Port-Louis : Coup d’accélérateur pour la démolition des structures recouvrant le Ruisseau du Pouce

Sur la liste figure aussi le bâtiment du fast-food KFC et les aires de stationnement de Rogers & Co Ltd La mairie entend ainsi suivre à la lettre les recommandations de la Senior magistrate Ida Dookhy-Rambarun 

La municipalité de Port-Louis ne compte pas faire marche arrière en ce qu’il s’agit de la destruction des structures en béton recouvrant le Ruisseau du Pouce, où une cinquantaine de marchands opèrent depuis 2006. C’est ce qui ressort de la dernière séance du conseil qui s’est déroulée mercredi. Cette décision intervient dix ans après les inondations meurtrières survenues à Port-Louis, qui ont fait l’objet d’une cérémonie commémorative, jeudi. La mairie entend ainsi suivre à la lettre les recommandations déposées, le 29 décembre 2015, par la Senior magistrate Ida Dookhy-Rambarun à qui il incombait la tâche de présider l’enquête judiciaire sur les causes ayant conduit à ce triste épisode. Le bâtiment du fast-food KFC, sis rue la Chaussée, et les aires de stationnement de Rogers & Co Ltd seront aussi démolis.

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C’est en 2006, après avoir arpenté les rues de la capitale durant moult années pour écouler leurs produits, qu’une cinquantaine de marchands consentent à intégrer le secteur formel en s’installant sur la structure en béton aménagée par la mairie au-dessus du Ruisseau du Pouce, en face du Jardin de la Compagnie. Cette foire, dédiée aux vêtements et aux aliments, et accessible à toutes les bourses, devient au fil du temps un lieu très fréquenté et se fond naturellement dans le paysage urbain, pour le plus grand bonheur des commerçants. Sauf que le vent va tourner à la suite des inondations meurtrières du 30 mars 2013 ayant coûté la vie à 11 personnes.

Le 29 décembre 2015, soit après vingt et un mois d’enquête menée au niveau judiciaire, la Senior Magistrate de la Cour de district de Port-Louis, Ida Dookhy-Rambarun, dépose son rapport, riche d’enseignements, sur les circonstances entourant les inondations du 30 mars 2013.  Cette dernière n’a pas lésiné sur les moyens pour mener à bien son entreprise en descendant dans le « tunnel de la mort », au Port-Louis Waterfront, le 12 mai 2014. Accompagnée d’enquêteurs du Scene of Crime Office (SOCO) et des avocats des différentes parties, elle est venue voir d’un bout à l’autre de la capitale le parcours de forts courants d’eau qui ont balayé Port-Louis le samedi 30 mars 2013. Ida Dookhy-Ramburrun est venue constater aussi les dispositifs de sécurité en place dans le tunnel où six personnes sont mortes noyées.

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Après avoir écouté une centaine de témoins de divers horizons, elle dévoile ses conclusions dans son rapport rédigé en 441 lignes sur 16 pages, dont une vingtaine consacrées à des recommandations. La Senior Magistrate fait feu de tout bois contre la station de météorologie nationale pour n’avoir pas su prévenir à temps la population de la dangerosité des conditions climatiques, tout en établissant que bon nombre d’autres institutions publiques, parapubliques et privées du pays ont lamentablement failli à leur devoir envers les citoyens en ce jour fatidique, dont State Property Development Co. Ltd (SPDC) qui , en collaboration avec Rogers & Co Ltd, avait construit, dans les années 1990, un parking vis-à-vis de Rogers House sur un water course.

« Le Ruisseau du Pouce n’avait pu contenir toute la masse… »

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Le rapport met l’accent sur la quantité considérable d’eau ayant dévalé de la montagne des Signaux.  Le Ruisseau du Pouce, une des principales voies d’évacuation d’eau vers la mer dans la Cité de Port-Louis et qui a été aménagée depuis le début de la colonie, n’avait pu contenir, selon elle, toute la masse et l’eau avait débordé sur les rues en courants meurtriers et dévastateurs. La destruction des structures en béton recouvrant lesdits drains figure alors en tête de liste des recommandations de la Senior Magistrate. Après des années de tergiversations, la mairie de Port-Louis semble enfin  vouloir donner un coup d’accélérateur à la démolition des structures épinglées dans le rapport, quand bien même une vingtaine de marchands refusent d’évacuer le site du Ruisseau du Pouce. Ils se sont d’ailleurs tournés vers la Cour suprême en avril 2022 pour contester cette décision.

Le procès se poursuit, mais les avocats de la mairie ont laissé entendre qu’en l’absence d’un ordre de la Cour, les autorités peuvent détruire les étals des marchands n’opposant pas de résistance. La mairie a déjà lancé un appel d’offres pour désigner le contracteur qui aura la tâche de démolir les structures qui comprennent également le bâtiment de KFC et les aires de stationnement de Rogers & Co Ltd.

Une stèle érigée en mémoire des victimes

Les évènements tragiques survenus le 30 mars 2013 sont à marquer d’une pierre noire pour le pays. Les personnes traumatisées par cet épisode ne sont pas seulement les familles endeuillées ou les survivants miraculés ni ceux qui avaient été spectateurs du désastre, pris eux-mêmes dans la panique et l’impossibilité de comprendre. Tout le pays s’est arrêté ce jour-là et la plupart des  Mauriciens se souviendront forcément de ce qu’ils faisaient ce jour noir fatidique en découvrant les vidéos glaçantes. Pour rendre hommage à leurs êtres disparus, les parents des victimes se sont recueillis, jeudi, au Caudan Waterfront, où une stèle a été érigée en leur mémoire. Le PM, Pravind Jugnauth, et  le lord-maire, Mahfooz Moussa Cadersaib, étaient présents à leurs côtés.

Pour rappel, les corps de Sylvia Wright et de son fils Jeffrey, de Toolsee Ram Ramdhari, de Pravin kumar Khoosye, de Karmish Salagram Tewary et Dhanraj Saligram Tewary ont été repêchés en dehors du tunnel du Caudan. Rabindranath Bhobany et Fan Lan Wong Tat Chong Lai Kim ont été retirés du parking souterrain. Retnon Sithanen, qui était tombé accidentellement dans le Ruisseau du Pouce, a été retrouvé sans vie au Jardin de la Compagnie, et Stevenson Henriette avait atterri dans des débris entassés près de KFC, à La Chaussée. Les circonstances de la mort d’Henriette n’ont pu être élucidées, mais il est permis de croire qu’il a pu être surpris par les torrents.

Le rapport (1979) ignoré par les autorités

Le témoignage de l’historien et archiviste Georges Lewis Easton, qui avait été approché par le DPP, a permis de porter un éclairage sur les circonstances ayant mené à des risques d’inondation dans la capitale. L’historien avait puisé dans des textes historiques d’écrivains, à l’instar d’Auguste Toussaint, afin d’aboutir à un rapport détaillé sur les inondations ayant précédemment affecté l’île et les causes de ces montées drastiques d’eau. Il a produit un rapport, datant de 1979, interdisant formellement de construire des bâtiments près du Jardin de la Compagnie jusqu’au Champ de Mars afin d’éviter des risques d’inondation.

Georges Lewis Easton avait évoqué les débuts de la colonisation française dans l’île lorsque le Jardin de la Compagnie et les ruisseaux du Pouce avaient été construits. Il en découle que le Jardin de la Compagnie était à l’époque un terrain marécageux impraticable et que la communication entre les différentes régions de la capitale était difficile. Le 1er juillet 1979, la construction de la rue La Chaussée, reliant la Government House au Ward 4, avait commencé en proposant de concentrer les eaux émanant des ruisseaux du Pouce derrière l’actuelle rue La Poudrière pour qu’il puisse se répandre vers les rivages aux côtes des Salines. Des aménagements fustigés par Georges Lewis Easton : « On a fait des choses contre nature et on n’a pas observé cette notion d’équilibre nature-urbanisation. Si vous construisez de droite à gauche, vous obstruerez le passage naturel. Un rapport datant de 1979 avait formellement interdit ces aménagements, mais les autorités n’ont fait qu’à leur tête. »

Ce témoignage a donc valu son pesant d’or dans la décision de la Senior Magistrate d’ordonner, outre les structures recouvrant le Ruisseau du Pouce, la destruction du bâtiment abritant KFC, aménagé sur  un drain qui, à en croire le rapport de la magistrate, demeure un gros obstacle à l’écoulement de l’eau.

 

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