Plus de trois ans après le naufrage du vraquier battant pavillon panaméen MV Wakashio au large de Pointe-d’Esny, dans le Sud-Est de l’île, le 25 juillet 2020, avec la marée noire du début d’août de la même année, la bataille légale pour les dommages et indemnités des habitants et opérateurs socio-économiques de cette partie du pays, affectée par la marée noire, reste de mise. Une Plaint With Summons a été servie en ce début de semaine au nom de 1 762 particuliers pour une réclamation de l’ordre de Rs 5 307 000 000, soit Rs 3 millions chacun, aux armateurs, ces derniers étant tenus responsables des actes et agissements illégaux de l’équipage ayant causé le déversement de pétrole et d’hydrocarbures endommageant la côte du Sud-Est.
Cette somme de Rs 5,3 milliards est réclamée par ces 1 762 habitants et opérateurs, qui tirent leur subsistance dans ces 32 régions, soit : Trou-d’Eau-Douce, l’Ilot Mangénie, l’Ile-aux-Cerfs, Grande-Rivière-Sud-Est, Deux-Frères, Quatre-Soeurs, Pointe-aux-Feuilles, Grand-Sable, Pointe-aux-Roches, Petit-Sable, Pointe-du-Diable, Bambous-Virieux, Anse-Jonchée, Providence, Bois-des-Amourettes, Vieux-Grand-Port, Ferney, Falaise-Rouge, Pointe-Brocus, Rivière-des-Créoles, Petit-Bel-Air, Ville-Noire, Mahébourg, Beau-Vallon, Cité La Chaux, Pointe-Jérôme, Pointe-d’Esny, Blue-Bay, Le-Chaland, La-Cambuse, Pointe-Vacoas et Le Bouchon.
La plainte logée en Cour suprême par Me Robin Mardemootoo (avouée), de Dentons Mauritius LLP, est dirigée contre Okiyo Maritime Corp et Nagashaki Shipping Co Ltd, les propriétaires du MV Wakashio, ainsi que Mitsui OSK Lines, qui a affrété le navire, et la Japan Ship Owners’ Mutual Protection & Indemnity Association, l’assureur.
Les plaignants mettent en avant que tous les actes et agissements fautifs et illégaux de l’équipage du navire ainsi que les avaries causées par le vraquier et les hydrocarbures qu’il transportait, et causant une marée noire désastreuse dans les eaux mauriciennes, constituent une faute en vertu des lois applicables et pour lesquelles les propriétaires et assureurs sont responsables et ont l’obligation d’indemniser.
Il est ainsi rappelé que le 25 juillet 2020, le vraquier MV Wakashio s’est échoué près de Pointe-D’Esny, à Blue-Bay, à proximité de deux sites Ramsar d’importance internationale, à savoir le parc marin de Blue-Bay et les Wetlands de Pointe-d’Esny. Vers le 6 août 2020, après le naufrage et la détérioration de la coque du navire, la soute de ce dernier, qui contenait environ 3 894 tonnes de fioul, 207 tonnes de diesel et 90 tonnes d’huile lubrifiante, a commencé à se déverser dans le lagon. Le 7 août 2020, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, avait déclaré une State of Environmental Emergency.
Les plaignants expliquent qu’à compter du 7 août 2020, et pendant une période d’au moins 14 jours, des milliers d’habitants des régions sinistrées, dont une majorité d’entre eux ont participé à la production de barrages artisanaux sur le front de mer de Mahébourg, un exercice avait été lancé par une équipe d’activistes écologistes de Rezistans ek Alternativ et qu’ils ont été rejoints par d’autres militants écologistes et organisations non gouvernementales.
Ces barrages artisanaux ont ensuite été placés dans les lagons du Sud-Est en vue de stopper et atténuer l’impact du déversement d’hydrocarbures dans le littoral. La coque du MV Wakashio s’est finalement brisée en deux parties le 15 août 2020. La partie avant a été sabordée par des sociétés de sauvetage le 24 août de la même année.
La Plaint With Summons explicite aussi que le 18 septembre 2020, une Court of Investigation a été constituée pour déterminer les causes du naufrage du MV Wakashio et la rupture de sa coque. Le capitaine du navire et son premier officier ont tous deux été reconnus coupables du délit de Endangering Safe Navigation sous la Merchant Shipping Act. Ils ont été condamnés à une peine d’emprisonnement par la Cour intermédiaire le 27 décembre 2021.
Les plaignants soulignent ainsi d’avoir appris que le capitaine et le premier officier avaient entrepris des manÅ“uvres dangereuses pour se rapprocher de Maurice afin de se connecter aux réseaux cellulaires de télécommunication et que l’équipage puisse communiquer avec leurs familles. Or, ces manÅ“uvres n’auraient pas été effectuées si l’équipage avait reçu à bord des moyens de communication par satellite dans le cadre de leurs conditions de service, fait-on ressortir.
Le groupe de 1 762 plaignants soutient par ailleurs que le naufrage constituait une urgence nationale et une catastrophe d’une ampleur sans précédent à Maurice, entraînant des conséquences pour l’environnement marin, mais aussi pour l’économie, les moyens de subsistance de la population, ainsi que les biens et la santé des habitants. Ajoutant qu’à ce jour, aucune étude ou recherche officielle n’a été entreprise pour estimer ou quantifier l’impact présent et futur de la marée noire sur les différentes parties prenantes.
Les plaignants affirment que leur vie et leurs moyens de subsistance sont étroitement liés à la région côtière et au lagon du Sud-Est, précisant qu’à la suite du naufrage, ils ont chacun subi des dommages et préjudices considérables, qu’ils estiment à hauteur de Rs 3 millions chacun.
Sont aussi mises en perspective des pertes de revenus chez ceux vivant de la pêche ou de diverses opérations en mer. D’autres, associés aux activités touristiques, affirment également avoir subi des pertes d’argent. Sont aussi évoqués : la pollution excessive, mettant en danger l’environnement local ; la destruction de la flore et de la faune locales, y compris les espèces marines ; la perturbation de la vie et des moyens de subsistance de la population ; le « traumatisme profond » dans les heures ayant suivi la marée noire et pendant plusieurs semaines en raison des conséquences et de l’impact inconnus sur la vie quotidienne ; la peur causée par l’interdiction de pêcher et de s’approvisionner en poissons et autres depuis le jour de la marée noire ; et l’impact négatif sur le tourisme, les visiteurs et les activités dans cette zone du Sud-Est.
La plainte s’appesantit aussi sur le fait que les dommages et préjudices causés à la faune et à la flore par le naufrage sont le résultat direct de la mauvaise gestion abusive, imprudente, inhumaine et criminelle de la flotte et de l’équipage. « Plaintiffs aver that the crew of the Vessel, which caused the Vessel to leave its route and approach Mauritius to get telecommunications cellular network and for which crew and Vessel the Defendants are responsible and liable, jointly and in solido, are a direct consequence of serious violations of social and governance standards ordinarily applicable to the Defendants when it comes to the way they operate and manage their vessels and crew », lit-on dans le document rédigé par les soins de Me Robin Mardemootoo.