La semaine qui vient de se terminer a normalement de quoi pleinement réjouir le camp de Yogita Baboo puisqu’elle a eu le soutien de la Fédération Internationale du Transport (FIT) qui a donné un carton rouge au gouvernement de Pravind Jugnauth, que sa manifestation organisée par les Syndicats avec Radhakrishna Sadien en tête dans les rues de la capitale a été un succès et, enfin, ce qui apparaissait au premier abord une bonne nouvelle, que le litige MK/Baboo soit référé à l’ERT. La cerise sur le gâteau fut l’annonce d’une rencontre Soodesh Callichurn et son homologue de la Santé, Kailash Jugatpal qui auraient agréé à enlever, d’ici peu, l’obstacle de la vaccination obligatoire pour la reprise du travail dans les secteurs spécifiques, à l’instar de MK, avec l’abrogation probable de la Quarantine Act à la fin du mois d’août. Mais dans ce ciel dégagé, des zones de turbulences perdurent…
En effet, outre la persistance d’Air Mauritius, un macadam, et non des moindres, s’est instillé dans ce climat public d’apaisement et de désamorçage de la crise entre Yogita Baboo et Air Mauritius. Il concerne les procédures préalables à l’enquête du ministère du Travail et le transfert du dossier à l’ERT. Selon l’entourage de Yogita Baboo, au ministère, on souhaiterait qu’elle fasse son statement avant la demande de sa réintégration et que ce n’est qu’après que le ministère démarrera son enquête. Pourtant, le ministre Callichurn avait annoncé dans la presse que l’enquête avait déjà commencé. Pour le clan Baboo, « c’est le monde à l’envers » car la demande approuvée lors de la réunion, lundi, est que le ministère complète son rapport pour qu’elle puisse « filer » au ministère son statement bona fide après.
Pour clarifier la situation, Radhakrishna Sadien, président de la State Employees Federation, compte demander par lettre au ministre de nous faire le point sur l’enquête dont il a fait état dans les médias à la suite du limogeage de Mme Baboo. Le syndicaliste compte demander au ministère d’ajouter les questions suivantes si celles-là ne font pas partie de ses terms of reference :
- S’enquérir en quoi les déclarations faites par madame Baboo sont infondées, erronées et trompeuses
- De préciser quelles sont les informations confidentielles de MK qui ne devraient pas être dites en public, comme cela a été confirmé dans une lettre de MK datée du 23 juin
- D’enquêter sur les raisons pour lesquelles MK a refusé l’avis du ministère du Travail lors de la réunion de conciliation présidée par son conseiller M. Caremben
- D’enquêter sur la violation des articles 29, 30 et 31 de l’ERAct ainsi que de la convention 98 de l’OI, et de faire des recommandations appropriées en conséquence
- Pour voir si le comité disciplinaire ne doit pas être déclaré nul et non avenu, car sa mise en place est contraire à l’article 31 de l’ERAct, et enfin
- D’enquêter sur les raisons pour lesquelles MK n’a jamais répondu à toutes les demandes de rencontre du syndicat concernant les problèmes rencontrés par les membres d’équipage navigant.
La FIT accuse le GM d’oppression
Exprimant son adhésion à la manifestation du front syndical, mercredi dernier, à Port-Louis, la Fédération internationale du Transport (FIT) a réitéré son soutien à la présidente de l’Air Mauritius Cabin Crew Association(AMCCA), Yogita Baboo, licenciée par la compagnie d’aviation nationale, Air Mauritius, le 10 juillet dernier, en fustigeant ce qu’il considère être un acte d’intimidation syndicale. La FIT fait ainsi un pressant appel au GM, qu’il accuse de « permitting oppression », pour intervenir auprès de MK en faveur de la réintégration sans conditions de la syndicaliste. Le président de la FIT, Paddy Crumlin précise que « Maurice ne peut prétendre être une République démocratique moderne alors qu’elle permet aux grands employeurs de bafouer les droits fondamentaux des travailleurs et de l’homme. »
Le secrétaire général de la FIT, Stephen Cotton pointe aussi fermement du doigt le ministère du Travail d’« avoir seulement demandé à Air Mauritius d’être raisonnable », et de « n’être pas allé assez loin pour réclamer des comptes à la direction de la compagnie aérienne nationale ». Pire, il affirme que « la communauté internationale considère l’action de la compagnie aérienne mauricienne plus qu’une violation… it is an intimidation tactic », dit-il.
Air Mauritius n’a pas été épargné par la FIT pour le licenciement de Yogita Baboo. La compagnie nationale d’aviation est accusée d’avoir « violé son droit à la liberté d’expression et le droit des travailleurs qu’elle représente » … Elle affirme que « Baboo was acting as a union spokesperson, rather than an employee of the company, as was made clear. In firing her, the airline has violated her right to free speech and the right of the workers she represents to demand better conditions ». Pour la FIT, Air Mauritius est en flagrante contravention avec les lois mauriciennes relatives aux droits du Travail et les conventions C87 et C98 du Bureau international du Travail (IT) qui regroupent la liberté d’association, la protection du droit syndical, le droit à la constitution d’un syndicat et de négociation collective, toutes deux ratifiées par le gouvernement mauricien. La FIT exprime son ferme soutien à la manifestation syndicale pacifique de mercredi : « We stand in solidarity with Yogita Baboo and demand her immediate and unconditional reinstatement ».
Manifestation du front syndical réussie
Les syndicalistes et les autres forces vives descendus dans les rues de la capitale, mercredi dernier, ont passé leur message simple et limpide : « Stop à la répression syndicale ! Pa tous nou drwa ! » Cette manifestation a été organisée à l’initiative du front commun des syndicats, pour protester contre le licenciement de la présidente de l’AMCCA, Yogita Baboo, qui a été qualifié de « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ».
Outre la réintégration de l’hôtesse de l’air d’Air Mauritius, un appel particulier a été lancé au ministre du Travail, Soodesh Callichurn, pour un renforcement légal en vue de faire respecter les lois du travail et les conventions internationales signées par Maurice.
La marche a démarré au Centre social Marie Reine de la Paix, pour prendre fin devant le Jardin de la Compagnie. Premier arrêt symbolique : la Victoria House, le quartier général du ministère du Travail, où le négociateur Radhakrishna Sadien, qui a soutenu depuis la première heure Yogita Baboo, a déclaré sur son porte-voix : « Pa kapav kan sindikalis pe koze lor nom travayer, zot sibir represion ek met zot deor, parski minister Travay ki sipoze protez bann travayer pena power pou fer aplik lalwa ».
Il s’est aussi appesanti sur le non-sens de l’interdiction au travail à une quinzaine d’employés d’Air Mauritius qui ne sont pas vaccinés contre le Covid-19. « Minister Lasante osi ena so responsabilite. Pa kapav aksepte se ki’nn ariv Yogita parski dimin, li pou kapav ariv enn lot parmi nou. Ki nou le ? Ki travayer perdi so drwa ? » Il a ajouté que « nous allons lutter pour que le patronat ne puisse pas convoquer un employé devant un comité disciplinaire bidon et le limoger pour avoir fait des déclarations en tant que syndicaliste. »
C’est devant le Paille-en-Queue Court, siège d’Air Mauritius, que la présidente de l’AMCCA, accompagnée de sa fille, a pris la parole. Un arrêt symbolique visant à attirer davantage l’attention du management de la compagnie aérienne nationale. Les membres de l’AMCCA étaient également fortement représentés et brandissaient des pancartes demandant : « Payanke, kot mo’nn fote ? »
La présidente de l’AMCCA a expliqué qu’elle n’a jamais commis de faute en tant qu’employée et qu’en la limogeant, « Air Mauritius a arraché le gagne-pain d’une mère de famille élevant seule son enfant (…) Tout le monde se sent concerné face à l’abus, face à l’injustice. (…) Car si MK s’envole au-dessus des nuages, il ne faut pas croire que la compagnie est au-dessus des lois », s’insurge-t-elle. « Si minister reg mo problem, li bizin resoud osi problem 350 dimounn, car Yogita Baboo, ce n’est pas Yogita Baboo seule. Yogita Baboo, c’est l’AMCCA. C’est la voix de 350 membres de l’AMCCA », a poursuivi la principale concernée.
Le signal fort du ministre du Travail
Auparavant, lundi, pour désamorcer le momentum de la manifestation à venir, le ministre du Travail, Soodesh Callichurn a reçu Yogita Baboo et son négociateur syndical, Radhakrishna Sadien. Il a donné un réel espoir au camp Baboo dans le deadlock opposant Air Mauritius et la présidente de l’AMMCA au sujet de son licenciement lorsqu’il a annoncé qu’il serait référé à l’Employment Relations Tribunal (ERT) qui rendra public un award dans un délai de 60 jours au lieu des 90 jours d’origine.
« Par le biais de cette décision, le ministre du Travail a voulu démontrer son « impartialité » et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le cas du licenciement de la présidente de l’AMCCA sera référé à l’ERT dans les meilleurs délais »,déclare son conseiller Mariaven Caramben.
De ce fait, Yogita Baboo est appelée à donner sa version des faits au plus vite pour que le ministère du Travail puisse boucler cette étape de l’enquête dans cette affaire. Après cette décision, le ministre du Travail a aussi été à l’écoute des doléances de la présidente de l’AMCCA ayant trait aux relations industrielles chez Air Mauritius.
Enfin, lors d’une conférence de presse réunissant les membres du Comité de soutien à la syndicaliste, Radhakrishna Sadiena a déclaré que le fait que le ministère du Travail ait soumis ce litige à l’ERT constitue un signal fort envoyé à la direction d’Air Mauritius.
Par ailleurs, le négociateur devait avancer que le ministre a fini par anticiper ce qui se passera, alors que le BIT est en train de faire une enquête sur cette affaire.
HT
MK : y a-t-il un pilote à bord ?
Depuis le début du litige entre Air Mauritius et la présidente de l’Air Mauritius Cabin Crew Association (AMCCA), la compagnie aérienne nationale ne s’est exprimé que par sa cellule de communication et, ces derniers temps, par des annonces répétant les mêmes arguments en les ajustant à chaque fois à l’évolution de la situation, même si le leitmotiv du bien-fondé du licenciement de Yogita Baboo est toujours la pierre angulaire. La seule évolution majeure dans le discours concerne le respect sans bornes de la compagnie qui respecte les lois et les institutions du pays. Bien qu’il soit clairement établi qu’elle a violé les conventions internationales signées par le gouvernement et qu’il appartient au ministère du Travail de faire respecter sans coup férir.
Le problème dans la position d’Air Mauritius est que, depuis le début de cette affaire qui a pris une ampleur publique nationale, aucun dirigeant de cette compagnie n’est venu défendre de visu et viva voce la position de la compagnie aérienne nationale dans une conjoncture où sa réputation est écornée sur le plan mondial avant intervention d’au moins deux organismes internationaux de grande réputation que sont le Bureau International du Travail (BIT) et la Fédération Internationale des Transports (FIT) qui ont publiquement et sans équivoque condamné la décision d’Air Mauritius de licencier la responsable du syndicat de son personnel navigant.
Il est désolant que le CEO de cette compagnie, Krešimir Kučko continue de jouer aux abonnés absents, car la moindre des choses est que le responsable ultime vienne expliquer la position de la compagnie nationale d’aviation sur un problème qui agite le pays depuis plusieurs semaines maintenant. Celui qui a dirigé Croatia Airlines et Gulf Air, donc doté d’une expérience des litiges à gérer, devrait être capable d’affronter directement la presse, sans garde du corps, pour répondre aux préoccupations de la population sur la crise qui secoue Air Mauritius avec des répercussions iternationales.
À moins que comme cela se chuchote à haute voix dans les couloirs du Pailles-en-Queue Court, qu’il en soit empêché par la seule compagnie propriétaire d’Air Mauritius, en occurrence Airport Holdings, dont le CEO n’est autre que l’incontournable Ken Arian. Selon des informations crédibles recueillies de source interne à Air Mauritius, le blue-eyed boy de Lakwizinn, Ken Arian n’aurait pas apprécié que la présidente du Syndicat du personnel navigant l’ait personnellement pointé du doigt dans son intervention sur Top FM. La présidente de l’AMCCA avait notamment déclaré lors de cette émission :
- « …interference politique de nos jours line vine beaucoup pli voyant…le CEO c’est Monsieur Ken Arian, et moi mo ene syndicat ki mo répresente cabin crew, et nou seul syndicat ki reconnaite pour Air Mauritius pou cabine crew dan Maurice, be ziska zordi mo panne gagne ene rendez-vous avec li… Ou supposer zoine ou banne syndicats pou konné ki fine arrivé… »
- « Ou pé trouver ki ca dimoune-là, il bien busy mais seulement li gagne droit zoine, li gagne le temps pou zoine, zis ene dimoune dan ene syndicat spécifique, li zoine zis ca dimoune-là, be c’est ça l’ingérence politique ki madame-là pé dire là, si péna backing… Même pendant l’administration, ine touzours protege bane petits copains. »
- « banne dimoune ki ti avoye zotte à la retraite, apres in trouve zot indispensable, ine faire zot retourner. Finalement, ou paye ça banne dimoune-là zot pensions, plis paye zot ene lot salaire lors contrat ki beaucoup plis ki normal et ça banne dimoune-là encore là zot, zot toujours pe travaye, ça veut dire zot toujours pe gagne double la paye quelque part…. »
On peut comprendre que ces affirmations puissent déranger. Mais c’est aussi le devoir d’un syndicaliste de poser des questions au management et de s’attendre à ce que celui-ci les récuse ou les confirme. C’est cela la démocratie. Et tout puissant qu’on puisse être, surtout ceux aux pieds d’argile et qui portent des costumes trop grands pour leurs épaules, ils doivent répondre de leurs actes manqués et ne pas abuser de leurs positions dominantes pour écraser ceux ou celles qu’ils ne peuvent faire taire.
C’est aussi le devoir de la presse de poser de telles questions, embarrassantes ou pas, et de donner l’occasion à ceux pointés du doigt, avec ou sans raison, de venir s’expliquer viva voce sur les tenants et aboutissants d’une affaire d’intérêt public. Et celles d’Air Mauritius le sont car elle est aujourd’hui financée à 100% de l’argent public. Dans cette optique, Week-End a approché la cellule de communication d’Air Mauritius, cette semaine, pour une interview d’un haut dirigeant de MK. La réponse a été d’envoyer les questions écrites pour une réponse écrite. Bref, un nouveau communiqué de MK sous le couvert d’une interview… à cause des implications sub judices de l’affaire en cours. S’il n’y a pas un dirigeant à MK capable de répondre en direct à des journaliste en se prémunissant des dangers légaux d’une affaire comme celle du licenciement d’un employé/syndicaliste, il y a de quoi s’inquiéter. Week-End reste, néanmoins, ouvert à toute interview vérité de MK. En attendant, la question est de savoir s’il y a un pilote à bord.