Afin de redorer son image et celle de l’industrie après toute la polémique qui enfle autour de l’exploitation des singes, des accusations de maltraitance et de manque de contrôle dans les fermes d’élevage, Bioculture, l’une des plus grosses compagnies d’élevage de singes destinés à la recherche biomédicale, a ouvert les portes de son exploitation sise à Rivière-des-Anguilles à la presse jeudi pour une visite. Cette visite qui avait pour but de montrer comment fonctionnent le secteur et ses opérations, a également été l’occasion de rappeler l’importance des macaques mauriciens dans la recherche scientifique et d’apporter des éclaircissements autour de l’enquête One Voice. Et enfin d’évoquer le projet d’établir un centre de recherche médicale à Maurice.
Deux moyens de transport sont mis à la disposition de la presse, l’un au départ de Port-Louis jusqu’à La Vigie et l’autre de La Vigie jusqu’à Rivière-des-Anguilles. C’est vers 11h que nous arrivons à destination. La visite qui commence par une petite présentation va durer environ quatre heures. Se situant à un peu plus d’un kilomètre de la Vanille Nature Park, l’exploitation de Bioculture est installée depuis 1985 sur l’ancien terrain appartenant à l’établissement sucrier de Bel Air, d’une superficie de 29 hectares. Ici, cinq sites abritent 12 000 singes. La plupart seraient nés en captivité.
Après la vérification des pièces d’identité, de carte de presse et la remise des pass, nous sommes autorisés à pénétrer dans la Zone A, qui comprend les bureaux, le food store, entre autres. À l’entrée, les posters et affiches portent le même message : l’humanité dépend de certaines espèces animales pour sa survie. Sur l’un montrant une enfant « It’s the animals you don’t see that really helped her recover » et sur un autre montrant une souris, on peut lire : « Some people just see a rat… we see a cure for cancer. » Le visiteur est loin des slogans des militants de la cause animale.
Dès notre arrivée, nous sommes invités à prendre place au boardroom, au premier étage, où se tient la présentation par Nada Padayatchy, Trapping and Sustainability Manager, également président de Cyno Breeders Association (CBA). Mary-Ann et Owen Griffiths, scientifiques et couple fondateur de Bioculture, également propriétaires de la Vanille Crocodile Park, Ebony Forest et François Legat (Rodrigues), sont présents. Il y a également le Dr Sam Naraina Poullé, en charge de l’équipe vétérinaire qui compte 29 ans de service au sein de Bioculture, Shamima Patel de Breast Cancer Care et Karan Juglall de Enn rev enn sourire et Jacob Griffiths (fils de Mary-Ann et Owen Griffiths), Head of Business Development, qui a rejoint le groupe il y a cinq ans.
Bioculture a été fondé en 1985. Le centre d’élevage, qui est le pionnier à Maurice, compte deux exploitations : celui de Rivière des Anguilles (5 sites) et celui de Bel Ombre (8 sites). Bioculture est également présent aux USA en Floride et à Madagascar à travers une ONG, Biodiversity Conservation Madagascar. À Maurice, le groupe totalise 2 000 emplois directs et 6 000 emplois indirects. Ici, l’activité est contrôlée à 100%. Les véhicules de trapping sont équipés de GPS et de caméras. Et l’utilisation du téléphone n’est pas autorisée sur certaines zones.
La présentation s’est déroulée sur quatre thématiques : un overview de Bioculture, le statut du macaque à longue queue, l’importance des singes dans la recherche biomédicale et le programme de Corporate Social Responsability aligné sur les Sustainable Development Goals (SDG). Selon Nada Padayatchy, le long-tailed macaque a été introduit sur l’île il y a environ 400 ans par les Hollandais et les Portugais. « C’est le troisième singe le plus commun au monde. Le singe mauricien est très demandé par les instituts de recherche, car il ne porte pas les maladies du singe du sud-est asiatique. Quand il y a des animaux sains dans la recherche, il n’y aura pas de artefacts pour falsifier les données et les résultats, c’est la raison », affirme-t-il.
De nouvelles études pour revoir la classification de l’IUCN
Réagissant par rapport à la classification du long-tailed macaque, répertorié comme espèce en voie de disparition sur la liste rouge de l’International Union for Conservation of Nature (IUCN), Nada Padayatchy a expliqué que Maurice fait partie des pays exemptés de l’examen et que le risque d’extinction est très faible. « Cette classification est basée sur un seul rapport. Lors de la 32e réunion du Comité pour les animaux à Genève en juin 2023, la CITES (Convention on International Trade in Endangered Species) a souligné que l’examen n’inclut pas des pays comme Maurice et la Chine, où l’espèce n’est pas indigène. En outre, un examen scientifique publié dans l’American Journal of Primatology le 21 décembre 2023 (Hilborn et Smith) détruit l’argument avancé pour justifier la révision du statut — classification UICN en cours de révision. Des études plus approfondies seront faites afin de revoir cette classification », affirme le Trapping and Sustainability Manager de Bioculture.
Dans sa présentation, Nada Padayatchy a également fait ressortir l’impact des singes sur l’agriculture, soit tous les dégâts causés par cette espèce sur la faune et la flore. « L’impact est plus ressenti chez les petits planteurs. Cela représente plus de Rs 150M de dégâts par an », précise-t-il. Avant d’évoquer le human/monkey conflicts. « La présence des singes dans des zones résidentielles peut parfois déranger. Il peut y avoir des plaintes sur leur comportement agressif. Nous avons fait plusieurs interventions avec le ministère en 2023. Au total, nous avons eu 90 cas », précise-t-il.
Le président de la CBA, association qui regroupe les principales compagnies d’élevage de primates (à savoir le Tamarinier, Noveprim et Bioculture), s’est ensuite attardé sur les grandes découvertes biomédicales et avancées scientifiques réalisées grâce aux animaux. Parmi, les traitements contre la fièvre dengue, les vaccins contre la Covid 19, contre le zika, l’Ebola ou encore la malaria. Selon lui, le singe mauricien a contribué au traitement de diverses maladies, dont les maladies neuro-dégénératives telles que le Parkinson, et plus récemment à travers la xenotransplantation (le rein d’un porc a d’abord été transplanté sur un singe avant que l’organe ne soit greffé sur un humain). « Nous sommes reconnaissants pour tout ce que les singes apportent afin que nous ayons une vie normale », a-t-il déclaré.
Une équipe pour les habituer à la présence humaine
La Zone B comprend cinq sites, tous entourés de clôtures électriques. Pour des soucis sanitaires, nous explique-t-on, mais aussi « parce qu’on n’aura pas de visibilité sur les singes depuis la Zone A », nous ne sommes autorisés à visiter que deux sites, l’un de breeding et l’autre de growing. « Nos employés eux ont fait les necessary tests and vaccines », informe Mary-Ann Griffiths. Le premier site impressionne par sa superficie. Une surface de quatre arpents pour abriter 1 200 singes. On s’y croirait dans un charmant petit village coloré où parcourent de petites allées.
C’est bientôt l’heure du deuxième repas pour les singes et les fondateurs de Bioculture tiennent à ce qu’on fasse d’abord une halte au fresh food store et au dry food store. Des bacs remplis de fruits et de légumes déjà découpés sont prêts pour être servis. Sur les étals du veg store sont étalés des variétés de fruits et légumes : chouchou, concombre, pommes, ananas, pamplemousses. Dans le dry food store sont stockés des sacs de pellets fabriqués localement. Dès notre arrivée sur les lieux, les feeders tous portant l’uniforme vert et équipés de casque, gants et masques, poussent de petits chariots de nourriture jusqu’aux enclos. Comme souvent dans les visites guidées, tout est parfait, ou presque.
Chaque cage de la taille est de 5,5mx5,5mx3m abrite 25 femelles, leurs bébés ainsi que deux mâles reproducteurs. Comme dans la nature, les mâles vivent en harem. « Nous essayons de reproduire ici autant que possible ce qui se passe dans la nature. Les femelles sont mises en cage durant toute leur vie reproductrice. Cela s’étend jusqu’à 22, 24 ans. Si elles ne se sont pas reproduites pendant deux ans, cela signifie que le mâle n’est plus intéressé, alors elles redescendent de la hiérarchie. Alors, on les prend et on les met dans de petits groupes, de 10, 12 avec un mâle. Si elle arrive en fin de vie reproductrice, et sont retired, elles vont au blood donar colony », explique la scientifique Mary-Ann Griffiths. À partir de 16h, dit-elle, la sécurité fait la ronde de toutes les cages pour voir s’il y a des animaux qui ont besoin de soins. Il existe aussi une after-hour emergency team.
Si la plupart de ces singes présents sur ce site sont habitués à la présence humaine depuis leur naissance — le nourrissage se fait à l’intérieur des cages —, c’est parce qu’il existe un département familiarisation et training avec une équipe de 38 personnes. D’ailleurs, la familiarisation donne de la valeur ajoutée. Le coût d’un singe dépend de l’âge de maturité. Il peut coûter entre $ 1 800 à 4 000 selon Jacob Griffiths.
Le deuxième site est à environ 10 minutes du premier. Nous le rejoignons à bord du même van. Les sites sont éloignés les uns des autres, nous dit-on, pour des raisons sanitaires et opérationnels. La growing zone compte 700 singes prêts pour l’exportation. « Ils partiront cette année ou l’année prochaine », nous dit Nada Padayatchy, qui préfère rester évasif sur le sujet. De même sur le fait de nous donner des précisions sur le prochain shipment.
« Les images de One Voice sont des montages »
« C’est confidentiel », dit-il. Si pour certains c’est la porte du non-retour, pour Mary-Ann Griffiths, qui compte 39 ans d’exportations, c’est « la porte du paradis pour le bien-être de l’humanité ».
S’agissant de l’enquête One Voice et les images montrant des singes brutalement manipulés dans une ferme d’élevage, le président de Cyno Breeders affirme que « nous avons vu les vidéos en compagnie du directeur de Noveprim, qui est également membre de la CBA. Les vidéos sont en fait des montages. D’ailleurs, l’employé qui a été payé par One Voice n’est plus à Maurice. L’enquête au niveau du ministère n’est pas terminée. »
Par ailleurs, à la question de l’utilisation des singes dans les tests de pesticides ou de détergents, Nada Padayatchy affirme que « On deal uniquement avec les compagnies pharmaceutiques et des Contract Research Organisations (CRO) et c’est l’une des clauses de notre contrat avec eux : que les animaux soient utilisés uniquement à des fins biomédicales. D’ailleurs, s’agissant des singes, les lois américaines et européennes prescrivent l’utilisation uniquement à ces fins… pas pour les tests de détergents/pesticides », dit-il.
De même, s’agissant des images révélés par des ONG internationales, notamment de singes installés dans des cages trop exiguës et accrochés par le cou avec des harnais métalliques avec des sections du crâne découpé, Jacob Griffiths affirme que « l’idée de torture est fausse. Avant d’implémenter quelque chose sur l’être humain (comme des brain implants), on le teste d’abord sur le singe. Ce qu’on est en train de tester sur un singe sera ce qu’on va faire sur l’être humain. Il n’y a pas de torture », affirme-t-il.
Et qu’en est-il des alternatives à l’expérimentation animale comme la modélisation informatique, ou encore les organs-on-chips ? Jacob Griffiths répond que : « Le fait qu’il y ait toujours cette obligation de se servir des singes à des fins de recherche, c’est qu’il n’existe pas d’alternatives. Tous les traitements doivent être testés sur les singes et d’autres animaux, dans la mesure où les régulateurs le demandent. C’est assez simple : les compagnies de recherches pharmaceutiques, ce sont des compagnies qui cherchent à développer des médicaments et traitements pour se faire des profits. Utiliser les singes dans la recherche engendre une implication scientifique, mais aussi de régulation et de coût quand même énorme. Le jour où il y aura une alternative, cette alternative coûtera beaucoup moins que l’utilisation des singes dans la recherche. Mais c’est naturel que dès qu’il y aura une alternative, ces compagnies de recherche iront vers cette alternative. La complexité du système immunitaire, du système du cerveau est tellement extrême que même quand on va comprendre parfaitement ces systèmes, je ne vois pas comment l’intelligence artificielle va convenablement modéliser, mais on est tellement loin de comprendre comment notre système immunitaire fonctionne parfaitement qu’on ne peut pas créer des modèles pour que l’IA puisse être trained dessus. De deux, les organs-on-chips ont un rôle complémentaire dans la recherche. Quand on observe l’effet d’un traitement de pointe sur le tissu d’un organe, ça donne la réponse spécifique au tissu de cet organe, mais cela ne donne pas la réponse de comment cette molécule va impacter d’autres organes. Tous les organes ne sont pas interreliant. C’est pour cela qu’il est nécessaire de réaliser des tests sur un organisme entier plutôt que sur le tissu d’un organe. The best use for organs-on-chips c’est pour les produits dermatologiques. Plus il y a d’alternatives, plus cela va accélérer la recherche et plus on aura des réponses qu’on cherche tous ».
Bioculture, qui est présent en Floride et à Madagascar (où il gère 30 000 hectares de forêts), travaille depuis deux ans sur le projet d’un centre de recherche à Maurice, où il compte un milliard de chiffre d’affaires. « Notre ambition est de devenir un centre de recherche biomédicale et d’augmenter la valeur ajoutée pour Maurice », affirme Jacob Griffiths. Bioculture envisage également d’ouvrir une clinique vétérinaire dans le sud, free of charge. La compagnie soutient plusieurs ONG dans son programme CSR. Parmi, Caritas, le Rotary Club de Souillac, Foodwise, entre autres…