Anya, 32 ans, fait partie des rares personnes transgenres à Maurice à avoir eu recours à la chirurgie d’affirmation de genre pour vivre pleinement l’identité dans laquelle elle se reconnaît. Ainsi, cette année, elle a subi une vaginoplastie dans un hôpital au Gujarat, qui a été déterminante dans sa transition. En 2017, elle a eu recours à des implants mammaires en Thaïlande. Soutenue dans sa démarche par ses parents, ultra religieux, Anya s’estime chanceuse : “Mon père me considère comme sa fille”, dit-elle. Le combat d’Anya n’est pas pour autant fini. Elle a fait une demande de changement de nom et attend une réponse positive, faute de la reconnaissance de son statut civil de femme.
Quelques mois avant fin 1990. Lorsque la mère d’Anya (nom modifié) avait annoncé à toute la famille qu’elle attendait son troisième enfant, son père était aux anges. Ce bébé, pensait-il, agrandira sa petite tribu et fera, tout comme son fils aîné et son cadet, sa fierté. Sa mère rêvait secrètement d’avoir une petite fille. Un troisième fils sera, certes, un cadeau du ciel, mais trois garçons à la maison… La maman s’en est alors remise à la volonté de Dieu. S’il lui envoie un fils, un jour, se disait-elle, quand ils se marieront, elle se rattrapera avec ses belles-filles. Elles les aimera comme ses propres filles. Et par un beau jour de 1991, lorsque la jeune femme a donné naissance à un autre petit garçon, elle s’est résolue à l’idée de renoncer à la layette rose qu’elle avait auparavant préparée, au cas où son vœu aurait été exaucé. En prenant son benjamin dans ses bras, son père était le plus heureux des papas. Il lui chuchotait des mots tendres et, inondé de bonheur, lui murmurait à l’oreille des projets d’avenir à réaliser : “Lorsque tu seras un homme, mon fils…”
Des seins à Bangkok
2017, Thaïlande. Dans une chambre d’hôpital à Bangkok. Ses cheveux longs attachés en arrière, les traits quelque peu tirés, Anya vient de se réveiller après une intervention chirurgicale qui a duré environ une heure. Sous le bandage qui presse légèrement son thorax, elle arrive à sentir les seins dont elle voulait tant. Malgré l’inconfort post-opératoire, elle est heureuse. Elle se rapproche de plus en plus de son but et considère que son nom masculin à l’État civil est un nom qui ne lui correspond plus. Cette augmentation mammaire est une procédure chirurgicale effectuée dans le contexte d’une transition de genre de masculin à féminin qu’Anya avait entamée à partir d’une hormonothérapie. Cette intervention en Thaïlande vise à créer une apparence plus féminine du thorax d’Anya en augmentant le volume de la poitrine grâce à l’insertion d’implants mammaires positionnés derrière le muscle grand pectoral.
Libérée
Février 2023, dans un hôpital dans l’État du Gujarat, Inde. Lorsqu’Anya ouvre les yeux après avoir passé sept heures en salle d’opération, elle s’empresse “de soulever le drap” qui la recouvre, son premier réflexe. Comme à Bangkok, malgré les douleurs et l’inconfort post-opératoire, plus présent cette fois-là, Anya se réjouit. Elle éprouve, enfin, ce sentiment qu’elle avait longtemps imaginé. Elle se sent femme physiquement et “libérée d’un lourd fardeau” qui était de vivre dans le mauvais corps. Tout en apparence dans son corps démontre qu’elle est désormais une femme. Le chirurgien indien et toute l’équipe médicale qui l’avait entourée et accompagnée ont fait d’elle la femme qu’elle a toujours désiré être. Anya a un vagin. Cela fait deux jours qu’elle est dans cet hôpital où la vaginoplastie et phalloplastie sont des opérations courantes et même prises en charge par l’État indien. En 2014, la Cour suprême indienne a reconnu la communauté transgenre comme étant un troisième genre. Les chirurgies transgenres sont, depuis, pratiquées par des professionnels indiens expérimentés.
Anya reste dans l’établissement pendant quelques jours. Elle en profite pour effectuer un autre changement, toujours par le biais de la chirurgie. Elle passe par une chondrolaryngoplastie, une procédure qui consiste à réduire la pomme d’Adam en vue d’une féminisation faciale. Puis, elle s’installe dans un hôtel non loin de l’hôpital pour le suivi post-opératoire. Comme il n’y a pas de spécialiste en vaginoplastie à Maurice, elle ne peut encourir le risque de rentrer au pays. Anya fait le compte, de la thérapie hormonale aux différentes chirurgies, pour passer au physique d’homme à femme, elle a dû trouver environ 10,000 USD. Pour financer sa transition de genre, elle a contracté un crédit, travaillé, puisé dans ses économies et compté sur l’aide de son compagnon. “Aujourd’hui, je vis une vie normale…”, laisse entendre Anya.
Des études à 32 ans
Un après-midi d’octobre 2023. Anya est au volant de sa voiture, elle rentre chez elle après ses cours dans un institut d’études supérieures. Elle vise un degré en ingénierie. “C’était mon rêve de faire des études ! Quand j’étais au collège, j’ai vécu un cauchemar. J’étais constamment harcelé et insulté. A cause de cela, je ne pouvais pas me concentrer au collège. Pourtant, je n’étais pas un mauvais élève. Il y a quelque temps, j’ai pris la décision d’arrêter de travailler et de me remettre aux études”, raconte Anya, heureuse de cette revanche. Long cheveux colorés, ongles manucurés, légèrement maquillée, elle sourit à la vie. “Je n’ai pas eu besoin de me soucier de féminiser ma voix. L’hormonothérapie n’est pour rien, j’ai toujours eu une voix féminine”, dit-elle. Comme chaque après-midi après ses cours, Anya rentre chez elle. Elle vit avec son compagnon dans la même maison que ses parents, “croyants et très pratiquants, quasiment conservateurs”, précise-t-elle.
Ma première robe à 17 ans
“Mon compagnon est de foi différentre que la nôtre. J’ai une chance extraordinaire d’avoir des parents comme les miens. Ils ne m’ont jamais rejetée, demandé de quitter leur toit. Ma mère m’appelle sa fille. Mon père aussi me considère comme sa fille, et mon compagnon comme son gendre”, confie Anya. “Ma famille est ma base”, dit-elle. C’est aussi grâce au soutien de ses parents que l’entourage d’Anya lui témoigne du respect. “Mes voisins, non plus, ne m’ont jamais pointée du doigt pour me faire sentir que je suis différente”, confie cette dernière. Toutefois, au départ à l’adolescence, lorsque l’orientation sexuelle d’Anya s’est affirmée, le soutien familial n’a pas été spontané.
“Je n’ai pas eu à faire de coming out. Ado, ma féminité était tellement évidente. Je laissais pousser mes cheveux et ne faisais rien pour parraître masculin”, dit Anya. “Déjà quand j’étais enfant, à l’école primaire, j’étais instinctivement attirée par l’univers féminin. Je jouais à Barbie, j’avais un cartable rose. J’étais très girly. Mes parents ne comprenaient pas trop pourquoi j’avais ces préférences”, raconte-t-elle. C’est au collège, au moment de la puberté qu’elle allait elle-même mieux comprendre pourquoi elle se sentait plus féminine que masculine. “Je me suis tournée vers internet, tout simplement, pour avoir des informations. Mes parents, eux, étaient persuadés que j’avais un problème psychologique et que je devais consulter un médecin. Nous avons eu des discussions. J’ai tenu bon jusqu’à ce qu’ils finissent par accepter mon choix. Mais cette quête d’identité a été une épreuve difficile en tant qu’ado. Je ressentais un tel mal-être que j’ai fait une tentative de suicide”, raconte Anya.
A 17 ans, avec la complicité d’une amie, elle porte sa première robe, ses premières chaussures à talons et se maquille. Une fois majeure, elle adopte des tenues vestimentaires féminines et affiche ouvertement son orientation sexuelle. Quand elle a annoncé à ses parents qu’elle s’envolait pour la Thaïlande, puis l’Inde, pour ses chirurgies d’affirmation, ils n’ont pu qu’accepter sa décision. Personne ne pouvait l’arrêter. “Ils m’ont dit que mon bien-être primait”, confie Anya, qui aurait évidemment préféré s’entendre dire: “Tu seras enfin une femme, mon fils.” Elle souligne qu”il y a eu toute une préparation psychologique avant la décision définitive.”
“C’est pour qui ?”
Anya n’a jamais joué la carte masculine quand elle s’est retrouvée sur le marché de l’emploi. “J’allais aux entretiens d’embauche habillée en femme et je sortais ma carte d’identité pour dissiper les doutes”, concède-t-elle. Elle a travaillé dans des départements administratifs dans le secteur financier et d’investissement et a toujours été considérée, assure-t-elle, comme une femme par ses collègues. “Mais quand il s’agit de faire des démarches officielles, c’est une autre paire de manche”, avance Anya.
“Il y a quelques jours, je me suis rendue au bureau d’un ministère. La préposée m’a dévisagée, avant de me parler sèchement. Elle ne savait pas comment réagir face à moi et elle a été voir son supérieur sans faire preuve de discrétion. Ce dernier, embarrassé, s’est excusé et a été plus diplomate. Quand j’ai été passer mon permis de voiture aux Casernes centrales, on m’a posé dix mille questions et j’ai dû expliquer que je suis transgenre homme à femme. A la banque, c’est la même chose. Pire, on me demande : C’est pour qui ? – en d’autre mots, si je viens faire des démarches ou transactions pour une autre personne. J’ai fini par apporter mes documents médicaux pour prouver que la personne qui est sur ma carte d’identité est bien moi !”, se désole Anya.
“Je ne m’arrêterai pas là !”
Faute de la reconnaissance officielle de son statut de femme, Anya a fait une demande de changement de nom, le fameux Change of name. Elle attend avec impatience la réponse du bureau de l’Attorney General. “Je ne m’arrêterai pas là!”, annonce-t-elle. “Je voudrais que l’État mauricien reconnaisse le genre auquel nous appartenons après la chirurgie d’affirmation. Que notre genre figure sur nos documents d’identité. Pour cela, j’aurai recours à la Cour suprême”, indique Anya, déterminée. Elle est aussi prête à accompagner les personnes transgenres dans leur cheminement, dit-elle. “C’est un parcours où l’accompagnement est un facteur important”, ajoute Anya.