Pr Arnaud Carpooran: Aucune décision politique sur le KM en HSC, à ce jour
Dr Jimmy Harmon : Le National School Certificate ouvre la voie à la décolonisation du système des examens à Maurice
Durant trois jours, une trentaine d’intervenants s’exprimeront sur la lutte pour la reconnaissance de la langue kreol en 55 ans d’indépendance. Une initiative de Ledikasyon Pu Travayer (LPT) pour marquer la Journée Internationale de la Langue Kreol. De la lutte pour la reconnaissance, à son introduction à l’école, en passant par son utilisation dans les médias et autres instances institutionnelles, les progrès et les limites, ainsi que les défis ont été abordés. Alors que le premier National School Certificate en Kreol Morisien se tient actuellement, il n’y a rien de concret pour le HSC. Cette épreuve, pourrait toutefois, ouvrir la voie à une mauricianisation des examens, indiquent des panélistes.
Lalit pu Langaz Kreol : Eta-delye Apre 55 an Lindepandans. Tel est le thème choisi par LPT, pour ce colloque sur le progrès de la langue maternelle. L’événement a eu le mérite de réunir des panélistes de différents secteurs, allant de l’académique au militantisme, en passant par la création. Procédant à l’ouverture de ce colloque, l’ancien président de la république, Cassam Uteem, a salué le travail entrepris par LPT depuis plus de 50 ans. Dans la foulée, il a eu une pensée particulière pour deux piliers de la langue kreol, Dev Virahsawmy et Vinesh Hookoomsing, connaissant actuellement de graves problèmes de santé.
Cassam Uteem a également souligné le travail entrepris par l’Université de Maurice, notamment le dictionnaire monolingue du Pr Arnaud Carpooran, ainsi que la contribution des chanteurs de séga et des poètes. Il n’a pas caché son appréciation du fait que ce soit un poème en kreol, celui de Jean Lindsay Dookhit, qui a remporté la dernière édition du concours de poésie Edouard Maunick.
Établissant un parallèle entre le kreol haïtien et le kreol morisien, Cassam Uteem estime qu’il est temps que la langue maternelle ait un statut officiel. De même, son utilisation au Parlement demeure une nécessité. « Il y a eu un long parcours, du statut de préjugé à l’acceptation, avec une place importante à l’université. Il faut maintenant, que le kreol devienne une langue officielle, comme aux Seychelles et en Haïti », affirme-t-il.
De même, a-t-il poursuivi : « si l’Anglais peut parler l’anglais à la Chambre des Communes, que le Français peut parler le français à l’Assemblée nationale et que l’Indien peut parler l’hindi au Lok Sabha, pourquoi le Mauricien, ne peut-il par parler le kreol au Parlement? » se demande-t-il. Il est d’avis que l’utilisation du kreol à l’Assemblée nationale permettrait une meilleure compréhension des débats.
Zouti pou reflesi
Le premier panel du colloque était consacré à l’éducation. Avec le Dr Pascal Nadal comme modérateur, trois intervenants, à savoir le Pr Arnaud Carpooran de l’Université de Maurice, Alain Ah Vee et le Dr Jimmy Harmon se sont exprimés sur le thème « Langaz kreol antan ki zouti pou reflesi.» Alain Ah Vee est revenu sur le travail entrepris par LPT depuis 1977, pour l’enseignement de la litéracie aux adultes. Un sondage interne réalisé en 1981 a révélé que 53% des adultes à Maurice ne savaient ni lire ni écrire.
Ce travail de LPT, récompensé par l’UNESCO en 2004, a démarré sans expérience ni matériel, a précisé Alain Ah Vee. La litéracie était abordée comme une forme d’émancipation. « Notre approche est basée sur le vécu de la personne. Les apprenants sont invités à s’exprimer et ensuite, à le traduire en écrit. On ne peut dissocier la langue et la personne », ajoute-t-il.
Le Dr Jimmy Harmon a relevé la pertinence du thème Langaz kreol antan ki zouti natirel pou reflesi. Se référant au dictionnaire Carpooran à propos du mot « zouti », il a également cité l’exemple qui y est mentionné : « enn zouvrie pa vo nanye san so zouti. » Ce qui équivaut, pour lui, dans le contexte éducatif à : « enn zanfan pa vo nanye san so zouti. » Ce qui ramène à la problématique de la langue maternelle comme médium.
Toujours est-il, a poursuivi Jimmy Harmon, la langue seule ne résout pas tous les problèmes. « L’utilisation du kreol ne va pas résoudre tous les problèmes, mais elle va jouer un rôle important. La langue permet ce qu’on appelle dans l’éducation aujourd’hui, le Holistic Development », dit-il en citant trois rapports importants à prendre en considération dans ce contexte, soit Equity and Inclusion in Education, Global Education Monitoring 2020 et Reimagining our futures together : a new social contract for education.
En tant que responsable de l’éducation secondaire au Service diocésain de l’éducation catholique (SeDEC), il a évoqué les difficultés rencontrées depuis les deux confinements. « Le lockdown a généré de gros problèmes, difficiles à gérer. Nous faisons face à un Learning Crisis », concède-t-il.
Décolonisation
Dans ce contexte, Jimmy Harmon estime que le National School Certificate, dont c’est la première édition cette année, ouvre la voie à une décolonisation du système des examens à Maurice. « Pour la première fois, il y a un examen de ce niveau, qui n’est pas de Cambridge. L’examen de kreol morisien est le premier examen local, qui pourrait ouvrir la voie à d’autres et vers une décolonisation complète, comme cela a été le cas en Afrique du Sud, tout en respectant les normes internationales », se félicite-t-il.
Le Pr Arnaud Carpooran a expliqué comment, avec les contraintes du Covid-19, les linguistes de l’Université de Maurice ont dû commencer à travailler également sur l’aspect littéraire. Ce qui a permis de commencer, un travail en amont, pour l’enseignement de la littérature kreol au secondaire, avec l’éventualité d’avoir le Kreol Morisien en HSC. « Toutefois, à ce jour, il n’y a eu aucune décision politique au sujet de l’introduction du KM en HSC», laisse-t-il entendre. Cela alors même que près de 200 candidats prennent cette matière aux examens du NSC se déroulant actuellement.
Il partage l’avis de Jimmy Harmon, à l’effet que le NSC marque la mauricianisation des examens. « C’est hautement symbolique et historique, que ce soit le kreol morisien qui est la première matière à ces épreuves », reconnaît-il. La littérature, a poursuivi le Pr Carpooran, n’est pas seulement écrite, mais également orale. Il a fait référence aux devinettes et proverbes, qui relèvent du folklore.
Quant à savoir si l’étude des textes littéraires mauriciens prendra en considération les graphies d’origine ou s’il y aura des traductions dans l’orthographe officielle, il est d’avis qu’il ne faut pas se limiter à cela. « L’enseignement de la littérature devra suivre le modèle standard, tout en ayant la possibilité de se pencher sur des textes d’origine, notamment de François Chrestien ou de Charles Baissac », préconise-t-il.
Jimmy Harmon, suggère, pour sa part, que les textes soient étudiés sous différentes périodes, avec différentes manières d’écrire, comme c’est le cas pour la littérature anglaise, par exemple.