Anooradha Rughoonundun, qui vit en France, a été sacrée lauréate de l’appel à textes du “Théâtre de poche européen” pour son récit « Canne à sel », écrit à la suite du décès de son père, l’écrivain Vinod Rughoonundun survenu en août 2015. Elle sera ainsi en résidence au théâtre Jacques Cœur de Bourges en juin de cette année, pour accompagner l’enregistrement sonore de son texte. Heureuse de cette nouvelle reconnaissance, Anooradha Rughoonundun est impatiente de voir ce récit qui, confie-t-elle, au journal Le Mauricien « contient la moelle osseuse de son existence », vit de « sa propre vie ». Et elle nous explique les tenants et aboutissants d’une création sonore.
« C’est quelque chose qui me fait très envie, que ce texte voyage sans moi et ait sa propre vie. D’un autre côté, je sens que ce n’est pas rien, que de le laisser ne plus m’appartenir », glisse-t-elle lors d’un échange avec Le Mauricien. Ce texte, précise-t-elle, « est de très loin le plus personnel que j’ai écrit, et pourtant tout mon travail d’écriture est issu de mon vécu ».
Jusqu’ici, « Canne à sel » qui a reçu plusieurs distinctions était dit ou joué par l’auteure elle-même. « Là, c’est la première fois que quelqu’un d’autre que moi jouera ce texte et qu’un regard autre que le mien – celui du réalisateur – sera apposé à ce texte », affirme-t-elle. Et de poursuivre : « Canne à sel va faire l’objet d’une création sonore qui sera enregistrée live devant du public (…) La forme audio pourra, ensuite, être diffusée sur des radios ou dans des festivals. Une comédienne ou plusieurs comédiens, dont la décision reviendra au réalisateur, interpréteront le texte et leurs voix seront mêlées à des bruitages, de la musique, des prises de son réel, etc. »
Pour Anooradha Rughoonundun, qui a un retour positif du public quand elle joue, avec la provocation de beaucoup d’images mentales, souligne-t-elle, « le format sonore enregistré que le public écoutera les yeux fermés, et où on peut rentrer à 100% dans son propre cinéma intérieur, peut particulièrement porter ce texte ». La pièce dure 45 minutes.
« Canne à sel » raconte l’histoire d’une fille qui, à la mort de sa mère, hérite d’une pierre de sel. Elle marche avec sa pierre de sel sans comprendre ce qu’elle veut dire, et elle transporte avec elle dans les rues de Paris la mémoire de ses ancêtres coolies. Autour de ce personnage narrateur, apparaissent plusieurs personnages secondaires, dont les plus importants sont un vieil homme qui lui raconte l’histoire de la création de l’univers et un oiseau qu’elle rencontre dans un train et qui l’emmènera au fond de la terre. « La pièce parle principalement du deuil et des héritages culturels et symboliques », fait ressortir l’auteure.
Elle affirme avoir écrit ce texte à la suite de la mort de son père survenue France alors qu’elle vivait à Maurice. « Ce qui m’a fait brutalement rentrer en France. L’espace dans lequel j’ai été percutée par sa mort est cet espace sans contour entre la France et Maurice, ou encore entre Maurice et moi. J’ai pris quelques notes lors de ce voyage mais le gros du texte provient de notes écrites un an après. Elles étaient descriptives et évoquaient les événements que je vivais et que je voyais, en France, dans les rues, dans les trains, dans les forêts mais aussi en rêve. Ça parlait des règles, des grottes, des soldats, des smartphones, et des coolies… J’ai tout regroupé, et le texte a été rédigé de manière intuitive. » Si l’écriture et la construction du texte se sont faites en six mois, l’auteure a passé des années à la compléter. « Je l’ai joué. J’ai été confrontée au regard exotique que portent les Français blancs sur ce genre de récit. J’ai donc intégré au texte une dimension politique, absente au départ, confrontant ainsi le monde européen blanc à son propre regard, à son impact sur la construction de nos identités et la destruction de nos cultures. »
Même si Anooradha Rughoonundun ne joue plus ce spectacle, car engagée dans d’autres projets, elle aimerait partager « Canne à sel », avec le public mauricien. « Je ne perds pas l’envie de pouvoir présenter ce texte un jour à Maurice ! Ou, pourquoi pas, faire découvrir ce médium artistique – l’enregistrement sonore – qui est peu répandu mais très riche en imagination ? » conclut-elle.
Le Théâtre de Poche européen est un projet de résidences ouvertes aux auteurs, créateurs sonores et comédiens afin de créer un espace d’expérimentation autour des écritures contemporaines et de la création sonore.