La méthadone est désormais accessible aux jeunes dépendants aux substances, à partir de 15 ans. Ce jeune âge a suscité diverses réactions, dont des réfractaires (pas toujours informés) pour qui la méthadone est ni plus ni moins qu’une drogue addictive. Médicament de substitution aux opiacés, la méthadone est utilisée dans plusieurs pays pour traiter une dépendance à l’héroïne, à l’oxycodone, au fentanyl ou l’hydromorphone. À Maurice, depuis 2006, la distribution de la méthadone s’adressait uniquement aux usagers de drogues, avec une historique en dépendance, âgés de 18 ans et plus. Le ministère de la Santé a étendu ce service aux plus jeunes, dans un contexte où ceux-ci ont développé une tendance à la polyconsommation.
Cependant, prévient l’ONG AILES, à elle seule, la méthadone ne règlera pas la problématique de la consommation de drogues chez les jeunes. Un accompagnement psychosocial devrait soutenir l’initiative du ministère de la Santé. Si des ONG spécialisées dans la prévention contre l’usage des drogues et des réductions de risques avaient auparavant pris connaissance de l’intention de la Santé, toutefois, elles regrettent l’absence de concertation.
Avec le rajeunissement des usagers de drogues, la décision du ministère de la Santé d’étendre le traitement de substitution avec la méthadone s’inscrit dans une démarche qui vise à réduire la dépendance aux opiacés. Mais alors que les principaux acteurs engagés dans la réduction des risques ainsi que la sensibilisation contre l’utilisation des substances n’ont de cesse de réclamer une révision de la méthode de distribution en cours pour les adultes, des questions ont fait surface cette semaine sur plusieurs aspects dans le cas des mineurs qui bénéficieront du programme.
CUT : “Ce n’est pas le produit qui posera problème”
Si les centres de santé où la distribution de méthadone sera dispensée aux adolescents pourront offrir un service médical, voire psychologique aux jeunes concernés, qu’en sera-t-il de l’accompagnement social ? Celui-ci fait partie intégrante du traitement de substitution pour aider le bénéficiaire à poursuivre ses activités, notamment la scolarité ou la formation pour les plus jeunes.
Jusqu’ici, Maurice ne préconisait aucun traitement de substitution pour les moins de 18 ans dépendants aux drogues. Seuls les symptômes des traumatismes et autres problèmes de santé découlant de la consommation de drogues de synthèse sont traités en milieu hospitalier. La consommation de la méthamphétamine et l’intérêt croissant pour la polyconsommation de drogues, de plus en plus commun chez des jeunes usagers de substances,constituent une situation suffisamment préoccupante pour ne pas introduire un traitement de substitution.
Jamie Cartick, présidente du Collectif Urgence Toxida (CUT), rappelle que le traitement de substitution qui vise à mettre fin à la consommation de substances psychoactives chez les jeunes, est une réalité à l’étranger depuis longtemps. “En fin de compte, Maurice emboîte le pas aux pays étrangers qui ont appliqué ce programme depuis un certain temps”, dit-elle. Mais, précise-t-elle encore, “selon Methadone Guidelines, ce produit de substitution est conseillé aux jeunes usagers de drogue à partir de l’âge de 16 ans.
AILES à la Santé : “Confiez l’accompagnement aux ONG”
En revanche, à 15 ans, ce n’est pas le produit qui posera problème, mais une évaluation et le suivi du bénéficiaire s’imposent.” En effet, l’ancien réseau Euro-Methwork, qui avait publié l’European Methadone Guidelines, devenu une référence sur laquelle s’appuient les actions visant à réduire la consommation des opiacés, relève: “Methadone is unlikely to be an appropriate treatment for people under 16 years of age as they are unlikely to fit the criteria of: • Long-term opioid use • Significant tolerance • Level of problematic opioid use which would not be possible to treat with another form of treatment and help. If methadone treatment were nevertheless considered, specialist assessment and management is advised. Most countries require parental consent.”
Commentant l’arrivée du traitement de substitution à la méthadone aux mineurs, Ashvin Gungaram, directeur d’Aides Infos Liberté Espoir et Solidarité (AILES), regrette l’absence de consultations en profondeur entre les autorités et les ONG engagées dans la prévention contre l’usage des drogues et l’accompagnement social de leurs usagers pour l’élaboration d’un protocole. Depuis la mise en place de la distribution de méthadone en 2006, les ONG sont des partenaires clés du ministère de la Santé, principalement en matière d’accompagnement psycho-social, d’interventions préventives sur le terrain et de programme de réduction de risques de contamination au VIH et autres infections sexuellement transmissibles. La distribution de la méthadone aux adolescents dépendants de drogues avait été évoquée. C’était lors d’une récente réunion sur le protocole concernant les récipiendaires adultes entre certaines ONG, la Harm Reduction Unit, la Dr Catherine Gaud, conseillère au ministère de la Santé. Mais il nous revient que la stratégie portant sur les moins de 18 ans n’a pas été abordée en long et en large avec les partenaires non-gouvernementaux de la Santé.
Ashvin Gungaram fait un appel à la Santé “pour confier l’accompagnement des mineurs aux ONG.” Sans un projet d’accompagnement psycho-social, la méthadone n’est, selon lui, qu’une partie de la solution au problème de l’addiction aux opioïdes chez les jeunes consommateurs. Et de faire remarquer, par la même occasion, “qu’il serait temps de considérer le cannabis comme exit drug.” Pour Jamie Cartick, entre la méthadone et le suboxone, il n’y a pas photo. Le deuxième médicament, explique-t-elle, est mieux adapté pour le traitement de la dépendance aux opioïdes. “Mais il coûte bien plus cher que la méthadone”, précise la directrice de CUT.
Distribution dans les Centres de santé
Quant aux bénéficiaires mineurs, contrairement aux adultes, ils ne devraient pas se présenter dans l’enceinte des postes de police pour recevoir leur dose de méthadone, mais dans des Centres de santé où le traitement est dispensé. Si les ONG souhaiteraient être embarquées dans ce projet, c’est aussi parce qu’elles sont en mesure, dans un premier temps, d’identifier les jeunes et, dans un deuxième temps, d’encourager ces derniers à s’inscrire au traitement. Pour l’instant, la seule structure publique dédiée à la réhabilitation des mineurs dépendants aux drogues est le Centre Nénuphar à l’hôpital de Montagne Longue.
STIGMATISATION : Les femmes vulnérables et silencieuses…
Sur 6,110 usagers de drogues par injection qui ont bénéficié du programme d’échanges de seringues assuré par l’organisation non-gouvernementale Collectif Urgence Toxida, en 2023, 602 sont des femmes. CUT estime que la stigmatisation et la discrimination, de réels freins dans la prévention et la pratique de la réduction des risques, touchent davantage les femmes, sans pour autant épargner les hommes. L’ONG a noté que face à ces deux obstacles, les usagères de drogues sont réticentes à avoir recours aux services dédiés aux personnes avec des addictions aux substances. CUT est d’avis qu’il y a plus de femmes (que le nombre indiqué dans ses données) qui consomment des drogues par injection.
Cependant, le silence de ces femmes les plonge encore plus dans les problématiques de la toxicomanie et les conséquences sociétales. “Certaines femmes sont mères de famille et ont peur de perdre la garde de leurs enfants, si leur entourage apprend qu’elles sont dépendantes de drogues et les dénoncent aux services de l’enfance”, explique la directrice de CUT, Jamie Cartick. Les facteurs qui poussent ces dernières vers la consommation de substances sont variés et peuvent être liés à leur mode de vie, notamment la représentation glamour des drogues dans des parties. La drogue reste très présente chez des travailleuses du sexe. Il a été aussi constaté que certaines femmes s’injectent de la drogue en compagnie de leur conjoint/partenaire, sous influence de celui-ci ou pas.
ÉLECTIONS GÉNÉRALES : VIH, DROGUE ET DROITS HUMAINS : Des ONG invitent les partis politiques à intégrer ces questions dans leur programme
Les ONG ont, récemment, expliqué aux partis politiques l’importance d’intégrer les questions relatives au VIH, à la drogue et aux droits humains dans leur programme respectif. Cet appel a été lancé lors d’un atelier organisé par Prévention Information Lutte contre le Sida (PILS) à l’occasion de la journée Zéro Discrimination, la semaine dernière, à laquelle ont participé plusieurs partis politiques, dont le PMSD, le MMM, le PTr, Rezistans ek Alternativ, le Reform Party et Ideal Démocrate. Ces deux jours de collaboration ont été bien accueillis et des discussions franches et amicales ont ouvert des voies de communication en vue des prochaines élections générales. Une action de plaidoyer se poursuivra avec des réunions prévues avec les partis dans un proche avenir, afin d’examiner les problèmes persistants et de promouvoir l’adoption de mesures visant à protéger les droits et à améliorer la qualité de vie.
Les représentants de PILS, CUT, AILES, Lakaz A, Young Queer Alliance, Collectif Arc en Ciel et Parapli Rouz ont exposé les défis auxquels ils sont confrontés sur le terrain, notamment en ce qui concerne le VIH, la drogue, la réduction des risques, les questions de genre, la vulnérabilité, les droits humains, la stigmatisation et la discrimination. Malgré l’existence de lois et de mesures légales, la stigmatisation et la discrimination persistent, privant de nombreux Mauriciens de leurs droits fondamentaux, notamment l’accès aux soins, aux services essentiels et au respect. Ces situations ont un impact direct sur leur qualité de vie et peuvent avoir des conséquences tragiques. Une réponse politique forte est nécessaire, car un engagement politique sincère et la mise en œuvre des mesures adoptées peuvent garantir le respect des droits pour tous. Dans son message pour cet événement, Annette Ebsen Treebhoobun, directrice exécutive de PILS, a déclaré : « Si nous n’arrivons pas à répondre à ces questions de manière collective, nous n’allons pas pouvoir nous attaquer à des problèmes de fond qui continuent à freiner l’avancement de la lutte à Maurice. Pour faire progresser cette réflexion ensemble, nous avons réuni les représentants des partis politiques, des populations infectées et affectées, des institutions publiques, des médias, des ONG, pour voir comment entamer ce processus d’avancement ensemble pour contrer la discrimination autour du VIH et des sujets associés. »
UNEXPLAINED WEALTH RAPPORTÉ IL Y A 4 ANS : L’inaction de l’ICAC déplorée
Patricia (prénom modifié) est une résidente connue dans son quartier pour le travail social qu’elle fait bénévolement. Il y a 4 ans, elle a pris son courage à deux mains et s’est rendue, d’abord au poste de police de sa localité, puis à l’Independant Commission against Corruption (ICAC) pour rapporter un cas qu’elle estime être lié au trafic de drogue. Il s’agit d’un homme qui, au fil de ces dernières années, a acquis des biens alors que celui-ci “ne travaille pas”, affirme Patricia. Depuis, ce dernier, dit-elle, “a considérablement amélioré les conditions de vie de sa famille et de ses proches.” Entre l’agrandissement de sa maison, l’achat d’un terrain, de véhicules, de biens immobiliers, des voyages à l’étranger, “il a accumulé des richesses qui ne correspondent pas à sa situation”, martèle Patricia. “Le gouvernement a demandé à tous les Mauriciens de s’unir pour combattre la drogue. On nous demande de dénoncer les trafiquants. Lorsque je vais à la police et à l’ICAC pour donner des informations sur quelqu’un qui ne travaille pas, mais qui s’offre des véhicules neufs, qui devient aisé du jour au lendemain, on se contente de prendre note et ça s’arrête là ?”, s’insurge Patricia. Elle explique que sa démarche n’a rien de personnel. “Je vis dans un quartier où la drogue est en train de détruire nos jeunes et leurs familles. Je vois la souffrance de ces mères et pères qui n’ont aucun recours pour aider leurs enfants à sortir de cet enfer. Est-ce que vous croyez que je peux rester tranquille ? Mon silence cautionnera ces personnes qui se font de l’argent sur le malheur de ces familles. Et mes valeurs perdront leur sens”, confie Patricia. Elle se dit déçue devant l’inaction de la police et de l’ICAC. “Je leur ai fourni toutes les informations. Ils n’ont qu’à venir voir sur place et ils constateront les faits ! Entre temps, cette personne continue à accumuler des richesses”, dit-elle.