Dr Jimmy Harmon : « Le musée, l’aboutissement d’un long parcours »

À la veille de l’ouverture du musée de l’Esclavage intercontinental par le Premier ministre Pravind Jugnauth, hier, Le-Mauricien a rencontré le Dr Jimmy Harmon, chercheur indépendant, membre du conseil du musée de l’Esclavage intercontinental. Il fait le point sur le parcours ayant précédé l’ouverture du musée et rappelle que le projet respecte l’esprit des recommandations de la Commission Vérité et Justice « qui repose sur la Vérité, la justice et la réconciliation. Il faut chercher la vérité, vérifier les faits afin d’arriver à une certaine justice dans la vie d’aujourd’hui. En même temps, le musée n’est pas animé d’un esprit revanchard, d’où l’importance de la réconciliation ». Jimmy Harmon évoque la collection Eugène Froberville qui, souligne-t-il, constitue une mine d’or pour les chercheurs mauriciens.

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Après de nombreux mois de préparation, le musée de l’Esclavage intercontinental s’ouvre enfin cette semaine. Pouvez-vous nous parler du chemin parcouru ?

L’ouverture du musée de l’Esclavage intercontinental est l’aboutissement d’un très long parcours. Je voudrais en premier lieu insister sur la nouvelle traduction française de Intercontinental Slavery Museum qui donne à l’esclavage – et non pas au musée – un caractère intercontinental.

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C’est en 2016 que le gouvernement a pris officiellement la décision de créer un musée dans les locaux abritant l’ancien hôpital militaire construit par Mahé de La Bourdonnais. Cette décision était conforme aux recommandations de la Commission Vérité et Justice faites en 2009. La mission du musée est définie comme suit : « Providing a unique experience of human tragedy, resistance and survival while breaking the chains from slave legacy to unveil truth towards justice and reconciliation ».

Un nouveau pas a été franchi avec l’incorporation de ISM Mauritius Ltd en janvier et la création d’un conseil d’administration, avec Maxy Simonet comme président. Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas simplement d’ouvrir un musée avec des tableaux et objets historiques. Nous avons adopté une approche scientifique.

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Dès 2020, nous avons organisé une exposition temporaire. Elle a permis de donner au public un avant-goût de toutes les connaissances de base concernant l’esclavage à Maurice et dans la région. Nous avions à l’époque sollicité l’avis du public. On avait baptisé l’exercice un Public Consultation Process. Des visites avaient été organisées en collaboration avec le centre Nelson Mandela. Ce dernier identifie des organisations, et des groupes de personnes de différentes tranches d’âge, des étudiants etc et les amenait au musée. Nous receuillons leurs impressions après leur visite. Il y a eu aussi les entretiens menés par Danielle Palmyre. Nous avons identifié les personnes qui avaient beaucoup contribué aux débats sur l’esclavage ou qui ont participé aux réflexions sur le musée de l’Esclavage. Ces données ont été récoltées et ont fait l’objet d’une publication.

C’est fort de ces données et des impressions obtenues de différents publics et avec l’aide des spécialistes, que nous avons construit le récit que le public pourra suivre à partir du 1er septembre. Nous avons aussi fait appel à l’expertise française. Trois experts de Bordeaux nous ont aidés à développer le synopsis concernant les thèmes et sur les textes qui seront utilisés comme explication de manière à communiquer l’essentiel au public. La France dispose d’un grand nombre de musées. Grâce à la coopération française, plusieurs experts sont venus et nous avons développé les grandes idées de l’exposition.

Quelles ont été les autres activités tenues ?

Depuis 2020, nous avons organisé plusieurs causeries et activités. Il y a eu des lancements de livres. Nous avons commémoré le bicentenaire de Ratsitatane. Avec les jeunes de Pamplemousses, un Mountain Hike a été organisé afin de leur permettre de revivre l’époque de Ratsitatane.

Autre temps fort : l’exposition sur le Code Noir.  Certaines personnes se sont interrogées sur la raison d’être de cette exposition.  Le but n’était pas de le valoriser mais de démontrer à quel point ce code était déshumanisant et comment l’esclavage a été légiféré. Dans l’arsenal juridique, les punitions, les heures du travail sont réglementées. Les séquelles sont toujours présentes. Parmi les autres activités organisées figurent le lancement du livre de Sudhir Hazareesingh consacré à Toussaint Louverture, la figure révolutionnaire de la première République noire à Haïti.

Il y a eu également le lancement du projet Slafnet dont l’objectif général est d’établir un réseau scientifique de haut niveau regroupant plusieurs institutions et groupes de recherche d’Europe et d’Afrique dans le domaine des études sur l’esclavage. Ce projet est financé par la Commission européenne. Il réunit une équipe multidisciplinaire d’une cinquantaine de chercheurs dans un consortium de 13 partenaires du Nord et du Sud. Pendant trois ans, SLAFNET va favoriser la synergie entre les équipes européennes et africaines sur les dynamiques sociales issues de l’abolition de l’esclavage jusqu’à nos jours.

Le musée sera-t-il fidèle à l’esprit énoncé dans les recommandations du rapport Vérité et Justice ?

Tout ce qui a été fait dans le musée jusqu’à ce jour a été construit sur la base du rapport de la Commission Vérité et Justice. Nous souhaitons effectivement que le musée continue à rester fidèle à cet esprit – qui repose sur la vérité, la justice et la réconciliation. Il faut chercher la vérité, vérifier les faits afin d’arriver à une certaine justice dans la vie d’aujourd’hui. En même temps, le musée n’est pas animé d’un esprit revanchard, d’où l’importance de la réconciliation.

J’ouvre une parenthèse pour dire que les archives de la British Slave Compensation Commission ont été mises en ligne (https://www.ucl.ac.uk/lbs/project/details/) et n’importe qui peut effectuer des recherches dans la base de données. Ces registres ont révélé les noms des propriétaires d’esclaves qui ont reçu une compensation lorsque la Grande-Bretagne a aboli l’esclavage africain en 1833. À Maurice, 7 317 réclamations ont été déposées et payées. Une mine en termes de recherches en perspective.

Quelle sera la particularité de ce musée de l’Esclavage intercontinental ?

Le musée présente plusieurs thématiques. Toutefois, son but principal est de retracer l’histoire de l’Esclavage à travers le temps. Sa grande particularité est que les visiteurs verront pour la première fois les images des visages des esclavés. À ce jour, nous avons témoigné de tableaux montrant les esclaves nus. Pour la première fois à Maurice, le public aura l’occasion de voir une reproduction de visages des esclaves dans le cadre de la collection d’Eugène de Froberville.

Parlez-nous de cette collection d’Eugène de Froberville ?

Je voudrais me référer aux notes réalisées par  Klara Boyer-Rossol, historienne. Je cite la note explicative à ce sujet. « L’exposition ISM autour de la collection de bustes de Froberville est un projet pionnier et avec un potentiel fort impact sur le plan national et international. Cette collection se composait à l’origine de 63 visages moulés en plâtre par l’ethnographe Eugène Huet de Froberville, à l’île Maurice en 1846. La collection originale est actuellement conservée au Musée du Château de Blois en France et n’est pas exposée au public. Le retour (immatériel et matériel) de cette collection à Maurice est un exemple unique de valorisation et de coopération patrimoniale internationale. Le travail de recherches de l’historienne Klara Boyer-Rossol a permis d’identifier la quasi-totalité des individus moulés et de retracer leurs origines et trajectoires de vie. Dans un contexte où l’on dispose de très peu d’iconographie sur les anciens esclavés africains et d’informations sur leurs origines et leurs cultures, cette collection de moulages en plâtre apparaît comme un véritable trésor patrimonial. L’exposition conçue autour de cette collection donne à voir les visages d’ancêtres nés en Afrique orientale (actuels Mozambique, Malawi et Tanzanie), qui ont été déportés et pour la plupart mis en esclavage à l’île Maurice durant les premières décennies du XIXe siècle, et à entendre leurs histoires de vie et leurs cultures (notamment les musiques africaines qu’ils ont transmis à Maurice). En associant des visages en plâtre d’anciens captifs et esclavisés africains à des voix et des cultures vivantes, on propose de réhumaniser une collection muséale du XIXe siècle qui est longtemps restée dans l’oubli et qui est étroitement liée à l’esclavage. Ces visages sont aussi ceux de la diaspora Mozambique issue de la traite et de l’esclavage dans l’océan Indien, que l’on retrouve aussi dans l’Atlantique. Ainsi, cette exposition ISM fera la jonction entre les espaces et promet d’avoir un rayonnement international. L’exposition de préfiguration qui est légère (photographies et vidéo) pourrait circuler et donner à voir dans la région de l’océan indien et plus largement dans le monde, une production muséale et culturelle de l’île Maurice » .

Je vous avoue que beaucoup de Mauriciens se reconnaîtront en regardant ces images.
Dans le cadre d’un projet à plus long terme sur les musiques africaines collectées par Eugène de Froberville, il sera possible de traduire les paroles et surtout de valoriser ce précieux patrimoine musical africain de l’île Maurice. À ce propos, le conservatoire Francois Mitterrand aura son apport en mettant en musique les partitions découvertes dans la collection de Froberville. Le Conservatoire, sous la direction de Claudie Ricaud, aura un rôle spécial à jouer afin de poursuivre les travaux de recherche.

Comment avez-vous obtenu des éléments de la collection de Froberville ?

Il a fallu entrer en contact avec le dépositaire légal. Les légataires sont actuellement à Maurice. Le musée a négocié avec eux avant de conclure un protocole d’accord qui a été co-signé par Maxy Simonet. Ces photos ne sont pas la propriété du musée mais constituent un prêt du Château de Blois où se trouve toute la collection d’Eugène de Froberville.
Nous entreprenons actuellement des démarches auprès du gouvernement en vue de la signature d’un accord d’insaisissabilité. Les négociations sont en bonne voie ainsi que les démarches en vue d’obtenir les bustes. L’exposition des photos des bustes des  « esclavés » sera une première dans l’océan Indien.

En plus des éléments historiques de la collection de Froberville, quels sont les autres éléments qui retiendront l’attention au niveau de l’exposition ?
Il faut aussi savoir que la collection Froberville constitue une mine d’informations. Il se pourrait qu’au musée il y ait une section qui sera connue comme Etude Froberville. Ses carnets contiennent beaucoup de renseignements sur la vie dès l’époque, les médicaments utilisés etc.

Au-delà de cela, le musée entrera dans une nouvelle phase avec l’institution du comité scientifique. Il est composé de plusieurs chercheurs internationaux et locaux. Parmi ces derniers figurent Danielle Palmyre, Jocelyn Chan Low, Cader Kalla, Palma Veerapen, Sadda Reddi, Professeur Stanfield,  Anwar Janoo, Geoffrey Summers, Muslim Jumeer, et Emmanuel Richon.

Le comité présidé par le professeur Benigna Zimba comprend une vingtaine de chercheurs étrangers. Nous aurons bientôt une session de travail avec la présidente pour voir comment fonctionnera le comité et quelles seront ses activités. Le comité scientifique garantit la scientificité de ce qui est exposé dans le musée. Il aura aussi pour tâche de valider tout ce qui est exposé et tout ce qui est publié sur le musée.

Le musée aura un rôle éducatif et pédagogique à jouer. C’est la raison pour laquelle nous accordons une grande importance aux vocabulaires utilisés. Par exemple, pour parler des personnes mises en esclavage nous parlerons des « esclavés ». Jusqu’ici, le vocabulaire est resté que dans les cercles des universitaires. Désormais, nous nous assurerons que ces mots atteignent la population.

Parlez-nous de la dimension régionale et internationale du musée ?

Nos chercheurs, dont Elodie Laurent, ont participé récemment à un colloque international à l’île de La-Réunion où l’ancienne prison Juliette Dodu à St-Denis sera convertie en musée de l’Esclavage à la thématique de l’enfermement. Nous les aidons à réaliser ce projet. Elle a présenté son papier sur le musée de l’esclavage intercontinental et rencontré les scientifiques internationaux. Récemment, elle a été invitée à présenter un papier aux Comores. Petit à petit, le musée développe un réseau international.

Par ailleurs, le musée fait partie de l’International Coalition of Sites of Conscience, qui est un réseau mondial de “Sites de Conscience” – sites historiques, musés et initiatives de commémoration – qui active le pouvoir des lieux de mémoire en vue d’impliquer le public dans une compréhension profonde du passé inspirant les actions pour construire un avenir plus juste.

La Coalition soutient ses membres de plusieurs manières, notamment à travers le financement de programmes d’engagement civique ; la mise en réseau de sites similaires en les aidant à établir de bonnes pratiques et de nouveaux partenariats, l’organisation et le leadership d’opportunités de développement de programmes, d’offres de formations en dialogues, et de conduite de plaidoyers stratégiques pour les membres individuels et le réseau des sites de conscience dans son ensemble. La Coalition comprend plus de 200 membres répartis dans 55 pays.

Dans notre cas, nous avons été sollicités par la Coalition pour participer dans un projet qui s’appelle Correcting The Record . Notre musée a été pris comme modèle en devenir.  Les visiteurs pourront prendre connaissance de ce projet dans une salle. Ce projet parle de tous ceux dont les archives coloniales ont effacé leur existence.  C’est le Dr Stephanie Tamby, actuellement directrice de Le Morne Heritage Trust Fund, qui a dirigé ce projet pour nous.

Est-ce que le musée a reçu beaucoup d’aide des pays étrangers ?

À part l’aide française, le musée a mis à contribution des experts. Les États-Unis ont financé la rénovation de la toiture de deux salles à l’entrée de l’hôpital militaire en utilisant des techniques de toiture traditionnelles du XVIIIe siècle. À ce propos, le musée a bénéficié de l’expérience d’un architecte indien. Les deux salles seront aménagées en billetterie et en boutique de cadeau pour le musée. La réalisation de ce projet a été dirigée par Vijaya Teelock. Le gouvernement japonais, pour sa part, financera l’installation d’un ascenseur.
Il s’agira maintenant de développer l’autre aile, qui fait partie intégrante du musée avec un projet d’amphithéâtre, des salles additionnelles d’exposition, un espace pédagogique pour les étudiants. Les plans ont déjà été réalisés par des experts français. Sa mise en œuvre fait déjà l’objet de discussions.

Donc, le musée désormais ouvert au public…

Le musée sera ouvert au public. Les heures d’ouverture n’ont pas encore été finalisées. L’entrée sera gratuite pour les Mauriciens et payante pour les touristes comme tel est le cas pour le Jardin des Pamplemousses. Des sessions de travail sont prévues avec le ministère du Tourisme.

« Tout ce qui a été fait dans le musée jusqu’à ce jour a été construit sur la base du rapport de la Commission Vérité et Justice. On souhaite effectivement que le musée continue à rester fidèle à cet esprit qui repose sur la vérité, la justice et la réconciliation. Il faut chercher la vérité, vérifier les faits afin d’arriver à une certaine justice dans la vie d’aujourd’hui ».

« Il faut aussi savoir que la collection Froberville constitue une mine d’informations. Il se pourrait qu’il y ait au Musée une section qui sera connue comme Etude Froberville. Ses carnets contiennent beaucoup de renseignements sur la vie de l’époque, les médicaments utilisés etc »
« Les visiteurs verront pour la première fois les images des visages des « esclavés ». À ce jour, on a vu des tableaux montrant les esclaves nus. ».

 

Conseil d’administration du Musée

Les membres du conseil d’administration du Musée de l’esclavage intercontinental sont en l’occurrence, Jean Maxy Simonet (président), Jean Georges Danielle Augustin, ancien adjoint maire de Port-Louis, Jimmy Harmon, chercheur, Alain Romaine, chercheur, Ludovic St Martin, professionnel et travailleur social, Indira Pudaruth Ruchaia, Permanent Secretary, ministère de la culture et du Patrimoine, Tina Nathoo, Lead Financial Analyst, Ministere des Finances, Diana Rengasamy, PMO

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