Rencontre à Antananarivo : Cuy, bijoutier d’un autre temps

S’il raccroche le chalumeau, le laminoir et la multitude de pinces entretenus précieusement, sa connaissance et celles de ses aînés dans la bijouterie s’effaceront. L’histoire retiendra cependant que durant des générations, les bijoux ont repris vie en cette ruelle d’Antananarivo, entre les mains habiles d’artisans d’une ère révolue. Immersion dans cet atelier de l’autre côté de la rue qui, pour deux semaines durant, a été un mystère. Jusqu’à ce que nous y mettions enfin les pieds. De : Joël Achille.

Une timide lueur éclaire son atelier exigu, dans lequel le temps semble suspendu depuis plusieurs décennies. À l’instar de son père, son grand-père et son arrière-grand-père avant lui, Cuy exerce comme bijoutier. Une vieillissante pancarte perchée en haut d’une ruelle d’Antananarivo le rappelle.

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Sur sa table ancienne repose un bout de bois écorné par des brûlures marquées au chalumeau. Cuy y fait fondre le métal qui sert à confectionner des bijoux, ou à en réparer d’autres. “Manefy Firavaka”, est-il inscrit à l’extérieur, soit « fabriquer des bijoux ».

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Colliers, bagues, bracelets en métal et boucles d’oreilles se rangent dans de petites boîtes en carton. Des commandes laissées sur place par des clients qui souhaitent réparer un bijou, en consolider un autre, ou tout simplement en façonner un nouveau.

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Cigarettes aux lèvres, Cuy s’attelle ce dimanche (chose inhabituelle pour un Malgache). Le jour du Seigneur est en effet sacré en ces terres. En dehors, dans l’avenue, qu’il observe depuis sa fenêtre, les gens ont revêtu leurs plus élégants habits pour se rendre à la messe. La majorité des commerces restent clos.

« J’ai quelque chose d’urgent à terminer pour libérer mon mardi », concède le bijoutier, en chauffant une fine feuille de métal. Jusqu’à ce que celle-ci se transforme en une bulle liquide, passant du rouge au gris, qui vacille sur l’écorce noircie du bout de bois. Le métal liquide servira à souder une relique.

Un procédé pour lequel Cuy garde quelques plumes d’oiseaux sur la table. Ici, point d’outils technologiques ou autres appareils digitaux.

Une collection de pinces de diverses tailles est suspendue à une corde au-dessus de son plan de travail. Tout se fait à la main et à la force des bras. La précision, elle, se juge par l’habileté des doigts et une vue perçante, qui ne requiert guère l’usage des lunettes perchées sur son front.

De fait, avec les plumes d’oiseau, Cuy récupère un liquide qui renforcera la soudure portée sur un bijou.

Le vieux bijoutier se lève de sa chaise pour se diriger vers un imposant équipement. Un laminoir qu’il a acheté il y a plusieurs décennies. L’objet en métal massif lui arrive au cou.

Avec la force de ses 63 années, Cuy tourne une manivelle, qui actionne deux rouleaux à travers lesquels les métaux sont aplatis. L’outil se révèle ainsi indispensable à son métier, malgré l’huile de coude nécessaire et la sueur qu’il engendre.

« J’ai deux enfants qui ont trouvé de l’emploi au ministère des Finances », confie fièrement le bijoutier. « Mais ils ne veulent pas travailler ici… Ils trouvent que c’est sale. »

Un doute pend dès lors au sein de son atelier : Cuy est peut-être le dernier bijoutier de sa lignée.

 

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