Parlement : Suspensions entérinées, menaces énoncées et excuses réclamées

Bras de fer tendu Duval v/s Obeegadoo sur fond de la reprise des terres aux associations socioculturelles

Les travaux ajournés au 2 juin, date de la présentation du budget

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La députée MMM Arianne Navarre-Marie suspendue pour cinq séances

Le Parlement sera à nouveau au repos ce mardi, avant de reprendre ses droits vendredi. Pour cause : la présentation prévue du 4e budget du ministre de tutelle, Renganaden Padayachy.

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Un exercice qui s’inscrit dans une conjoncture de baisse drastique du pouvoir d’achat des Mauriciens et, en prime, le renvoi des élections municipales. Renvoi contesté par les membres de l’opposition, ainsi que par l’opposition extraparlementaire.

Alors que siégeait le Parlement, les membres de Rezistans ek Alternativ se sont rendus au Prime Minister’s Office afin de déposer une lettre contestant le Local Government Bill et le renvoi des élections municipales.

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La correspondance, adressée au Premier ministre, Pravind Jugnauth, est signée par tous les partis de l’opposition parlementaire et extraparlementaire : le PTr, le MMM, le PMSD, le RM, ReA, LPM, RP, En Avant Maurice et Idéal Démocratique. Le même jour, alors qu’était débattu le Local Amendment Bill, les membres de REA ont aussi organisé une marche pacifique autour du Parlement. En signe de leur protestation, les membres de ReA, de noir vêtus, ont marché en silence, symbole du reniement des droits civiques et de la démocratie.

L’ajournement des travaux parlementaires à vendredi est sans surprise. Cela, en marge de la présentation du budget vendredi. Il faut dire toutefois que mardi dernier, les parlementaires n’ont pas chômé au cours des débats qui ont duré jusqu’à 2h55 le mercredi matin avec l’adoption du Local Amendment Bill comme souhaité par le gouvernement.

Une séance longue et électrique dès le départ, et qui a vu la suspension, pour la première fois, du député de l’opposition et leader du Rassemblement Mauricien (RM), Nando Bodha. Plus tôt dans la journée, dès le début de la séance d’ailleurs, c’est la députée du MMM Arianne Navarre-Marie, déjà expulsée la semaine dernière, qui, cette fois, après une motion du Premier ministre, Pravind Jugnauth, secondée par le DPM Steven Obeegadoo, a été expulsée pour la séance du jour et suspendue pour les quatre prochaines séances.

Cela, en raison, selon le Speaker, des vifs échanges de la semaine dernière, alors que la députée du MMM déplorait que la PPS Dorine Chukowry avait porté des accusations inexactes à son encontre. Ce qui avait provoqué des hostilités dans la Chambre, plus particulièrement entre le ministre Stephan Toussaint et Arianne Navarre-Marie. Mardi donc, le Speaker, après avoir écouté la bande audio, a demandé la suspension de la députée du MMM.

Une suspension qui a pris de court les membres de l’opposition, qui — ne cherchant pas à entrer dans le jeu de provocation — n’ont pas protesté, si ce n’est pour soufflé de timides « Shame ! » Et Arianne Navarre-Marie n’a eu d’autre choix que de quitter la chambre, non sans avoir aussi lancé un : « Shame on you ! »

Ainsi, dès le début de la séance parlementaire, le ton était donné pour une séance houleuse. Et l’humeur du Speaker, Sooroojdev Phokeer, n’est pas passée inaperçue. Même le leader de l’opposition, plusieurs fois rappelé à l’ordre par le Speaker, n’est pas resté de marbre. En effet, si Xavier Duval, encore avec des séquelles de sa mauvaise grippe de la semaine dernière, avait quelque peu de mal à parler, il a tout de même fait entendre sa voix face au DPM et ministre des Terres et du Logement, Steven Obeegadoo, qui répondait à la Private Notice Question (PNQ) axée sur l’allocation de terres à quatre organisations socioculturelles à Réduit. La longue réponse du DPM, qui a repris sa réponse à une question du député MMM Deven Nagalingum la semaine dernière sur le sujet, a visiblement agacé Xavier Duval, qui estimait que le ministre essayait de noyer le poisson.

Il devait faire ressortir que les membres des organisations socioculturelles concernées par le changement de terrain ne sont pas satisfaits. Mais Xavier Duval, qui a cherché l’intervention du Speaker à plusieurs reprises, s’est heurté à un mur. Sooroojdev Phokeer devait même à un moment lui indiquer “You are making an abuse”. Ce qui a ouvert la voie de l’autre côté de la chambre aux critiques contre l’opposition.

Le DPM Obeegadoo a saisi l’occasion pour avancer que les membres l’opposition, dont le PMSD, n’ont aucun respect pour les différentes communautés et font des allégations sans fondement au Parlement. Dans les rangs du gouvernement, on a pu entendre le ministre des Infrastructures publiques, Bobby Hurreeram, lancer : “So torti ine perdi, les li”.

Dans sa longue réponse, Steven Obeegadoo a indiqué que les dirigeants des associations socioculturelles concernées n’étaient pas totalement satisfaits du terrain offert à La Vigie en échange de celui de Réduit Triangle que le gouvernement reprend pour des projets en cohérence avec ce qui existe déjà dans la région, notamment un medical hub.

Le DPM a ainsi avancé que les dirigeants de l’Hindi Speaking Union, de l’Urdu Speaking Union et du Mauritius Tamil Cultural Centre Trust avaient rencontré le PM la veille et le chef du gouvernement a offert aux représentants de ces organisations un terrain en échange à Hermitage, Côte d’Or.

Suite à cette réunion avec le PM, les représentants des quatre organisations — à l’exception des dirigeants de l’Indo Mauritian Catholic Association, qui étaient invités mais étaient absents et ont présenté des excuses — ont visité le nouveau site en présence du ministre des Arts et du Patrimoine culturel le mardi matin, a fièrement annoncé le ministre, en soutenant qu’ « ils ont exprimé leur satisfaction. Il ne leur reste qu’à confirmer. » Il devait aussi avancer que le conseil d’administration du Mauritius Tamil Cultural Centre Trust s’était réuni mardi matin et avait accepté le terrain proposé à Côte d’Or.

L’exaspération du leader de l’opposition, qui a à plusieurs reprises regardé l’horloge du Parlement, était palpable au-devant des longues descriptions faites par le DPM. Mais lorsque Xavier Duval a tenté de soulever un point de droit, notamment pour obtenir davantage de temps pour la PNQ, du fait que le ministre des Terres et du Logement avait pris près de douze minutes lors de sa réponse liminaire, Steven Obeedagoo s’y est fermement opposé. Il a fait comprendre qu’il n’allait pas lui céder la parole.

Le Speaker, qui est intervenu, a lui indiqué au leader de l’opposition en le pointant du doigt : « Je vous donne la parole ; If you do not have a point of order, you will have to apologize ! »

Une phrase que Xavier Duval a prise comme une menace. À quoi le leader du PMSD a rétorqué “de quel droit vous me menacez ?” Xavier Duval ne s’est pas laissé intimider et a ajouté : “Why are you threatening me… What right do you have to threaten me before I ask a point of order ? You think it fit to threaten me ? Who are you ?” À quoi le Speaker lui a prétendu : “I am not threatening you, I am reminding you.” Sur la lancée, le leader de l’opposition a demandé à Sooroojdev Phokeer : “I will advise you to never threaten me”. Toujours pour avoir le dernier mot, le Speaker lui a répondu : “Don’t fight the chair. I am here to protect you.”

Ce qui n’a pas empêché Xavier Duval d’interpeller le ministre des Terres et du Logement sur l’empressement du gouvernement à récupérer ces terrains. Il devait alors profiter pour lancer le nom du promoteur — le groupe Nundun Gopee — derrière le futur développement attendu dans le triangle de Réduit, notamment un projet médical, et pour lequel ces terres ont été reprises des associations socioculturelles. Le ministre n’a ni infirmé ni confirmé le nom du promoteur.

Le Local Government (Amendment) Bill voté sans amendement

Le Local Government (Amendment) Bill, avec pour toile de fond le report des élections municipales, a été voté sans amendement mercredi matin à 2h55, après plus de 12h de débats. Un renvoi, défendu bec et ongles par les membres du gouvernement, qui sonne le glas des ambitions affichées par les élus de l’opposition d’acculer la majorité à cette joute. Si les députés du bloc PTr-MMM-PMSD ont pu aller au bout de leurs récriminations, tel n’a pas été le cas pour le leader du RM, Nando Bodha, qui a été expulsé par le Speaker au bout de quelques minutes de discours, au motif d’avoir refusé de withdraw les termes « pourries et cadenassées », qu’il a utilisés pour qualifier les institutions du pays.

Sans grande surprise, le GM n’a pas changé son fusil d’épaule face à la fronde des parlementaires de l’opposition contre lesdits amendements permettant de repousser les élections municipales jusqu’en juin 2025. Ces derniers ont abondé dans le même sens en soutenant que le Premier ministre s’est saisi d’un prétexte fallacieux et antidémocratique pour « éviter une cinglante défaite à cette joute. »

La réplique des membres du gouvernement s’est articulée autour des précédentes échéances électorales ayant été reportées depuis 1968. Lors de son summing-up, le vice-Premier ministre et ministre des Administrations régionales, Anwar Husnoo, a soutenu que l’opposition font montre d’une mémoire sélective : « Ces mêmes personnes ont, à maintes reprises, renvoyé les élections. Some of them did not take part in the 2015 municipal elections and they have the guts to comment. »

Le député PTr Shakeel Mohamed avait pourtant tenté, quelques heures auparavant, de refroidir les ardeurs des élus de la majorité en insistant sur le fait que « ce n’est pas parce que tel ou tel parti a fait cela qu’on doit répéter la même erreur. Un député a fait référence à un renvoi des élections en 1972. Si nous avions tort en 1972, est-ce que cela veut dire que vous avez raison maintenant ? Pourquoi se préoccupe-t-on de ce qui s’est passé en 1972, alors que nous sommes en 2023 ? »

« Remercier le GM pour ce renvoi »

Xavier Duval, qui a été le premier à intervenir au nom de l’opposition, n’est pas allé avec le dos de la cuillère en taxant le report desdites élections comme étant « un viol de la démocratie. On peut avoir toutes sortes de situations, sauf qu’empêcher les gens d’exercer leur droit de vote, c’est enfreindre la démocratie. » Le chef de file du PTr, Arvin Boolell, n’a pas fait dans la dentelle non plus en martelant que « this bill has to be thrown into the dustbin of history. » En repoussant les élections municipales, dit-il, « le droit de vote est refusé à 50% de l’électorat. ».

Le député PTr Patrick Assirvaden a fait un pied de nez à son homologue de la circonscription N°15 Gilbert Bablee lors de son discours : « Les raisons qui nous sont avancées ne tiennent pas la route. Même à Manhattan et à New York, on a des terrains de foot et des jardins d’enfants à l’abandon. Ce n’est qu’en 2025 que les citadins auront l’occasion de décider qui va gérer leur ville. C’est aberrant. »

Donnant la réplique au député rouge, le ministre Joe Lesjongard a souligné que « tous les partis présents au Parlement, à l’exception du RM de Nando Bodha, ont déjà renvoyé des élections », avant d’ironiser sur le fait que « l’alliance Bérenger-Ramgoolam-Duval a été incapable de tenir un rassemblement le 1er mai. Du coup, les principaux partis de l’opposition doivent en quelque sorte remercier le gouvernement pour ce renvoi. »

Rajesh Bhagwan, qui faisait son retour dans l’hémicycle après sa suspension pour cinq séances, a sans doute pris note de l’intervention de Joe Lesjongard, auquel il a répliqué en ces termes : « Quand j’ai entendu Joe Lesjongard se vanter d’avoir réuni 20 000 personnes à son meeting du 1er mai, je me suis dit : aster zot donn eleksion… Que nenni ! On le sait tous, le PM a commandité son rapport. Si aujourd’hui nous en sommes là, karay so, zafer pa bon pou zot ! »

« Karay so, zafer pa bon pou zot ! »

Une séquence interrompue par les quolibets et protestations émanant des rangs de l’opposition et de la majorité respectivement, avant que Rajesh Bhagwan ne rajoute dans la foulée : « Attendez, vous aurez le temps d’intervenir tout à l’heure. J’ai été sage et tranquille depuis ce matin, une fois n’est pas coutume. » Le député mauve n’avait pas broché au tout début de la séance lorsque le Speaker a annoncé la suspension de sa collègue Arianne Navarre-Marie pour cinq sessions parlementaires.

Lors de son intervention, le PM a donné l’assurance que les élections municipales se tiendraient au plus tard en mai 2025. Pravind Jugnauth a aussi annoncé la mise sur pied de deux comités techniques qui travailleront sur les réformes devant être apportées aux collectivités locales avant de soumettre leurs propositions avant la rentrée parlementaire 2024. Les travaux de la séance de mardi dernier ont été ajournés au 2 juin, date de la présentation du budget.

PMQT : Pas de Freedom of Information Bill à l’agenda

Le GM ne présentera aucun Freedom of Information Bill. C’est ce qu’a laissé comprendre le Premier ministre, Pravind Jugnauth, qui répondait à une question du député MMM Deven Nagalingum sur le sujet mardi dernier lors du Prime Minister’s Question Time (PMQT). Pour cette tranche, contrairement à l’habitude qui a pris ces dernières semaines, du moins pour répondre aux questions ayant trait à l’ancien régime, le chef du gouvernement a cette fois pris ses trente minutes pour une seule question. Et encore une fois, pour la deuxième fois en trois semaines, Deven Nagalingum n’a pas eu droit à une autre question supplémentaire à sa propre question. D’ailleurs, les backbenchers du gouvernement ne se sont pas eux privés pour intervenir et attirer l’attention du Speaker plusieurs fois.

Dans sa réponse, Pravind Jugnauth a ainsi indiqué que son gouvernement n’avait pas de projet pour la présentation d’un Freedom of Information Act. Par contre, s’est-il longuement appesanti, le gouvernement a pris une série de décisions afin qu’il y ait plus de transparence dans la gestion du pays. Parmi, la Declaration of Assets Act, ou encore la campagne de communication du Gouvernement Information Service, l’introduction d’un National Open Data Portal et la diffusion des travaux de l’Assemblée nationale…, souligne le PM. Le chef du gouvernement a fait comprendre qu’une Freedom of Information Act est « coûteuse » et que certains pays regrettent de l’avoir introduite.

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