Éducation secondaire — Taux de réussite de 96,28% — Kreol Morisien : joies et frustrations après l’excellente performance au NSC

Le blocage des autorités au niveau du HSC déploré Les manuels pour des étudiants en Grades 12 et 13 presque complétés

Le National Examinations Board a dévoilé la semaine dernière, les résultats du premier examen de Kreol Morisien pris au niveau du National School Certificate. Le taux de réussite de 96,28 est à la fois source de grandes satisfactions mais également de frustrations. Élèves, enseignants et parents regrettent le fait de ne pas pouvoir aller plus loin dans ce parcours, de par le blocage survenu au niveau du Higher School Certificate. Et pourtant, le Mauritius Institute of Education a déjà préparé le syllabus de KM en Grades 12 et 13, validé par le ministère de l’Éducation, tandis que les manuels pour ces deux classes sont presque complétés.

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Ezechiel Modeste et Ryan Lasavanne sont deux élèves du St-Mary’s College, Rose-Hill, qui ont décroché chacun, un A* en Kreol Morisien au National School Certificate. Ils se disent tout heureux de cette performance, mais ont un petit pincement au cœur de n’avoir pu poursuivre le parcours en HSC. Tous deux avaient déjà prévu d’opter pour le Kreol Morisien (KM) au niveau subsidiaire.

Comme eux, 186 autres candidats de KM ont vu leur parcours s’arrêter brusquement, après une réponse de la vice-Première ministre et ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun, à l’Assemblée nationale, en novembre dernier. Elle avait en effet déclaré ce jour-là, que les conditions n’étaient pas encore réunies pour l’introduction du KM au cursus académique pour le HSC en 2024.

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Ce jour-là elle avait fait valoir qu’il fallait attendre les résultats du National School Certificate et une évaluation en profondeur avant d’entériner une décision. Les deux autres conditions nécessaires étant le nombre suffisant d’enseignants de KM pour les classes de grades 12 et 13, ainsi que la disponibilité d’œuvres littéraires dans l’orthographe standard.
Dans la conjoncture, le taux de réussite de 96,28% est-il suffisant pour convaincre les autorités de la nécessité d’introduire le KM en HSC cette année ? Quand l’évaluation à ce sujet est-elle prévue ? À cela, le Pr Vassen Naeck, président du National Examinations Board, déclare tout simplement que le travail est Ongoing, mais qu’il faudra une Policy Decision  pour pouvoir aller de l’avant.

Dr Jimmy Harmon, directeur adjoint du Service diocésain de l’éducation catholique (SeDEC), maintient que les résultats du NSC viennent confirmer ce qui a toujours été dit par rapport à l’enseignement dans la langue maternelle ; notamment, cela aboutit à la capacité de tout apprenant à développer ses compétences dans différents textes.
Ce qui est élaboré dans le syllabus et les trois questionnaires d’examen. Il estime que la performance au NSC vient donner des raisons indiscutables en faveur du KM en HSC. « Avec un taux de réussite de 96,28%, nous nous retrouvons avec des jeunes ayant une compétence élevée en higher mother-tongue pour la communication écrite. Ne pas les offrir KM en HSC, ce serait une catastrophe académique à dimension du cyclone Belal qui restera gravée à jamais dans la mémoire du monde éducatif mauricien, des enseignants, des élèves et des parents », souligne-t-il avec force.

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Il souhaite ainsi que la nouvelle tombe très vite et que les élèves pourront prendre le KM en HSC pour les examens de 2024-2025. À ce sujet, le département de Kreol Morisien du MIE a déjà élaboré le syllabus pour le KM en HSC et que celui-ci a été validé par le ministère de l’Éducation. De même, un panel travaille depuis quelque temps sur les manuels des Grades 12 et 13. Selon des sources dignes de foi, les livres sont presque finalisés. Et comme il n’y avait pas de visibilité sur les intentions du ministère de l’Éducation jusqu’à novembre dernier, l’équipe a pris le soin de préparer à la fois le programme du KM au niveau principal et au niveau subsidiaire.

Épanouissement personnel et intellectuel

Laura Calice, enseignante de KM au collège BPS Fatima, affirme avoir accompagné ses élèves jusqu’au NSC avec plaisir. « J’ai vu des jeunes épanouies tant sur le plan personnel qu’intellectuel. La langue maternelle leur a permis de débattre plus facilement des sujets complexes et émettre leurs opinions. Il n’y a pas eu de barrière de langage. Plusieurs ont décroché leurs Credits aux examens », dit-elle.

Cependant, poursuit Laura Calice, beaucoup avaient prévu de continuer avec le KM en HSC. La nouvelle a été annoncée en pleine période d’examens. Du coup, tous les plans ont été chamboulés : « Mes élèves me posent beaucoup de questions, elles ne comprennent pas pourquoi elles ne pourront pas faire le KM en HSC. En tant qu’enseignante, j’ai beaucoup d’appréhensions également. Je ne vois pas pourquoi on est en train de bloquer le KM en HSC alors que la langue est présente à l’université », fait-elle comprendre.
Pour l’enseignante, la question est d’autant plus pertinente, puisqu’il y a un nombre plus important d’étudiants optant pour le KM en Grade 10. « Cette année, je me suis retrouvée avec une classe remplie. Je note également que les motivations ont évolué. Auparavant, on me disait que c’était une opportunité de décrocher un Credit. Aujourd’hui, on me dit qu’on veut apprendre à mieux connaître sa langue maternelle. En tant qu’enseignante de KM, c’est un plaisir pour moi d’entendre ce genre de raisonnement. Mais en même temps, j’ai des appréhensions, car je ne sais jusqu’où elles pourront aller », déclare-t-elle avec une fierté des plus légitimes.

Laura Calice affirme avoir elle-même choisi de faire ce métier par passion pour les langues. « Après le collège, quand j’ai appris que l’Université de Maurice offrait un BA French and Creole, cela m’a tout de suite intéressée », ajoute-t-elle.

Être enseignante de KM, précise-t-elle, c’est aussi apprendre à faire preuve de résilience, face au regard des autres. « Quand nous avons des rencontres entre enseignants de KM, il y en a qui témoignent comment on les considère comme inférieurs, dans leurs collèges. Heureusement que je n’ai pas à faire face à de tels préjugés, mais pour certains c’est très difficile », reconnaît-elle.

Pour l’enseignante, les conditions sont déjà réunies pour inclure le KM comme matière d’examens en HSC dès cette année. Elle fait ressortir qu’il y a des œuvres littéraires dans l’orthographe standard déjà disponibles et accessibles et que le MIE est en train d’offrir le PGCE et le BEd en KM, pour assurer la formation des enseignants.

Ouverture d’esprit

Joan Mars, dont la fille fréquente un collège d’État, attendait avec impatience, le KM en HSC. « Ma fille Latifah fait partie du premier batch d’élèves ayant commencé le KM en 2012. Elle a toujours aimé ses classes et s’est donnée à fond. D’ailleurs, elle a décroché un A aux examens du NSC. Elle voulait prendre le KM en Grade 12 mais cela n’a pas été possible. À la place elle a opté pour Hinduism », fait-elle ressortir.

Un choix qui démontre l’ouverture d’esprit, car il ne faut pas croire que quand on étudie le KM, on cherche à s’enfermer, précise-t-elle. « En tant que parent, j’aurais aimé qu’elle ait l’opportunité de terminer ce qu’elle avait commencé. Il ne faut pas bloquer les enfants. D’autant que le KM est la langue de tous les Mauriciens et pas d’une communauté seulement », dit-elle encore

Ce coup d’arrêt subit à la progression des étudiants du KM constitue un drame, pour Joan Mars. D’autant que pendant tout leur parcours, on leur a dit que le KM allait être introduit au niveau SC, puis au HSC. « Ma fille a été très accablée quand elle a appris cette nouvelle. Elle ne s’y attendait pas. Subitement on a dit non. »
Celle qui rêve de devenir enseignante ou avocate garde tout de même espoir et souhaite que la performance remarquable au NSC amène les autorités concernées à revoir leur position. Quant à sa mère, elle est convaincue : « Zanfan kapav fer explwa avek kreol morisien. »

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Témoignages
Ryan Lasavanne : « Déçu de ne pouvoir faire le KM en HSC »

Ryan Lasavanne a décroché un A* en Kreol Morisien au NSC. Il s’attendait à une bonne performance, même s’il a eu des doutes par moments. « Je fais partie du premier batch de KM depuis le primaire. C’est une langue que j’aime et je ne me suis pas laissé décourager. Beaucoup disent qu’on est confus par rapport au français quand on étudie le KM. Je ne suis pas de cet avis. »

Actuellement en Grade 12, le jeune a opté pour les maths, l’économie et Business comme matières principales. « Au niveau subsidiaire, j’avais déjà prévu de choisir le KM. Ensuite j’ai appris qu’il n’y aurait pas de KM en HSC. Cela a été une déception pour moi. » Il souhaite qu’il y ait une bonne décision qui sera prise suivant les résultats du NSC.  « Il y a beaucoup d’autres jeunes comme moi qui sont intéressés à étudier le KM en HSC. »
Étudier le KM, ajoute-t-il, a apporté un plus dans sa vie. Même s’il n’a pas encore décidé de ce qu’il veut faire plus tard, il est sûr que son parcours avec le KM lui sera bénéfique.

Ezechiel Modeste : « J’aurais pris le KM au niveau subsidiaire »

Français, Travel and Tourism et Business. C’est la combinaison qu’a choisie Ezechiel Modeste en Grade 12. Il devait la compléter avec le KM au niveau subsidiaire. D’autant qu’il a obtenu un excellent A* aux examens du NSC. Malheureusement, son parcours s’arrête là, pour le moment.

« J’étudie le KM depuis Grade 1. J’ai poursuivi en secondaire car c’est ma langue maternelle et j’aime les langues en général. J’aurais pris le KM au niveau subsidiaire en Grade 12, mais il n’y aura pas de KM au programme cette année », confie-t-il.
Il regrette la tournure des événements, car le KM est devenu quelque chose d’important dans sa vie. « Le KM m’a fait connaître qui je suis. J’ai également remporté des compétitions en KM. J’aurais vraiment aimé aller plus loin, mais ce ne sera pas possible. »

Ezechiel Modeste affirme avoir tenu ferme pendant toutes ces années, même si parfois, ses camarades lui disaient qu’il n’y a pas d’avenir pour le KM. « Je crois que c’est faux. Il y a des postes qui vous demandent aujourd’hui, une bonne maîtrise du KM », rassure-t-il.
Même s’il a été contraint de revoir ses plans, cet adolescent garde espoir qu’il pourra un jour, poursuivre son aventure avec le KM.

Lorie Goder : « J’ai appris à aimer le KM »

Étudiante au collège Notre-Dame, Lorie Goder a décroché un A en KM au NSC. Pourtant, ce n’est qu’en Grade 3 qu’elle a rejoint la filière académique de KM et elle n’a pas tardé à s’imposer. « Quand j’ai commencé le KM au primaire avec Miss Jenny, j’ai appris à aimer cette langue. C’est pour cela que j’ai poursuivi en secondaire, avec mademoiselle Alexandrine. Elle m’a bien encadrée et m’a aidée à perfectionner mon écriture », dit-elle.
Les résultats de son assiduité ne vont pas tarder à tomber. « Depuis le Grade 8 je suis première en KM. J’ai été récompensée au Prize Giving. À l’examen national, j’ai eu un A. Je suis très contente que mes efforts ont payé. »

Pour la suite, la jeune fille a opté pour la filière scientifique, avec les mathématiques, biologie et chimie au niveau principal et le français au niveau subsidiaire. « J’ai appris qu’il n’y aurait pas de KM en HSC cette année. J’espère que ce sera le cas dans les années à venir. Personnellement, je suis contente d’avoir pu étudier le KM jusqu’en grade 11 »,se félicité-t-elle.

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700 candidats en 2024

Pour la première édition du Kreol Morisien au National School Certificate, il y avait 188 candidats. Une situation qui s’explique du fait que la décision des autorités d’introduire le KM en Grade 10 a été prise tardivement. Beaucoup avaient déjà fait leurs choix de matières.

Pour l’édition 2024, quelque 700 élèves ont complété leur Grade 10 et sont passés en Grade 11 cette année. Un chiffre encourageant pour ceux qui sont impliqués et qui démontre que le KM est en train de prendre de l’ampleur, tant au niveau des élèves que des parents.

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