Jehangir Ratanji Dadabhai Tata, industriel avant-gardiste doté de grandes valeurs éthiques est né à Paris le 29 juillet 1904 d’une mère française et d’un père indien parsi, Ratanji Dadabhoy Tata. Citoyen philanthrope, il choisit de consacrer sa vie entièrement au développement de l’économie indienne et de s’engager pour son pays au détriment de son rêve, l’aviation. À l’issue de ses études à Paris et à Londres et sur les conseils de son père, il s’installe en Inde en 1925 ; il démarre sa carrière comme apprenti chez Tata Steel, une des filiales de l’empire fondé par son grand-oncle Jamshedji Tata. Élu Président du plus grand groupe industriel de l’Inde, Tata & Sons, en 1938, il se fixe comme objectif le bien-être du peuple et poursuivra le projet de ses prédécesseurs tout en restant fidèle aux valeurs du groupe.
Visionnaire et leader : de l’aviation aux affaires
Grand admirateur de Louis Blériot, premier pilote à traverser la Manche en 1909, JRD Tata grandit en observant les vols de l’aviateur à Hardelot pendant ses vacances d’été. Ses relations amicales avec le fils de L. Blériot lui permettent de faire son baptême de l’air à 15 ans. En 1929, il obtient son brevet de pilote à Bombay. Pionnier de l’aviation civile en Inde, il fonde le Tata Aviation Service en 1932 ; le 15 octobre 1932, il s’élance dans un premier vol dans le Puss Moth en solo de Karachi pour Ahmedabad et Bombay. Quelques années après l’indépendance de l’Inde et suite à la nationalisation de Tata Airlines en 1953, le gouvernement indien le nomme Président d’Air India et membre du conseil d’administration des Indian Airlines. Il conserve ce statut pendant 25 ans et aura ainsi l’occasion de suivre de très près l’évolution de l’aviation civile qui passera du modeste Puss Moth biplane au brillant Boeing 747 de quatre cents places. Père de l’aviation civile, il reçoit, en 1979, le « Tony Jannus Award » qui le récompense en tant que fondateur de la première compagnie aérienne indienne, ce qui le placera au même rang que l’inventeur du jet, Sir Franck Whittle.
Avant-gardiste dans l’aviation, il le sera également dans le domaine des affaires. À la tête de Tata & Sons, il réussira à multiplier en cinquante ans le nombre de sociétés de 14 à plus de 80. Sous sa présidence, l’empire Tata s’étend à d’autres industries et participera de façon considérable au développement de l’économie indienne. Aujourd’hui, le TELCO (Tata Engineering and Locomotive Company) créé en 1945 est devenu le premier producteur de véhicules utilitaires du pays ; le Tata Consultancy Services (TCS) fondé en 1968, qui participe actuellement à l’alphabétisation du pays, est le premier exportateur indien des services informatiques. La contribution de JRD Tata à l’industrie de la métallurgie sera récompensée en 1986 par l’Institut des Métaux (Institute of Metals) de Londres qui lui attribue la « Henry Bessemer Gold Medal ». Ses efforts sont également remarqués dans le milieu de l’aéronautique lorsqu’en 1988, il recevra le « Daniel Guggenheim Medal Award » comme Marcel Dassault.
JRD Tata, le visionnaire, applique une gestion administrative sans précédent pour diriger le groupe avec succès. Leader doté de grandes qualités professionnelles et personnelles, il exploite efficacement les ressources des différentes filiales tout en travaillant en synergie avec d’autres industriels indiens. En 1944, il réunit ces derniers pour une réflexion commune sur un Plan Economique connu sous le nom de Bombay Plan ou Tata-Birla Plan, afin d’organiser l’avenir économique d’un pays qui deviendra indépendant après le départ des Britanniques. Pour réussir cette mission, il opte pour de nouvelles mesures qu’il développe aux côtés de ses meilleurs collaborateurs ; et, par la suite, il va créer le Tata Administration Service, une école fondée sur certains principes d’éthique pour la formation de son personnel de cadres. JRD Tata, respectueux des valeurs traditionnelles du groupe, aura, d’une part, la profonde conviction que la réussite matérielle ne compte que si elle est obtenue de façon honnête et mise au service de la nation ; pour lui, le succès ne s’obtient qu’au prix d’un travail assidu et d’une profonde réflexion pour atteindre la perfection avec un constant dépassement de soi. D’autre part, il privilégiera la confiance au cœur des relations humaines et affirme qu’un « leader doit gérer les hommes avec compassion ».
Philanthrope et citoyen : pour le bien-être social, l’éducation et la recherche
Leader perfectionniste certes, JRD Tata est avant tout un humaniste. Homme de conviction et conscient de sa responsabilité en tant que citoyen et chef d’entreprise, il pense d’abord au bien-être des salariés et au développement social de son pays. Il poursuit avec justice la gestion des ressources humaines en encourageant les mesures déjà initiées par ses prédécesseurs : journée de 8 heures (instaurée en 1912), congés payés (en 1920), gratuité des soins médicaux, plan de retraite des salariés, indemnités pour les accidents du travail, etc. Convaincu que le développement de l’Inde réside également dans le contrôle des naissances et non dans la croissance démographique, JRD Tata n’hésite pas à faire part de ses opinions à son ami, le Pandit J. Nehru, qui ne partagera pas toujours ses idées. Soutenu par l’ONU, il réussit à convaincre le ministre de la Santé de créer l’Institut National d’Etudes démographiques en 1954 ; 16 ans plus tard, la Fondation de Planning familial sera fondée pour la sensibilisation de la population en matière de contrôle de naissances. En septembre 1992, il est reconnu pour ses efforts et ses campagnes sans relâche dans ce domaine lorsqu’on lui attribue le « United Nations Population Award ».
Conscient du rôle que l’éducation pourrait jouer dans la croissance économique de l’Inde, JRD Tata participera également au développement de l’enseignement et de la recherche. En 1936, il crée l’Institut des Sciences sociales (Tata Institute of Social Sciences, TISS) et en 1941, il fonde à Bombay le premier hôpital en cancérologie en Asie, le Tata Memorial Center for Cancer, Research and Treatment. L’Institut spécialisé en physique et en mathématiques (Tata Institute of Fundamental Research, TIFR), le berceau du programme d’énergie atomique de l’Inde verra le jour en 1945. Il participe aussi au développement d’une des meilleures bibliothèques en Science et Technologie en Inde, le Tata Memorial Library à Bangalore, ville–phare réunissant aujourd’hui toutes les industries de pointe du pays allant de l’informatique et l’électronique aux télécommunications et à la recherche spatiale, et baptisée la « Silicon Valley » de l’Inde…
En 1992, il recevra le plus grand honneur civil, le Bharat Ratna en Inde pour tous ses efforts désintéressés et humanitaires en faveur du développement du pays. Un an plus tard, le 29 novembre 1993, il décèdera à Genève et sera enterré au cimetière du Père Lachaise à Paris.
Hommage à un grand industriel en avance sur son temps
En perpétuant les valeurs intrinsèques du groupe, JRD Tata souligne l’importance de la justice et de la liberté pour l’humanité. Le fondateur, Jamshedji Tata affirmait que « ce n’est pas l’homme qui est au service de l’industrie mais l’industrie qui est au service de l’homme » ; JRD Tata ajoutera que « toute activité industrielle doit également servir l’environnement et pas seulement l’Homme ».
Aujourd’hui, avec la mondialisation, les pays se développent dans un contexte concurrentiel très rude, soulevant moult questionnements sur le respect des droits de l’Homme et de l’environnement, la justice sociale et la solidarité. L’heure est à la mise en place de normes et des chartes de conduite établies comme des engagements envers le consommateur afin de veiller à un certain équilibre économique mondial. Dans cet esprit-là, la Transparency International (TI) a instauré un code d’éthique (auquel Tata & Sons Ltd a participé) dans le monde des affaires, les « Principes d’Intégrité », principes de conduite des affaires pour contrer la corruption et la fraude. Quel meilleur hommage pourrait-on rendre à JRD Tata, un homme qui, pendant plus de 60 ans, a incarné et développé les valeurs d’intégrité, de transparence et de responsabilité au sein d’un groupe industriel en Inde ?
Les temps ont bien changé. Presqu’un siècle après sa naissance, il faudra certainement beaucoup de volonté, de détermination et de persévérance aux nouvelles générations pour reprendre le flambeau à son instar et résister à des écarts « de conduite »…
Pravina Nallatamby