familiaux et de terribles souffrances. Il y a aussi les moins jeunes, ceux qui ont 30 – 40 ans ou plus, consommateurs de drogues (parfois diverses) de longue date, qui ont fini par faire exploser leur foyer. Sophie se dit révoltée. Pour cause, le “ti baron” est en train de s’enrichir sur la détresse des familles de son quartier et d’ailleurs.
“Un de mes oncles avait effectué des travaux dans la maison d’un grand trafiquant de drogues. Et vous savez comment il était payé ? Par de la drogue ! Mon oncle travaillait nuit et jour pour obtenir sa dose. Il oubliait même de se nourrir. Me li pa bliye so ladrog. Quand je vois ce que le ti baron est en train de faire aux familles, cela me rend malade”, dit Sophie. Elle poursuit : “Cette personne est en train de s’enrichir sur la souffrance des mères et des pères. Il a amélioré son confort. Si nou trouv li pe met enn sak lor so ledo pe al travay, nou kapav konpran kouma li gagn kass! Kouma kapav les sa bann dimounn-la mont lakaz letaz ar larm ek soufrans enn bann fami ? Les gens l’appellent ‘boss’. Un boss, pour moi, c’est un homme qui se lève chaque matin pour aller travailler et qui rentre chez lui après avoir gagné honnêtement sa vie.”
“J’ai peur pour mes enfants”
Sophie dit ne pas comprendre comment “ni la police, ni la MRA ou encore la FIU ne se sont aperçus de la soudaine progression sociale” du présumé trafiquant de son quartier. “Pa bizin al liniversite pou trouve ki li pa normal ki enn dimounn ki pa travay pe mont lakaz! Mwa mo pe bizin mont enn lakaz bout par bout, tranpe kan lapli tonbe…”, avance Sophie. “J’ai peur pour mes enfants. Je leur parle régulièrement des valeurs et de l’ampleur qu’a pris la drogue chez nous. Je sais que, malgré tout, la tentation d’aller vers l’argent facile est parfois plus forte. Quand un jeune voit ses pairs se faire de l’argent en peu de temps, alors qu’on lui demande d’étudier pour travailler plus tard pour quelques sous, son choix est vite fait”, dit-elle.
“Leur père ne changera pas”
Si, de son côté, Magali confie avoir coupé les ponts avec son ancien compagnon, elle explique qu’elle a, toutefois, accepté la requête de celui-ci pour la visite de ses enfants en prison. Mais elle lui en veut d’avoir brisé le foyer qu’elle avait essayé de construire avec lui. “Il n’a pratiquement pas connu notre dernier enfant. Il était en prison quand j’ai accouché. Mes enfants lui ont rendu visite quelques fois l’année dernière et iront le voir aux prochaines vacances. À chaque fois que les enfants rentrent de la prison, ils me racontent que leur père leur a dit qu’à sa sortie, nous allons vivre ensemble. J’ai toujours été franche avec mes enfants. Je leur ai expliqué que ce ne sera pas possible. Leur père ne changera pas ! Il s’est retrouvé en prison le jour même de sa liberté conditionnelle ! J’ai appris qu’il se débrouillait pour obtenir et consommer de la drogue. Je ne veux plus vivre ce qu’il nous a infligé dans le passé”, affirme Magali.