Roches Noires, retrouvera-t-il enfin ses titres de noblesse ? Au projet du groupe français PR-Capital, qui se propose de faire du site de Roche Noires une Smart City intégrée, des entreprises phares de Maurice se sont regroupées afin de faire une contre-proposition aux autorités du pays sur l’utilisation de cet espace convoité. Au développement immobilier prévu et pratiquement au stade de proposition d’une nouvelle évaluation de l’impact sur l’environnement pour ce site qui comprend des zones écologiquement sensibles, est venu se greffer ce projet de création d’un « parc naturel pérenne et ouvert à tous » qui sollicite la collaboration des communautés locales, des ONG et des associations de défense de l’environnement de la région. L’idée majeure de ce projet, porté par les Groupes Eclosia, IBL, Currimjee, Scott et d’autres qui devraient les rejoindre sous peu, est de préserver ce site écologique fragile tout en favorisant la mise sur pied de « projets d’économie verte et bleue » pour développer Roches-Noires au profit de tous ses habitants. Le Collectif mauricien pour Roches Noires nous explique.
Le Collectif a déjà exprimé aux instances concernées, notamment l’administrateur, les deux banques BPCE et ABSA, ainsi qu’aux autorités, son intérêt pour la reprise du site et il travaille actuellement avec des experts environnementaux pour le guider sur la gouvernance et l’élaboration du projet. « Notre Collectif se propose de créer un parc naturel pérenne et ouvert à tous, connecté aux autres poumons verts de Maurice », nous indique le collectif. « L’objectif est de préserver et de régénérer l’écosystème de la zone en collaboration avec les acteurs locaux, et de faciliter l’émergence de projets d’économie verte et bleue qui seront bénéfiques à la région et à ses habitants. » Le projet se présente donc avant tout comme une alternative. « Ce projet, qui intègre les ONG actives dans la préservation de l’environnement, est en somme l’alternative “naturelle” pour Roches-Noires. Nous sommes convaincus que plus ce projet à dimension écotouristique attirera de visiteurs, plus les communautés locales en tireront des bénéfices », ajoute-t-il.
« Spécificités naturelles à préserver »
En effet, cette proposition de projet de parc naturel semble s’aligner avec la tendance mondiale qui se tourne de plus en plus vers une forme de tourisme plus vert en ligne avec les objectifs fixés de développement durable. « Le voyageur privilégiera de plus en plus les destinations sensibles à l’environnement. Cette tendance, encore plus forte depuis la pandémie, appelle des initiatives valorisant les atouts “verts” et authentiques de l’île. Dans un contexte de forte concurrence, la destination Maurice doit enrichir son offre en capitalisant sur ses facteurs de différenciation — la complémentarité mer-nature — et en élargissant le choix d’expériences pour le visiteur. Du “bird watching” aux pistes cyclables, ce projet a le potentiel de transformer Roches Noires en une attraction de premier plan », soutient le collectif.
De plus, les entreprises mauriciennes persistent et signent : « L’engagement que nous prenons est à long terme. » « Nous avons décidé que le montage financier serait établi de façon à garantir le respect, dans la durée, de l’esprit du projet. Nous avons choisi un modèle de conservation associant découverte, détente, éducation pour que tous puissent profiter du patrimoine environnemental et géologique unique du site, aujourd’hui et demain. Nous voulons créer une prospérité durable pour la région, en mettant en place, par exemple des partenariats avec des universités pour des projets de recherche appliquée en matière d’environnement. Notre but est que ce projet réponde aux attentes des habitants de Roches Noires pour une meilleure qualité de vie, tout en garantissant la préservation d’une zone vitale pour les générations futures. »
En outre, le Collectif mauricien pour Roches Noires semble bien conscient de la valeur environnementale d’une part et d’autre part de la fragilité de ce site. « Roches Noires a des spécificités naturelles uniques que nous devons préserver. C’est le tout premier facteur qui motive le projet du Collectif. Les mangroves qui s’y trouvent constituent un immense puits de carbone bleu. Ces écosystèmes stockent et séquestrent le carbone, contribuant ainsi à atténuer les changements climatiques. Notre pays aura besoin de ces forêts pour absorber ses émissions de carbone. Elles sont aussi des refuges et des zones de reproduction pour de nombreuses espèces. Les marécages agissent comme des filtres naturels des eaux fluviales. Les zones humides sont aussi des remparts précieux face aux risques cycloniques et aux risques d’inondation. Et Maurice doit pouvoir s’appuyer sur ces espaces naturels pour s’adapter au changement climatique. Enfin, les experts locaux et internationaux ont relevé à Roches Noires la présence de jeunes tunnels de lave, qui rendent la zone géologiquement attrayante », précise-t-il.
S’il est à ce stade trop tôt pour se projeter concrètement, le collectif est bien parti pour entamer les discussions. « Nous avons partagé notre projet avec certaines ONG engagées dans la préservation de l’environnement et les autorités locales. Il est accueilli très favorablement et nous mènerons, au moment opportun, des échanges plus approfondis avec les différentes parties prenantes. » Ainsi, le collectif soutient que « le projet contribuera à aider le pays à réaliser ses objectifs de neutralité carbone. Cette zone abrite des puits de carbone essentiels à cette trajectoire nationale. Il s’agit également d’un site riche en termes de biodiversité et de zones humides, sur lequel Maurice doit s’appuyer dans sa stratégie d’adaptation au changement climatique. Étudier la capacité de carbone de toute cette zone pourrait se faire en collaboration avec le National Parks and Conservation Service. »
Pour rappel, le site visé par les promoteurs locaux regroupés est un terrain privé de 358 arpents — qui représentent des actifs de la société Roches Noires Resort and Residence Ltd détenus par deux banques, la BCPE et ABSA. Ce terrain, qui a fait l’objet de convoitise assidue de consortiums et d’entreprises diverses, mais sans succès ces dix dernières années, est géré par un administrateur que le Collectif des entrepreneurs mauriciens a déjà approché pour y signifier son vif intérêt. Il comprend une zone classée écologiquement sensible (ESA) de première catégorie ainsi que d’autres marécages de diverses tailles, un barachois et des mangroves.
En conclusion, ce projet du collectif se démarque grandement de celui, à un stade avancé, de PR Capital, connu comme le Roches Noires Smart City, dont le but est de générer un Master Plan pour un développement à usage mixte en conformité avec le « Mauritius Smart City Scheme ». L’objectif est la nécessité d’établir une structure viable pour le site qui va permettre un usage complémentaire des terrains sous forme de commerce, de lieux de loisirs et résidentielles, en conservant l’intégrité écologique du site et de ses caractéristiques naturelles. Autant dire que la bataille sera âpre entre ces deux objectifs, et ces deux visions !
QUESTIONS À
Adi Teelock (Platform Moris Lanvironnman) : « Une bouffée d’air frais »
Que pensez-vous de la proposition faite par le Collectif mauricien pour Roches Noires de créer un parc naturel ?
Après près de 20 ans de propositions de méga projets immobiliers sur ce site d’une grande richesse naturelle et patrimoniale, l’annonce par ce collectif d’une proposition alternative à un projet immobilier arrive comme une bouffée d’air frais. Platform Moris Lanvironnman (PML) a toujours prôné pour le site de Roches Noires une préservation du terrain à des fins de réhabilitation et d’utilisation compatible avec sa nature.
Quels seraient, selon vous, les principaux éléments à prendre en compte dans cette nouvelle proposition de projet, surtout sur le plan environnemental ?
Dans nos commentaires sur le rapport EIA de PR Capital (Mauritius) Ltd d’avril 2022, nous nous étions élevés contre cette notion de considérer le site comme un vacant land sans aucune valeur, alors qu’il regorge de richesses et fournit des services écosystémiques vitaux. Cette riche biodiversité, les services écosystémiques fournis, la nature du sous-sol seront les principaux éléments à prendre en considération. Les marécages sur ce site ont une importance cruciale dans une zone où il n’y a aucun cours d’eau pour acheminer le ruissellement des eaux pluviales vers la mer. L’alignement avec les conventions internationales sur le climat, la biodiversité et la pollution est aussi à prendre en considération. Outre l’aspect strictement écologique et environnemental, il y a toute la question de la gouvernance et de l’inclusivité. Le collectif a annoncé que ce projet sera « citoyen et inclusif » — nous nous attendons donc qu’il sera aligné sur les Objectifs de développement durable et qu’il y aura un mécanisme de participation de citoyens et d’ONG.
Le gouvernement sera le dernier à trancher. Le tourisme vert est, selon vous, l’industrie à développer post-Covid ?
Le gouvernement a une grande responsabilité. Il devra démontrer qu’il walk the talk en matière d’atténuation et d’adaptation face au changement climatique ainsi que de ses nombreux autres engagements internationaux, sur la biodiversité, etc. Il doit aussi démontrer que lui-même est en accord dans le concret avec ses stratégies telles que celles sur la biodiversité, notamment le Mauritius Biodiversity Strategy and Action Plan (NBSAP) 2017-2025 et la Protected Area Network Expansion Strategy 2017-2026. Le tourisme est menacé depuis un moment par la montée des eaux et par le trop-plein de constructions sur le littoral. Il faudra donc certainement miser sur le tourisme vert.
Bernard Cayeux (MRU2025) : « On est favorable »
Le collectif MRU2025 avait proposé un projet similaire il y a quatre ans à Roches Noires, et les membres ne peuvent que se réjouir d’apprendre que les choses bougent dans le même sens pour la sauvegarde et la protection de ce site hautement sensible. « On est évidemment très favorable à la proposition qui a été faite à ce stade, car de toute évidence, il ne s’agit pas d’un développement foncier, donc pas beaucoup de béton ! Cependant, on s’attend à plus de transparence et surtout à la tenue des promesses annoncées », dit Bernard Cayeux.
« On avait dans le passé proposé un modèle qui s’apparente à celui de la vallée de Ferney, et là nous sommes agréablement surpris de voir que le projet va même plus loi. » Il explique que MRU2025 attend les premières consultations avec les le collectif mauricien pour Roches Noires en espérant qu’il y aura « un bottom to top decision-making » incluant en premier lieu les villageois eux-mêmes. « C’est d’ailleurs le principe même d’un géo parc pour un tourisme plus durable, mais nous pensons sincèrement qu’on aura un bon dialogue avec les nouveaux promoteurs », précise-t-il. De plus, il ajoute que la région a été earmarked pour être l’extension des réserves de la région, « ce qui veut dire que le gouvernement serait aussi impliqué dans la gestion d’une partie du parc. Rest à voir comment cela va se passer, mais en tout cas, c’est un grand pas en avant. »
Par ailleurs, Bernard Cayeux indique que MRU2025 a sollicité un expert pour entreprendre un survey auprès des villageois de Roches Noires. « On est en train de rédiger un rapport sur une évaluation sociale des gens de Roches Noires, qui sera publié dans les semaines à venir. On espère qu’il sera utilisé à bon escient. »
Gada Schaub-Condrau (Protégeons l’écosystème de Roches Noires) :« J’espère que cette démarche inclusive,
responsable et durable se concrétisera »
Le groupe Protégeons l’écosystème de Roches Noires (PERN) a plus de 4 000 abonnés sur Facebook et milite ardemment depuis des années pour protéger cette région, tant et trop convoitée par des promoteurs en tout genre. Gada Schaub-Condrau est l’un des membres les plus actifs du groupe.
À l’annonce du projet de parc naturel par le collectif mauricien de Roches Noires, elle répond : « L’alternative qui se profile aujourd’hui est une véritable bouffée d’oxygène. En tant que membre actif de la plateforme Protégeons l’écosystème de Roches Noires, j’espère que cette démarche inclusive, responsable et durable se concrétisera. Pour l’instant, nous ne connaissons pas encore les détails du projet, mais nous espérons en savoir plus prochainement. Roches Noires présente des caractéristiques écologiques et paysagères uniques qui méritent d’être préservées pour les générations futures. »
Elle explique par ailleurs que « Maurice abrite 17 zones clés pour la biodiversité listées qui font partie des hotspots de la biodiversité des Mascareignes. L’écosystème de Roches Noires en fait partie ! La presqu’île de Roches Noires est également une zone importante pour la conservation des oiseaux (Important Bird Area IBA). Le terrain abrite par ailleurs plusieurs Zones Écologiquement Sensibles (ESA), dont une classée en catégorie 1 (haute valeur de conservation, parmi les plus vulnérables). Le site est un écosystème complexe et constitue une véritable zone tampon interconnectée par des tunnels étroits ou simples fissures souterrains. Lors des récentes pluies diluviennes, l’écosystème de Roches Noires s’est autorégulé et a démontré toute son utilité. Préserver et valoriser en créant un vaste parc naturel me paraît donc essentiel. »
Lenine Aukhajan (District Council de Roches Noires) :« Notre position reste la même : on est ouvert aux discussions »
Lenine Aukhajan, président des forces vives et du District Council de Roches Noires, déclare d’emblée « qu’on est sur la bonne voie. » Très impliqué dans les affaires de son village, il explique que le plus important dans toute cette affaire c’est que « les villageois soient inclus dans les prises de décision. One ne veut pas que des décisions de telle envergure soient prises sur notre dos. On a vu dans le passé les projets fonciers dans la région et ce qu’il en est advenu. Je ne pense pas que Roches Noires méritait cela. » Le président du District Council pense ainsi que cette nouvelle proposition du collectif mauricien pour Roches Noires ouvre davantage le débat sur l’avenir de son village. « Nous avons initié les discussions avec le premier promoteur PR Capital et même s’il y a eu quelques échauffourées la dernière fois, les villageois ont pu s’exprimer », dit-il. Il attend ainsi que les nouveaux promoteurs leur donnent de plus amples détails sur ce projet « qui a pour ambition, si l’on a bien compris, de sauvegarder ces 800 arpents de terres. »
Arrmaan Shamachurn (SOS Patrimoine) :« Pour le bien-être de ce patrimoine naturel et géologique »
SOS Patrimoine a aussi pris position dans cette affaire. N’ayant pas pu participer à la dernière rencontre entre villageois et promoteurs de PR Capital, l’ONG avait publié sur sa page Facebook ses nombreuses recommandations, dont celle de créer un parc sur le terrain. Pour Arrmaan Shamachurn, président de SOS Patrimoine, « nous accueillons très positivement cette proposition, car nous avons nous-mêmes déjà fait la demande au bureau du ministre de l’Agro-Industrie en deux occasions pour considérer la désignation de cette région comme parc naturel en ligne avec la Protected Area Network Expansion Strategy (2017-2026) de ce ministère. En même temps, lors de la dernière réunion organisée par le conseil du village de Roches Noires, nous avons invité le promoteur et le conseil à venir nous dire pourquoi, au lieu d’une Smart City, on ne peut considérer la mise en place d’un National Regeneration Programme pour Roches Noires, où le village existant et le terrain de la Smart City pourraient être mis sous un Area Regeneration Plan. Et ce, afin que d’un côté des projets de développement ou de rénovation puissent être faits dans le village et de l’autre côté le Bras d’Eau National Park pourrait être étendu. Ainsi, nous souhaitons que le projet du collectif aille de l’avant et nous espérons qu’il recevra la collaboration des autorités concernées pour le bien-être de ce patrimoine naturel et géologique. »
Rezistans ek Alternativ :« Pas de commentaires à ce stade »
Le parti écosocialiste Rezistans ek Alternativ (ReA) n’a pas souhaité faire de commentaires à ce stade. Pour info, ReA avait déjà soumis ses commentaires publics l’an dernier. Dans une publication le 23 avril sur sa page Facebook, le parti répondait publiquement à l’invitation du promoteur PR Capital pour une première réunion publique et indiquait que « Rezistans ek Alternativ s’oppose à la destruction du Patrimoine naturel de Roches Noires, et à ce modèle économique aliénant et destructeur. La privatisation et l’accaparement du patrimoine naturel de la République de Maurice pour soutenir des activités foncières vont à l’encontre de l’intérêt national. »
Le parti demandait aussi que « le parc national de Bras d’eau soit étendu jusqu’aux zones humides de Roches Noires en passant par les réseaux de cavités souterraines, formant un UNESCO Global Geopark ; nous demandons à ce que les habitants de la région allant de Rivière-du-Rempart, Roches Noires à Flacq puissent agir comme les gardiens de ce patrimoine naturel ; décider et implémenter des modèles économiques durables intégrés à ce patrimoine naturel dont ils seront les principaux bénéficiaires économiques, en collaboration avec les autorités locales ; nous demandons que cette région de Roches Noires soit mise dans le domaine public, déclarée inconstructible, inaliénable, insaisissable et imprescriptible ; nous demandons à ce que les projets d’urbanisation soient déplacés à plus d’un kilomètre de la ligne de marée haute à l’intérieur des terres. »
Rezistans ek Alternativ demande aussi « une prise de position publique du National Ramsar Committee concernant le projet du promoteur » et que « l’État Mauricien initie une demande de Ramsar Advisory Mission (RAM) à la commission Ramsar pour avoir le support et l’expertise nécessaire. »