Il a fait réagir cette semaine, le grand titre de ce journal qui met en lumière un sondage d’Afrobarometer qui affirme qu’à Maurice, « un homme sur cinq trouve parfois justifié de discipliner physiquement son épouse ». Et qu’une femme sur dix est du même avis.
Le mot « discipliner » a manifestement focalisé l’attention. Il semble en effet totalement inapproprié pour certains, scandaleux pour d’autres, eu égard à ce qu’il exprime. Discipliner physiquement une femme ? Pourquoi dire cela au lieu de « battre » ? Au lieu de « brutaliser » ? Au lieu de « frapper » ? Au lieu de « cogner » ? Au lieu de « tabasser » ? Au lieu « d’agresser » ? Voire de « violer » ? Voire, de tuer ?
Les mots forment notre réalité. Et ceux que nous utilisons servent à donner la mesure de ce que nous voulons décrire ou exprimer. Ainsi, dire « discipliner physiquement » est comme poser un voile de tulle sur une plaie. C’est atténuer la réalité de ce dont on parle là, qui est constitué de coups, de blessures, de sang, de fractures, d’écrasement physique mais aussi psychologique, parfois de mort. En bref de violence. Et « discipliner physiquement » évacue dans les mots la violence perpétrée dans les actes.
Il est significatif de noter que cette expression a souvent été utilisée à travers le monde.
Ainsi en mars 2018, en Ouganda, le député Twinamasiko Onesimus avait créé la polémique suite à une allocution télévisée où il intimait aux hommes de « discipliner » leur femme. Ce en réaction aux propos du Président Museveni qui avait affirmé que ce sont les « lâches » qui battent leur femme. Le député lui, qui est marié, estimait que les hommes doivent battre « un peu » leur femme « pour la remettre à sa place ».
Il y a aussi la version « soft ».
En avril 2016, dans une vidéo diffusée sur le net et relayée par l’Institut du Moyen-Orient basé aux Etats-Unis, un thérapeute familial saoudien, Khaled Al-Saqaby, expliquait aux maris comment traiter la désobéissance de leur femme en respectant les préceptes de l’islam. Pour apprendre «la discipline» à leurs femmes, il proposait aux maris insatisfaits trois mesures. La première, verbale, consiste à rappeler à la femme « vos droits de mari et ses obligations ». La deuxième mesure a trait au lit : au lieu de faire « l’erreur » d’aller dormir dans une autre chambre, la solution plus « ingénieuse », pour lui, serait de continuer à dormir dans le même lit, mais en tournant le dos à la femme. La troisième mesure consiste à battre sa femme, mais sans colère précise-t-il, pas avec un bâton ou un objet pointu mais avec… un cure-dent ou un mouchoir, l’objectif étant de « faire comprendre aux femmes que le but est de les discipliner ». Car, pour lui, la principale raison de la « désobéissance » des femmes réside dans le fait que ces dernières cherchent à être l’égal de leur mari. Il s’agirait donc de bien leur rappeler qui dirige, mais sans faire usage de violence excessive…
A la décharge de l’équipe d’Afrobarometer à Maurice, dirigée par StraConsult Ltd, on trouve bel et bien, dans certaines études internationales, des mentions de questionnaires visant à établir
« la proportion de personnes qui considèrent que battre sa femme est un moyen acceptable pour un mari de discipliner sa femme pour quelque raison que ce soit, à une période donnée ». Ce en vue d’élaborer des messages sur la violence domestique.
Ce qui serait essentiel ici, ce serait de savoir, dans un pays créolophone comme le nôtre, quel équivalent créole a été choisi par les sondeurs pour dire « discipliner physiquement » aux quelque 1 200 adultes sondé-es. Dress li ? Bat li ? Koriz li ? Cela importe, car les réponses sont aussi déterminées par le vocabulaire utilisé.
Il ressort en tout cas que cette désignation de « discipliner physiquement » demande instamment à être remise en question. Tout comme lorsqu’on parle, en droit français, du « viol en réunion ». Expression choquante pour désigner ni plus ni moins un viol perpétré par un groupe d’hommes, comme si ceux-ci se réunissaient sagement pour abuser d’une femme, alors que l’appellation « viol en bande » serait sans doute plus appropriée… Et d’ailleurs, l’expression « violence domestique » elle-même n’a-t-elle pas un côté plus soft, style « animal domestique » opposé à animal sauvage ? Pourquoi ne pas parler carrément de violence conjugale, puisque c’est bien de la violence qui s’exerce au sein d’un couple qu’il est question ?
Les mots que l’on met sur la chose sont ici d’autant plus importants que les résultats du sondage Afrobarometer rendu public ce 22 avril 2024 sont très alarmants. Une personne sur six pense ainsi que « discipliner physiquement » les femmes est « parfois » (16 %) ou « toujours » (1 %) justifié. Le sondage révèle aussi que près de trois citoyens sur dix (soit 28 %) estiment que la violence contre les femmes est un phénomène « assez courant » (24 %) ou « très courant » (4%) à Maurice.
Parallèlement, près de sept citoyens sur dix (69 %) sont d’avis que la violence domestique devrait être traitée comme un acte criminel plutôt que comme une affaire privée à régler au sein de la famille. Ce qui revient quand même à dire que 31% des sondés estime que la violence conjugale devrait être traitée comme une affaire à être réglée au sein de la famille. Alors que c’est là que les abus se produisent et sont, souvent couverts.
Sur la base des statistiques officiels, Afrobarometer souligne qu’à Maurice, une femme sur quatre a subi une forme ou une autre de violence basée sur le genre et que ces cas ont significativement augmenté lors du confinement lié au COVID-19 de mars à mai 2020, se multipliant par cinq par rapport à la même période en 2018 et 2019. Soit au moment où les femmes étaient confinées à la maison…
Son foyer est le lieu où une personne devrait se sentir le plus en sécurité. Or force est de constater que c’est l’inverse qui a cours. Que le lieu où les femmes aujourd’hui sont le plus en insécurité, ce n’est pas dans la rue ou dans un lieu public, c’est sous leur propre toit. La mort violente des femmes est majoritairement causée par leur conjoint…
Combien de femmes ont été renvoyées chez leur mari agresseur par leur propre famille pour ne pas avoir à affronter la honte face à leur entourage, souvent pour y trouver une « correction » menant à la mort ? Combien de femmes ont entendu de leur propre famille, souvent de leur propre mère, le couplet selon lequel « nou sor sa, nou bizin aksepte, nou bizin soumet, nou bizin sibir ».
Dans son étude sur la santé des femmes et la violence domestique à l’égard des femmes, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dresse une liste de contrôle sur laquelle les évaluateurs peuvent se baser pour questionner sur cette question. Ce qui se lit comme suit :
« Parfois, un mari est ennuyé ou irrité par des choses que fait sa femme. A votre avis, un mari est-il justifié de frapper ou de battre sa femme :
Si elle lui est infidèle ?
Si elle désobéit à son mari ?
Si elle se dispute avec lui ?
Si elle refuse d’avoir des relations sexuelles avec lui ?
Si elle ne fait pas le ménage correctement ? »
Et l’on voit bien là à quel point les stéréotypes sur les « rôles et fonctions » des femmes restent ancrés, tant il est vrai que la moitié de ces questions ne seraient pas posées à l’inverse…
Il y a dans ce sondage Afrobarometer des éléments qui nous questionnent gravement sur la prévalence et la perception de la violence conjugale à l’égard des femmes dans notre société. Le constat est plus qu’alarmant. Il y va du brutal non-respect des droits fondamentaux de tout individu au respect de son intégrité physique et mentale. Il y va aussi d’un coût pour l’Etat, que le rapport chiffre à environ Rs 2 milliards par an, soit 0,6 % du PIB, en soins de santé, services sociaux et productivité perdue », Il y va surtout de notre passivité face ce qui ne peut être considéré comme un « fait de société », quelque chose qui agresse de façon inacceptable notre humanité.
Comment nous dresserons-nous, collectivement, contre l’ignominie de corps et de vies pulvérisés pour la seule raison qu’ils sont de femmes ?…
SHENAZ PATEL
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