Allocation des terres : le Triangle de Réduit au centre des convoitises

Il y a un an, des associations socioculturelles criaient “No retreat, no surrender !” face à la demande de l’État de reprendre des terres qui leur avaient été allouées. Aujourd’hui encore, elles ne démordent pas et le combat continue de plus belle. Durant la semaine, le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, a remis la question de la restitution des terres aux associations socioculturelles à l’agenda. Si le Deputy Prime Minister et ministre des Terres et du Logement, Steve Obeegadoo a affirmé qu’en plus de proposer un nouveau terrain à Côte d’Or, l’État prendra en charge la construction des centres socioculturels, cela ne semble pas avoir calmé les contestataires. Bien au contraire.

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Les choses s’intensifient du côté de l’association Rann Nu Later, avec une affaire qui sera probablement logée en Cour demain et des actions de rue prévues pour dénoncer ce que l’association qualifie d’“injustice”. Après la PNQ du leader de l’opposition, mardi au Parlement, et l’annonce de Steve Obeegadoo sur la prise en charge de la construction des bâtiments sur le nouveau site à Côte d’Or, Rann Nu Later ne lâche pas l’affaire. Week-End propose une fiche explicative pour mieux comprendre le dossier, qui a d’ailleurs été repris, hier, par le ministre des Arts de la Culture, Avinash Teeluck, lors de la conférence de presse du MSM.
Où se trouve le Réduit Triangle ?
Le Réduit Triangle se trouve, comme le nom l’indique, à Réduit, plus précisément dans la région où se trouvent actuellement le bâtiment de l’ICAC, la clinique Wellkin et le village de retraite de luxe Royal Green, comme l’indique le plan officiel du Réduit Triangle extrait du Planning Policy Guidance 5 (2008) du Ministry of Housing and Lands (voir photo)… Sur un terrain de plus d’un arpent, la région au climat frais est devenue ces dernières années l’objet de convoitise de plusieurs promoteurs.
Tout commence en 2001, sous l’Illovo Deal, lorsque l’État acquiert des terres de la Lonrho Sugar Corporation. À l’époque, le gouvernement caressait l’idée de créer un Culture Hub, juxtaposé à l’Education Hub de Réduit. Selon Steve Obeegadoo, face à l’“enormous strategic importance” de la région depuis 2006, l’État a décidé d’ouvrir la porte à d’autres types de développement, dont celui d’un Medical Hub, la “silver tourism” étant devenue entre-temps le nouveau marché niche.
Quels sont les points de
contention ?
Sous l’ère MMM-MSM, le terrain avait été alloué, entre autres, à quatre centres socioculturels, soit la Hindi Speaking Union, l’Indo Mauritian Catholic Association (IMCA), le Mauritius Tamil Cultural Center Trust (MTCCT) et l’Urdu Speaking Union. Le MTCCT devait alors lui construire son immeuble sur le lot RT 12 du domaine domanial du Triangle de Réduit.
Si le Triangle de Réduit est resté inoccupé pendant toutes ces années, les choses autour, elles, ont beaucoup bougé, et c’est une lettre officielle du ministère du Logement et de la Land Use, en date du 28 avril 2023, adressée au président du MTCCT, qui viendra sonner le glas dans cette affaire.
Dans ledit courrier, le ministère accorde sous forme d’ultimatum un délai de 48 heures à compter de la réception dudit courrier pour commencer la construction de l’immeuble sur le lot RT 12 du domaine domanial du Triangle de Réduit, faute de quoi le bail serait résilié “de plein droit”. 48 heures pour commencer des travaux sur un terrain inoccupé et qui n’avait, semble-t-il, jusque-là dérangé personne… il faut dire que la nouvelle fut assez mal accueillie par les différentes organisations socioculturelles.
Deux questions parlementaires, dont une du député Deven Nagalingum (PQ B/438) et une PNQ du leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, sont posées le 23 mai 2023. Le ministre du Logement et des Terres répond alors qu’aucune objection n’avait été enregistrée et que tout est fait selon les règles. Cette année-ci, l’État a confirmé que le MTCCT a accepté de renoncer aux terres au Triangle de Réduit et que l’État prendra en charge la construction de bâtiments pour la promotion de la culture.
Qui sont les
principaux
concernés ?
Il y a l’État et il y a les contestataires. L’État mauricien sous Paul Bérenger et sir Anerood Jugnauth (SAJ) avait alloué le terrain au MTCCT, mais selon une des conditions rattachées au bail alloué, selon laquelle l’association doit entreprendre des travaux de construction dans un délai de neuf mois, l’Etat a décidé de reprendre ses terres.
Par ailleurs, des quatre associations concernées, à ce jour, seule l’IMCA a décidé de refuser l’offre du gouvernement pour construire un centre à Côte d’Or. Les autres ont obtempéré, dont le MTCCT. Ce dernier s’est d’ailleurs attiré les foudres de certaines autres associations et fédérations de la communauté tamoule en acceptant cette proposition.
Et si le MTCCT tombe officiellement sous l’égide du ministère des Arts et de la Culture, il reste néanmoins le porte-parole de toutes les composantes du groupe, dont la Mauritius Tamil Temples Federation (MTTF) ou encore le Mauritius Tamil Council. Face à ces divergences d’opinions, l’association Rann Nu Later, sous la houlette de Devarajen Kanaksabee, est créée. Elle reste la principale contestataire et a été rejointe par d’autres associations, dont justement l’IMCA.
Ce que dit le
gouvernement ?
Le gouvernement a maintes fois réajusté le tir, si l’on puit dire. En effet, en plus de la réponse apportée au Parlement durant la semaine par Steve Obeegadoo, le ministre des Arts et de la culture, Avinash Teeluck, a abordé la question lors de la conférence de presse, hier, au Sun Trust Building. Il a ainsi précisé qu’un terrain a été alloué au MTCCT en 2010 ; en 2016 à l’Hindu Speaking Union et à l’Urdu Speaking Union, et en 2013 à l’IMCA.
“Il y avait 24 portions de terrain allouées à certaines organisations au Triangle de Réduit. Sur certaines de ces 24 portions, il y a eu des développements et sur d’autres non. Dans un élan pour retravailler et développer le Réduit Triangle et en faisant un relevé de tous les projets, le gouvernement a vu qu’il y avait des portions qui avaient été développées et 13 sans aucun développement, dont des terrains du Prime Minister’s Office (PMO) », a déclaré Avinash Teeluck. Il a ainsi précisé que le gouvernement a pris la décision de reprendre les terrains non utilisés, à l’exception d’un terrain du ministère de la Culture pour la construction d’une National Library et un autre pour la construction d’un planétarium par le ministère de l’Éducation. “Le plus important à noter, c’est que l’allocation avait été faite au centre culturel tamoul qui tombe sous l’égide du ministère. Et les représentants n’ont pas contesté.”
En somme, si effectivement l’État semble être dans son droit en reprenant ses terres, la question de timing se pose, de même que la question de principe… Affaire à suivre.Rajen Narsinghen : 
« No retreat, no surrender ! »
Rajen Narsinghen est le coordinator de l’équipe légale de l’association Rann Nu Later. Si depuis un an elle envisage de loger une affaire en Cour, la semaine prochaine sera décisive. Nous l’avons contacté hier matin pour une réaction. “Il y aura une action légale pour demander que la décision soit cassée”, dit-il. S’il reconnaît que le MTCCT a donné son accord, il soutient que “quatre des neuf membres du board sont des fonctionnaires” et qu’ils ne peuvent pas représenter tous les bénéficiaires de l’association, “qui sont, rappelons-le, des gens qui épousent la culture tamoule.” Pour Rajen Narsinghen, “les bénéficiaires ont aussi leur mot à dire et ont le locus standi.”
Pour ce dernier, après ce qui s’est passé cette semaine, les choses sont claires. “La lutte va s’intensifier et la rhétorique choisie du No retreat, no surrender, va continuer. On ne va pas céder.” Raj Narsinghen soutient ainsi que le combat continuera pour le retour des terres au Réduit Triangle à la communauté et pour la construction d’un centre socioculturel. Il regrette aussi que ce n’est que maintenant, soit durant la période électorale, que le gouvernement ait décidé de financer la construction des bâtiments.
Gaëtan Aurokium (IMCA) : 
« Nous sommes déçus… »
Le vice-président de l’IMCA, Gaëtan Aurokium, se dit déçu de la tournure des choses dans cette affaire, d’autant que “Steve Obeegadoo connaît bien l’IMCA. D’ailleurs, son père qui a été président de l’association a beaucoup lutté pour que nous ayons droit à ce terrain au Triangle de Réduit.” S’il convient que les travaux de construction sur ledit terrain ont tardé à démarrer, il explique que l’IMCA avait fait la demande de permis en 2018, mais en vain. De plus, il regrette que c’est “à la veille des élections que l’on vient nous dire que l’on va financer le projet ! pourquoi ne pas nous l’avoir dit en 2023 ? Comment ont-ils trouvé les fonds ?” s’interroge-t-il. Par ailleurs, au-delà de tout l’aspect administratif, c’est avec beaucoup de déception et de tristesse que Gaëtan Aurokium nous confie que “nous ne comprenons pas ce changement d’attitude. Y a-t-il de l’or sur ce terrain à Réduit ?”

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