Post-Belal et problèmes de drains — Adi Teelock (Platform Moris Lanvironnman) : « Sans exutoire, aucun drain ne sera suffisant pour contenir le storm water »

« Wiser after the event », dit l’adage, et pourtant 10 ans après les inondations meurtrières dans la capitale, c’est plutôt la définition de « wise » que l’on devrait revoir. Depuis des années, plusieurs experts en environnement tentent d’ouvrir le dialogue avec les autorités de tutelle, pour justement éviter le pire. Sur la question récurrente de l’efficacité des drains dans de telles situations, l’écoactiviste Adi Teelock de Platform Moris Lanvironnman (PML) regrette, une fois de plus, que le Land Drainage Masterplan (LDM) n’a toujours pas été rendu public. Ce plan directeur préparé avec la technologie du Digital Elevation Model (DEM) permet d’envisager plusieurs scénarios d’intensité de pluies et même en conjonction avec les marées…

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Ils l’avaient prédit. Depuis des années, les experts en environnement tirent la sonnette d’alarme sur les nombreuses anomalies qui existent dans la loi et dans la pratique, en vain. Adi Teelock ne décolère pas. « Les inondations à Port-Louis et ailleurs ont encore une fois été traumatisantes et destructrices. Le changement climatique y est pour quelque chose, mais son impact a été démultiplié par à la fois l’action et l’inaction humaine. Dans tout cet épisode tragique où deux hommes ont perdu la vie, il faut situer les responsabilités, et surtout ne pas chercher de boucs émissaires », affirme-t-elle.

Elle renchérit que dans le budget 2022-2023, « Rs 11,7 milliards d’argent public ont été votées pour des travaux infrastructurels essentiellement composés de drains. Ce budget conséquent et plusieurs autres milliards déjà votés auparavant sont-ils utilisés de façon efficace et efficiente ? Il semblerait que non et il faudrait savoir pourquoi. » Pour Adi Teelock et de nombreux écoactivistes, la Land Drainage Authority (LDA), en tant qu’autorité, « a un rôle crucial et il faut situer sa responsabilité comme instance qui a le pouvoir de réglementer ce qui se fait en termes de land drainage dans le secteur privé et le secteur public. Cependant, le Land Drainage Masterplan (LDM) finalisé au coût de Rs 70 millions en 2022 et dont le ministre des Infrastructures nationales a vanté les mérites n’est toujours pas public. »

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Le Digital Elevation Model (DEM),
un outil puissant

Adi Teelock explique ainsi que « ce plan directeur a été préparé avec la technologie du Digital Elevation Model (DEM) qui est un outil puissant. Il permet d’envisager plusieurs scénarios d’intensité de pluies et même en conjonction avec les marées. Il est important de noter ici que la marée de tempête de lundi dans le port était prévue, et il était prévisible que cette marée allait amplifier l’impact du ruissellement des eaux de pluie qui arrivaient par l’ouest et donc causer des inondations dans Port-Louis. » Elle poursuit que le LDM n’étant pas public et « le plan d’investissement de la LDA ne l’étant pas — il nous semble — non plus, nous ne savons pas ce que la LDA recommande comme stratégie et plan pour minimiser les risques d’inondation sur le territoire national et particulièrement pour des flood-prone areas, comme la capitale. Des réseaux de drains qui canalisent l’eau de pluie vers des exutoires naturels comme les rivières, les wetlands, les drains naturels ou bâtis comme des bassins d’écrêtage (retention ponds) sont-ils prévus ? Car la LDA doit savoir que sans exutoire aucun drain ne sera suffisant pour contenir le storm water, qui se répandra alors aux alentours. »

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Dans le cas de Port-Louis, en 2021, elle rappelle que des travaux pour augmenter la capacité du drain qui longe les flancs de la montagne des Signaux avaient reçu le feu vert de la LDA. « Et les louanges du ministre Hurreeram qui disait qu’avec ces travaux les inondations dans Port-Louis seraient du passé. Il n’en a rien été. Des chercheurs et des professionnels affirment qu’il faudrait en plus de drains, tout un système de flood control composé d’exutoires tels des bassins d’écrêtage et des bassins de stockage en amont de la cuvette qu’est la capitale. Seront-ils écoutés ? »

« Nous sommes inquiets quand nous voyons le nombre de morcellements qui maximisent les lots avec l’unique souci de rentabilité financière et dont les rapports EIA ne considèrent pas des exutoires dans leur plan de land/storm water drainage, mais ont cependant reçu le feu vert de la LDA. Par exemple, à Albion qui est connue pour être coupée du reste de l’île à cause d’inondations, un morcellement maximise le site avec 900 lots (et seulement 3% d’espace vert) et des puits d’absorption et zéro exutoire ! Comme scénario catastrophe pour les acheteurs et les alentours peut-on faire mieux ? » s’indigne-t-elle.

Adish Maudho (géomaticien) :« Comment fait-on pour évacuer une ville ? »

Après les images choquantes des inondations qui ont circulé ad nauseam sur les réseaux sociaux, le lendemain, ce sont les photos du Caudan transformé en déchetterie à ciel ouvert (voir texte ci-après) qui ont choqué plus d’un. Une scène chaotique à l’image des événements de lundi, à 12h 30, lorsque la capitale, d’un coup, se vide pour plonger tête première dans l’eau… Indiscipline ? Réaménagement ou déménagement du territoire ou mauvaise gestion de crise ? Adish Maudho, chargé de la coordination humanitaire pour la région Afrique de l’Est et australe au sein du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), a suivi de près les inondations de lundi à Maurice.

La géomatique est la science de l’information géographique. Elle permet, grâce à différents outils technologiques, la collecte, l’analyse et la gestion de multiples données en vue de prise de décision. Le Mauricien Adish Maudho en a fait son métier. Pour Adish Maudho, au-delà du côté politique « de jeu de blâme où les différentes parties se disputent à coup de communiqués », il y a un réel problème de gestion de crise à être abordé.

« Si le NEOC est un organe de coordination de réponse aux urgences, il faudrait rappeler que les premiers risques majeurs identifiés pour le pays, et d’autant plus depuis 2013, ce sont justement les inondations. Il y aurait dû donc avoir un système de contingence et de coordination entre les différents secteurs et les services essentiels de réponse aux urgences, ce n’est pas nouveau », explique-t-il. Adish Maudho précise que « mon problème dans tout cela ne concerne pas l’alerte cyclonique 1 ou 2 ou 3, erreur de prévision ou pas, mais sur la gestion de la crise : comment gérer une telle situation, surtout quand l’on sait ce que cela donne quand on libère d’un seul coup 100 000 commuters à Port-Louisaux heures de pointe. » Pour Adish Maudho, une des leçons à retenir au terme des événements de lundi est : « Comment fait-on pour évacuer une ville ? »

La capitale n’a
techniquement
que deux sorties

Le géomaticien relève ainsi le manque de drills, d’exercices de simulation en cas de catastrophes de cette envergure. « Finalement, l’on se demande si de tels exercices n’ont pas eu lieu par manque de priorité ou de volonté de la part des autorités concernées ou si tout simplement parce qu’elles ne savent pas comment le faire. » Adish Maudho s’interroge ainsi sur le rôle premier du NEOC qu’est la gestion de catastrophes, « cela n’a clairement pas été le cas, il n’a pu le remplir ». Par ailleurs, il souligne qu’en amont des inondations de ce lundi, « le gouvernement au pouvoir a eu le même slogan pendant ses deux mandats, qui était de construire de nouveaux drains ou de lutter contre les effets du changement climatique, mais que s’est-il passé depuis ? »

De plus, « le ministre de l’Environnement, Kavy Ramano, a assisté à des conférences pour rencontrer des bailleurs de fonds, qu’en est-il ? Il existe différents fonds de financement pour lesquels Maurice est éligible, le Green Climate Fund pour l’adaptation et la mitigation des effets du changement climatique par exemple. » Autre point relevé par Adish Maudho est l’accumulation des déchets à Port-Louis et ailleurs sur l’île. « D’où viennent-ils ? Étaient-ils dans les drains bouchés de la capitale ? »

Des questions qui sont sempiternellement martelées par toute la société civile. Adish Maudho conclut sur l’aménagement du territoire de la capitale :  « Rendre Port-Louis piétonne et lui redonner une âme. » « Cette ville est construite sur des îlots et des marécages, et par ailleurs, la capitale n’a techniquement que deux sorties, une par le Sud et une autre par le nord », dit-il. « Pourquoi ne pas délocaliser une fois pour toutes les institutions et ministères ? »

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