Organisée par l’agence Komkifo et Vilaz Metis, la septième édition de l’événement mettant en lumière les poésies des îles s’est déroulée au Théâtre des Sables, dans le sud-ouest de La Réunion. Les vers indocéaniques puisant de forts sentiments enfouis ont, durant une nuit, rassemblé autour d’un hommage au chantre mauricien de la créolité, décédé un mois plus tôt, Dev Virahsawmy. Une soirée magique où les émotions du fond du coeur ont résonné de manière intense.
Lui a parlé de la majesté de sa langue créole, et elle, elle a ramené à des souvenirs pittoresques de son enfance. En vers, le Rodriguais Stellio Pierre Louis et la Mauricienne Zainab Soyfoo ont séduit les Zanboutan (jurés) et l’audience rassemblés au théâtre des Sables, à L’Etang-Salé, à La Réunion. À l’occasion de la 7e édition du Koktèl Fonnkèr, Rodrigues et Maurice ont brillé.
« Il ne s’agit pas d’une compétition », affirme le poète Michel Ducasse, de Vilaz Metis, coorganisateur de l’événement avec l’agence Komkifo, de Zakaria Mall. Bien que l’ensemble des textes présentés aient fait valoir la finesse des plumes des îles, ceux de Zainab Soyfoo et Stellio Pierre Louis ont été franchement « au-dessus du lot », ajoute-t-il. Tant par la profondeur des écrits que par la forme à travers laquelle ils ont été déclamés au public.
Relevons à cet effet l’aisance de Stelio Pierre Louis à s’amuser avec l’acclamation réunionnaise krike!, qui trouve résonance auprès du public, lui répondant krake! – l’équivalent local étant sirandann, auquel est rétorqué sanpek. Le Rodriguais a dévoilé un jeu scénique exceptionnel dès son entrée en tant qu’homme aveugle pour illustrer le titre de son œuvre, Aveg. Puis les jeux de mots s’entremêlent dans une danse lyrique à laquelle s’accroche la mélodie du kreol de Rodrigues. Stelio Pierre Louis porte la poésie des îles vers de nouveaux firmaments.
À Dev Virahsawmy
Venant de La Réunion, Maurice, Rodrigues et même Mayotte, huit hommes et huit femmes ont défilé durant cette soirée agrémentée de quatre prestations musicales exceptionnelles. « Toutes les interprétations étaient bonnes », maintient Zakaria Mall. « Ce qui m’a vraiment impressionné, c’est le niveau des Rodriguais et des Mauriciens. Je me suis rendu compte que c’était quelque chose qui était développé depuis le collège à travers des dispositifs pour le slam. Nous voyons le résultat aujourd’hui. Stelio, par exemple, a un niveau international, d’autant que c’est la deuxième fois qu’il obtient le coup de coeur », fait-il comprendre.
En effet, l’année dernière, Stelio Pierre Louis avait décroché le trophée de Fonnkézèr de l’année au Caudan Arts Centre. L’édition du Koktèl Fonnkèr 2022 avait rendu un hommage au chantre de la créolité, Dev Virahsawmy, de son vivant. Cela en présence d’autres personnalités importantes, telles l’ancien président de la république Cassam Uteem et l’auteure Lindsay Collen, également membre de Lalit.
Avec le décès de Dev Virahsawmy et en raison du poids historique que charrient les milliers de ses écrits, de même que son combat pour la reconnaissance du kreol, l’événement lui a de nouveau rendu hommage cette année. « Nous nous adaptons généralement à l’endroit où nous sommes. L’hommage à La Réunion est toujours rendu à Dédé Lansor, soit André Payet. Il a été une figure historique de la poésie locale en langue créole, et un combattant pour la liberté. Cependant, avec Michel Ducasse, nous avons dit que nous allions rendre un hommage de nouveau cette année, puisqu’il est décédé récemment. Nous allons également nous adapter l’année prochaine si nous nous tournons vers Rodrigues (voir hors-texte) », ajoute Zakaria Mall.
La nouvelle réussite de Koktèl Fonnkèr inscrit davantage ce rendez-vous annuel dans le registre collaboratif interîles. Cette coopération fructueuse ne peut désormais que s’étendre à d’autres territoires de l’océan Indien. Et pourquoi pas au-delà ?
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Extrait de « Aveg » de Stelio Pierre Louis
Mo kontan mo kreol kri.
Mo kontan mo kreol kre.
Krike, Krake
Kan mo pou retrouv to bote kiltirel?
Sa fer enn moman depi to’nn sanze ki to nepli natirel.
Mo langaz, mo lalang, mo patwa…
Mo kapav deles tou, me pa twa.
Mo ti la la e, dan lale kiltir ape bat-bate,
Dilate, langaz ki mo ti’le nate ape fini gate
Sitan pe vinn vilin pou gete.
Mo lizie inn fatige les li anbete.
Aveg !
Mo kreol zot inn dezabiye ek viole.
Li violan, kan sa son violon dezakorde.
Me toutan zako dan lamizik
Kouman lamizik pou akorde ?
Kolonize !
Nou bãnn kolõnn fini ize
Me mo dimounn pa trakase, zot pe’amize.
So kreol biento pou dan mize.
Mo ti kapav dir anou mize,
Me san nou kiltir nou tou mizer
Ek nou problem li mazer.
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Extrait de « Sali Rouz » de Zainab Soyfoo
Sali rouz anba mo lipie fey tol lor mo latet
douz dibwa bord dan foye,
mo dadi rap zalimet
pou sa swar-la so reset : Farata, masala kari zak…
Mwa ek mo frer konplis dan tou lasos, louke depi godam, parey kouma lay kan trouv laflam. Mo frer get mwa, mo get li, mo les li al avan
mwa mo swiv li… “Dadiiiii”…
Mo dadi si zot pa konn li, mo enn so fotokopi: Meg kouma baton zalimet So blouz de fwa so lekor, So zip balye lakour, so seve ti pas dan siklonn, so latet kriye o-sekour.
Ant so de lame, dal gotni roule. Lor ros masala, baba ros kari roule : pa ti bizin triyang, ravann, maravann, ti bizin zis tilani, lay, zoyon, zinzam…
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C’est quoi un Fonnkèr?
En une phrase : une poésie qui vient fond du coeur. Utilisé à La Réunion, le terme fonnkèr se veut un synonyme de « poème », traduisant cependant des sentiments profonds d’une façon particulièrement imagée et intense. Le fonnkèr peut être déclamé, écrit et même chanté.
Ainsi, à l’île sœur, une multitude d’œuvres musicales et d’interprètes emploient ce genre poétique dans leurs créations. Citons à cet effet l’album d’Olivier Cadet, Mémwar, dans lequel il chante : « Dan mo zenn tan, mo napa connu André Payet ». Dans Dédé, Olivier Cadet parle ici d’un emblême populaire, Dédé Lansor, fonnkézèr et « militant de la langue et du coeur ».
Zanmari Baré, Danyel Waro, Emma Nona… Autant de voix de l’ancienne et de la nouvelle génération qui font vivre le fonnkèr à La Réunion… et au-delà.
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Visée sur Rodrigues
L’agence Komkifo (La Réunion) et Vilaz Metis (Maurice) souhaitent porter la 8e édition du Koktèl Fonnkèr à Rodrigues l’année prochaine. À la base de cette ambition s’inscrit une démarche de collaboration renforcée entre les îles sœurs. « Nous avons les Jeux des îles pour ce qu’il s’agit du sport. Par contre, en matière culturelle, il y a encore des difficultés à échanger entre les îles de l’océan Indien », note Zakaria Mall. S’exporter mène ainsi à se rassembler autour de sujets sensibles propres aux îles. D’ailleurs, cette année, un représentant de Mayotte a foulé la scène de l’Etang-Salé.
Cette visée indocéanique pose toutefois des problématiques quant à son organisation. Sans le soutien vital d’institutions mauriciennes, réunionnaises et rodriguaises, le projet pourrait difficilement se concrétiser. Rodrigues, cependant, à l’image de Stelio Pierre Louis, est un vivier de poésies et de slams. Le rêve d’y tenir la prochaine édition du Koktèl Fonnkèr, si réalisé, mettra en lumière des vers et histoires d’une île qui ne demande qu’à exposer les multiples talents dont elle regorge. L’avenir dira ce qu’il en est de l’appel en faveur d’un échange indocéanique culturel.