Avinash Gopee, directeur de Nundun Gopee & Co Ltd, à la tête d’un véritable empire foncier, fait une nouvelle fois parler de lui, et de manière fort peu diplomatique, à en croire certains renseignements ayant transpiré au Parlement autour d’une « Letter of Reservation » émise en faveur d’une de ses compagnies, Luxury Suites Ltd, pour l’aménagement d’un 5-star Luxury, sustainable & Eco-friendly Resort de 25 arpents autour de la plage d’Anse La Raie. C’est le député PTr Osman Mahomed, qui a levé le lièvre caché dans les tiroirs du ministère des Terres et du Tourisme.
Au-delà des conséquences néfastes pour cet endroit propice au développement de la faune, des zones d’ombre subsistent autour de l’octroi de ce terrain pied dans l’eau à une entité, fondée le 24 mai 2018, qui n’a aucune expérience dans le domaine hôtelier et qui ne possède que Rs 10,000 comme actif, alors que des demandes ont été reçues d’autres groupes… depuis 2015.
Après avoir tissé des liens privilégiés avec le pouvoir et bénéficié de ses largesses en décrochant de juteux contrats, notamment dans la cybercité, Avinash Gopee, faisant aussi office de président de la Tourism Authority (TA), n’a pas fini de faire la pluie et le beau temps. Il a, cette fois-ci, jeté son dévolu sur la belle plage d’Anse La Raie et son image de carte postale, enclavée, bordée de palmiers, de filaos et de cocotiers. Ce havre de paix est connu pour ses eaux turquoise, ses mangroves et sa beauté naturelle, idéales pour la baignade et la plongée sous-marine où on peut voir une grande variété de poissons et de coraux. Il y aurait forcément de l’ombre et du monde en moins durant le week-end au cas où le projet 5-star Luxury, sustainable & Eco-friendly Resort de 25 arpents sort du sable fin qui abrite un Centre de Jeunesse qui serait, du coup, rasé au même titre que l’ancien Campement du Gouverneur et d’autres facilités qui s’y trouvent. (Voir plus loin).
Pour comprendre les dessous de cette affaire, qui se répand comme une traînée de poudre dans les villages du littoral Nord et Nord-Est de l’île, il faut remonter au 8 juin 2023. Le député et responsable des affaires liées au logement et à l’aménagement du territoire au PTr, Osman Mahomed, entend soumettre le ministre des Terres et du Tourisme, Steven Obeegadoo, à un feu roulant de questions au Parlement, sur l’éventuelle conversion d’un terrain appartenant à l’État à Anse La Raie et si une demande a déjà été faite pour le lancement d’un quelconque projet.
Au motif qu’il est rentré en retard d’une conférence de presse en compagnie du leader de l’opposition, ladite question n’a pas été répondue. Le député s’attendait, malgré tout, à recevoir une réponse écrite de la part de Steven Obeegadoo. Une demande restée lettre morte.
Master Plan de 100 arpents…
Anguille sous roche ? Ce n’est que partie remise car Osman Mahomed revient à la charge au Parlement le 17 octobre, en tentant de tirer les vers du nez… du ministre Deepak Balgobin (répondant pour le ministre du Tourisme, du Logement et des Terres, absent du pays). Le député apprend de la bouche de Deepak Balgobin que 22 personnes et entités ont fait la demande depuis 2015 pour les terrains de l’État à Anse La Raie. Un brin perfide, le député Rouge dépose une photo montrant une Range Rover appartenant à la compagnie de construction Nundun Gopee & Co Ltd dans la cour du centre de jeunesse à Anse La Raie. Deepak Balgobin n’a (pas) pipé mot sur la présence de ce véhicule sur ledit terrain tant convoité.
Ce n’était que partie remise car après être resté sur sa faim à deux reprises, au Parlement, Osman Mahomed a finalement pu cuisiner Steven Obeegadoo, le 24 octobre dernier. Après avoir orchestré le flou autour de cette affaire, ce dernier concède que la compagnie Luxury Suites d’Avinash Gopee avait bel et bien reçu sa Letter of Reservation pour ce terrain. À la lumière du Master Plan de 100 arpents, que le ministre n’a pas voulu déposer au Parlement, il s’avère qu’un lopin de terre d’une superficie de 25 arpents lui a été alloué à travers ladite lettre de réservation pour y lancer un projet à vocation touristique. Là où le bât blesse est qu’il est écrit noir sur blanc dans le Registrar of Companies, que la compagnie Luxury Suites n’a fait aucune transaction depuis sa création en 2018 et qu’elle ne possède que Rs 10,000 comme actif.
Une lettre de réservation ne constitue pas l’allocation définitive d’un terrain de l’État. Elle est accordée dans une première étape et comporte une série de conditions que le promoteur doit satisfaire. Ce n’est qu’après le respect de toutes les conditions de cette réservation qu’une lettre d’intention, suivie d’un contrat à bail sont octroyés au promoteur. C’est le Conseil des ministres qui donne son feu vert à l’allocation d’un terrain de l’État. Steven Obeegadoo a botté en touche à la question de savoir si Luxury Suites Ltd est apte à s’engager dans le projet envisagé, compte tenu de la teneur du Registrar of Companies à son sujet. « Comment les autorités ont-elles pu accorder un terrain pied dans l’eau valant plus de deux milliards de roupies à une entité qui n’a aucune expérience dans le domaine hôtelier, alors que le ministre parle de demandes reçues depuis 2015 ? En outre, le prix du bail s’élèverait, selon la State Land Act, à environ Rs 28 millions par an pour les 25 arpents que Luxury Suites Ltd aurait déjà obtenus », confie Osman Mahomed.
Obeegadoo botte en touche
Les indices allant dans le sens de l’implémentation d’un projet immobilier autour de la plage s’étaient multipliés en 2018 après le démarrage de la construction d’un by-pass de 2,2 km reliant la route Mont Choisy/Cap Malheureux à Anse-La-Raie, au coût de Rs 200 M, qui a nécessité l’abattage de près de 200 filaos. Les membres du collectif Protect Anse La Raie étaient montés au créneau pour réfuter les propos tenus au Parlement par le ministre des Infrastructures d’alors, Nando Bodha, selon lesquels le projet est doté d’un rapport EIA (Environment Impact Assessment) et a obtenu l’autorisation du comité Ramsar quant aux zones humides dans la région. Au Parlement, Nando Bodha avait croisé le fer avec son collègue du MSM, député de la circonscription No 6 (Grand-Baie/Poude-d’Or), Sudesh Rughoobur, qui a mis l’accent sur le fait que « personne n’est contre des projets dans la région sauf que Anse La Raie est l’un des rares endroits dans le Nord pour un moment de détente en famille. »
Les membres du collectif Protect Anse La Raie et les habitants sont sur le pied de guerre en vue d’une réunion explicative et d’une manif qui auront lieu ce dimanche matin à 11hr au Doorga Building à Calodyne. Vashish Bijloll, activiste social sur tous les fronts dans la circonscription No 6, sera de la partie. Il nous confie que « ler inn vini pou ki bann abitan aret kasiet deryer lekran ou lor Facebook. On a été mis devant le fait accompli. Face à ce projet adopté en catimini, sans consultation avec les riverains, il est de notre devoir de nous réunir ce dimanche pour empêcher que l’extraordinaire milieu de biodiversité que nous occupons soit transformé en un amas de béton destructeur. Kot nou zenfan pou al pass enn bon ti moman detente après ça ? Qu’aviendra-t’il de nôtre centre de jeunesse ? Quand on voit les sommes d’argent importantes investies dans ces projets hôteliers, alors que les espaces de loisirs sont quasi inexistants ou laissés à l’abandon, on peut conclure que nos votes ont été trahis. » Les autorités changeront-ils pour autant leur fusil d’épaule face la fronde des habitants ? Affaire à suivre.
En 2015
Une partie d’Anse La Raie transformée en zone protégée
Le projet en passe d’être développé à Anse La Raie est symptomatique du phénomène d’accaparements des plages qui demeure en totale contradiction avec la politique du gouvernement de promouvoir le concept d’une Ile Maurice Durable. La polémique s’infiltre dans chaque coin de l’île. Anse La Raie, endroit propice au développement de la faune, où des oiseaux migrateurs viennent également se reproduire avant de regagner l’Europe, est inlassablement convoité par les promoteurs immobiliers depuis 2015, année où le ministre de l’Environnement, feu Raj Dayal avait pourtant opposé une fin de non-recevoir à tout développement dans les wetlands.
Au Lagoon Attitude d’Anse la Raie, le Marine Discovery Center – qui collabore à des projets de sauvegarde des tortues – s’emploie à sensibiliser les visiteurs étrangers, ainsi que les jeunes Mauriciens et les pêcheurs. À quelques brasses de l’hôtel, une zone de conservation du lagon fait l’émerveillement des baigneurs qui sont invités à partager leurs photos sous-marines pour enrichir la base de données du Centre. Une autre partie du lagon, communément appelée Mare La Raie, a été transformée en zone protégée, à la suite d’une décision de l’ancien ministre de l’Environnement et de la Beach Authority. Cette partie du pays est connue pour receler un écosystème très varié, incluant des crustacés, comme les crabes et les crevettes. Afin d’augmenter et de protéger l’habitat naturel de cette faune aquatique, une partie du lagon a été transformée en forêt de mangroves.
Hélas, le développement sauvage se poursuit avec la bénédiction des autorités qui n’ont toujours pas saisi l’importance de la protection des wetlands, malgré tous les beaux discours. Maurice fait fi de la Convention Ramsar dont il est signataire et qui implique clairement la protection de tous les wetlands. Le message est très clair : le développement a priorité sur la protection de l’environnement. Ce, même si les mangliers, les roseaux, les lagons, les récifs coralliens et les innombrables animaux qui en dépendent en pâtissent.
Patrimoine
Le Campement des Gouverneurs…
ou ce qu’il en reste
Outre le Youth Centre du village d’Anse La Raie, qui tombe sous la responsabilité du ministère de la Jeunesse et des Sports, à quelques mètres de là, l’on peut apercevoir un bâtiment colonial, du moins ce qu’il en reste, dans une forêt, et un peu plus loin encore, une autre construction en piteux état. La bâtisse, qui a abrité jusqu’au milieu des années 1980 le « Campement des Gouverneurs », était typique du style architectural créole mêlant le bois, la pierre taillée, le béton et son toit à forte pente. Difficile de croire que ce patrimoine, qui aurait été construit au début des années 1950, a accueilli durant des décennies d’illustres gouverneurs qui y passaient le week-end ou leurs vacances en compagnie de leurs proches.
Sir John Shaw Rennie, Sir Leonard Williams, Sir Raman Osman, Sir Henry Garrioch, Sir Dayendranath Burrenchobay ou encore Sir Seewoosagur Ramgoolam ont arpenté ces lieux. La renommée du campement était éminemment due à son emplacement géographique et la vue imprenable donnant sur le lagon, mais également pour la qualité de son accueil. Ceux gardant en mémoire les récits de leurs aïeux décrivent l’atmosphère tellement singulière qui y régnait. Sur la page Facebook d’Extinct Mauritius, dans les commentaires au bas d’une photo de la plage datant de 1985, une dénommée Pauline raconte que « Ma mère y travaillait comme jardinière au campement. Je l’ai accompagnée à maintes reprises et je me souviens avoir vu Sir John Shaw Rennie prenant son café en lisant un bouquin, attablé à la terrasse, en compagnie de son épouse. »
Kreshan Ramjuttun, un natif du village en 1967, souligne que « Mon père travaillait au campement du gouverneur général à l’époque de la colonisation britannique. J’ai connu cette belle époque où la plage parsemée de verdure valait le détour. Hélas, elle s’est détériorée à la fin du temps, abandonnée, comme le Campement des Gouverneurs, par nos politiciens. » Aux prises avec des problèmes d’humidité, saccagé et pillé par des opportunistes et laissé sans entretien depuis son abandon, l’édifice subit au fil du temps une dégradation évidente, au point où pratiquement tous les murs se sont disloqués. Il abrite désormais des drogués et d’autres délinquants. Sur place, des bouteilles de sirop contre la toux, des seringues usagées et des paquets de cigarettes vides jonchent le sol.