Abus sexuels sur enfants et trafic humain : L’ONU déplore « le manque criant d’informations et de données réelles »

— Éducation sexuelle « inexistante » et  « accroissement du nombre de jeunes filles cherchant des Sugar Daddies »

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— « Aucun rapport national qualitatif sur l’exploitation sexuelle commerciale des enfants depuis… 2003 »

Mama Fatima Singhateh, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la vente et l’exploitation sexuelle des enfants, y compris la prostitution, la pornographie enfantine et d’autres matériels d’exploitation sexuelle des enfants, était en mission à Maurice du 21 au 30 juin 2022, à l’invitation du gouvernement mauricien. Elle a présenté son rapport au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies en début de mois dans le cadre d’un dialogue interactif avec plusieurs partenaires concernés dans ce secteur. Durant son séjour à Maurice, elle a rencontré le Premier ministre,  Pravind Jugnauth, et la ministre de l’Égalité des Genres, Kalpana Koonjoo-Shah, ainsi que des responsables d’agences étatiques et de la société civile, entre autres. Elle s’est également rendue à Rodrigues pour un exercice similaire.

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Dans son rapport d’une vingtaine de pages, Mama Fatima Singhateh explique d’emblée qu’elle ne peut établir « the actual extent and prevalence of various manifestations of sexual abuse and exploitation is unknown, due to the clandestine nature of these offences, and the lack of comprehensive, disaggregated and systematically collected data on the number of cases reported and the investigations and prosecutions undertaken ».

Elle poursuit : « the lack of cohesive data- sharing among various child protection agencies is further exacerbated by underreporting, owing to the lack of awareness, and to prevailing societal and religious barriers, which include stigma, shame and negligence surrounding the issue of sexual abuse and exploitation of children. »

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Dans la même veine, saluant les données statistiques reçues des nombreuses agences gouvernementales et de la Children’s Court, l’envoyée spéciale de l’ONU dit « regretter cependant que les données n’étaient pas consolidées et désagrégées en ce qui concerne le nombre de cas signalés, d’enquêtes et de poursuites, et les condamnations prononcées ». De fait, Mama Fatima Singhateh explique : « ces données fragmentaires reçues ne me permettent pas de réfléchir de manière significative sur la portée et prévalence du phénomène à Maurice ».

La rapporteuse spéciale retient également le fait que le dernier rapport national qualitatif sur le phénomène du commerce sexuel d’exploitation des enfants avait été commandité en 2003 par le ministère de tutelle de l’époque et l’Unicef, et avait été réalisé par l’Université de Maurice (UoM). Durant ces 20 dernières années, aucune autre étude qualitative n’a été entreprise. Le rapport de 2003 révélait que « l’exploitation sexuelle à caractère commerciale n’est pas un phénomène nouveau dans le pays, et a été bien présent au moins une demi-décennie avant ».

Le cas de Maurice en tant que destination de tourisme sexuel est bien entendu abordé dans le rapport de Mama Fatima Singhateh. Elle déclare ainsi : « le pays se classe parmi les dix destinations majeures de tourisme sexuel en Afrique. En 2015, le Comité des Droits de l’Enfant avait exprimé ses inquiétudes quant à l’augmentation de ce type de cas. Hélas, encore une fois l’absence de signalement systématique et obligatoire et d’enquête sur les délits sexuels contre des enfants avait été déplorée. »

La rapporteuse spéciale explique qu’elle a été informée des difficultés et défis rencontrés par les policiers dans le processus de détection et d’identification, ainsi que pour référer et enquêter sur des cas potentiels de tourisme sexuel impliquant des enfants, « de même que le manque d’incitation de la population à divulguer ces cas ». Mama Fatima Singhateh dit aussi remarquer : « les agences sous la tutelle du ministère du Tourisme sont davantage préoccupées par la supervision de la réglementation du tourisme et la licence des opérateurs. Elles ne semblent pas être au courant du code de conduite pour la protection des enfants dans les voyages et le tourisme. »

Le manque de formation est également décrié. De fait,  la rédactrice du rapport souligne que « ces agences n’ont ni considéré ni perçu l’importance de surveiller et d’enquêter des endroits tels que les hôtels, les discothèques, les clubs privés et les boîtes de nuit, qui serviraient de points de contact pour recruter des enfants victimes ».

Les abus sexuels dans le circuit fermé des familles et de confiance et l’exploitation de mineurs via l’Internet occupent aussi une large part du rapport. Ainsi, Mama Fatima Singhateh dit avoir appris que « some cultures did not give importance to issues of privacy or child body consent ».

Elle continue : « children are often intimidated into not telling their stories; they do not speak, out of fear of retaliation, of being judged or of being disbelieved, and cases of alleged abuse are concealed to preserve the family’s honour or to protect children from stigmatization. There are also communication barriers between parents and children on the topic of sex and sexual abuse. »

Mama Fatima Singhateh mentionne d’autre part des « anecdotal evidence » recueillies, et qui établissent, selon elle, que des cas d’exploitation surviennent dans des cercles fermés et de confiance. « D’où des cas d’inceste et de so-called cross generational sex perpetrated Sugar Daddies. » La rapporteuse spéciale explique qu’elle a appris que « le nombre de jeunes filles/enfants aspirant à avoir des Sugar Daddies est en hausse » et que ces jeunes victimes ne comprennent nullement la nature abusive de ces relations. « Elles cataloguent de ce fait ces liens comme des relations d’affection, échangeant des faveurs sexuelles contre des cadeaux, paiements et autres. »

Au chapitre de l’accessibilité des enfants à l’Internet, la rapporteuse spéciale donne les chiffres de 2018, indiquant que 55,6% des Mauriciens sont connectés au net et qu’il y aurait 151,2 abonnés aux téléphones portables pour 100 personnes. Elle poursuit : « Online sexual exploitation, grooming, exchange of content and bullying on social media and in schools was problematic. And that the numbers reported did not reflect the extent of this phenomenon. Efforts to address the upsurge in the number of cases in the context of the pandemic had been on ad hoc basis. »

Le rapport évoque aussi les incidents qui se sont déroulés en 2021, avec le scandale sur l’application de réseau social Telegram, où de jeunes Mauriciennes avaient découvert des photos d’elles nues circuler librement et sans leur consentement. La rapporteuse spéciale explique que « bien que la police et la Cybercrime Unit aient enquêté, ce n’est pas clair qu’il y ait eu des poursuites entamées ».

Saluant des avancées, comme la Children’s Act et la loi concernant l’adoption, Mama Fatima Singhateh souligne cependant : « Cette loi (la Children’s Act, Ndlr) ne prévoit rien pour les cas de vente d’enfant. Pourtant, fort de certaines rencontres, la vente d’enfants pour les besoins d’adoption est bien réelle ! »

La rapporteuse spéciale fait enfin une série de recommandations et de suggestions pour « consolider les cadres légaux déjà existants ou nouveaux en vue de combattre l’augmentation des cas d’exploitation sexuelle commerciale des enfants ». Elle aborde aussi l’aspect de collaboration avec les instances internationales. Pour sa part, l’État mauricien a pris l’engagement de mettre sur pied un comité technique pour plancher sur les Findings du rapport et mettre en chantier des projets en amont.

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Éducation sexuelle inexistante

Mama Fatima Singhateh fait ressortir que « malgré l’accès au transport gratuit et d’autres facilités fournies, le taux d’abandon scolaire est plutôt élevé ». Notant, dans la même veine que « sex education in school is allegedly inadequate and is not sufficiently tailored to meet the real issues faced by teenagers and pre-teenagers », la rapporteuse spéciale cite l’Ombudsperson for the Children Rita Venkatasawmy à l’effet qu’ « une éducation sexuelle complète et adéquate devrait devenir obligatoire dans toutes les écoles primaires et secondaires. Aux côtés des éducateurs sexuels, les parents et les autres parties prenantes concernées, telles que les professionnels de la santé, pourraient devenir des partenaires actifs dans la prestation d’un solide programme d’éducation sexuelle à la maison et dans la communauté. »

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Réactions

Mariam Gopaul, consultante :

« J’étais personnellement attachée à l’Unicef pour le rapport de 2003. Déjà, les Findings étaient accablants. Le point positif, dans le présent exercice, c’est que le gouvernement a déjà réagi et expliqué qu’il mettait sur pied un comité technique pour plancher sur les conclusions et recommandations des deux rapports successifs sur l’enfance maltraitée et abusée sexuellement. C’est tant mieux. Car autant Mama Fatima Singhateh que ceux qui ont fait le précédent rapport, le travail continue, et Maurice est attendue au tournant. Souhaitons surtout que ce ne sera pas qu’un document, de la théorie qui sera présentée, et que de véritables actions suivront. »

Rita Venkatasawmy, Ombudsperson for the Children :

« Le travail de la rapporteuse spéciale est le fruit d’un exercice méthodique et scientifique. Il pèse ainsi de tout son poids dans la balance et mérite amplement que l’on s’attarde sur ses recommandations. De notre côté, au bureau de l’Ombudsperson for the Children, avec le nombre de cas d’enfants abusés et exploités que nous recevons chaque semaine, nous planchons déjà sur un travail visant à mettre en pratique ses conseils. Parallèlement, nous souhaitons que toutes les agences et tous les prestataires concernés dans ce domaine suivent la même tendance afin que nous puissions dégager une synergie nationale dans ce combat. »

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