Mgr Jean Michaël Durhône : « Tout est là : la science, les progrès, les médicaments, mais pas l’amour… »
L’AIDS Candlelight Memorial a été marqué dimanche par plusieurs Ong militantes. Menée par Prévention, Information et Lutte contre le Sida (PILS) – soutenue par LakazA, Paraplui Rouz, CUT (Collectif Urgence Toxida), Ailes, Développement Rassemblement Information et Prévention (DRIP) et Coalition Plus, union internationale d’organisations communautaires de lutte contre le sida et les hépatites –, cette activité s’est tenue au centre social Marie Reine de la Paix, à Port-Louis. En présence de nombreuses personnes vivant avec le VIH (PVVIH), les ONGs présentes ont exprimé leur colère et leur indignation à l’effet qu’en 2024, « nous continuons à recenser autant de patients qui meurent de causes liées au sida à Maurice ».
Nicolas Ritter, chargé de mission – direction générale de Coalition Plus, et un des activistes de la première heure de la reconnaissance des droits des PVVIH à Maurice et dans la région, fustige : « Deux à trois décès parmi les PVVIH par semaine, c’est beaucoup trop ! L’épidémie n’est pas sous contrôle. Nous ne pouvons pas et nous ne devons pas nous taire. Et nous ne le ferons pas ! Nous ne resterons jamais tranquilles ni silencieux tant que des patients mourront. Nous continuerons à nous battre pour le respect, la dignité et l’amour pour chacun. »
Il continue : « Je m’adresse directement à nos décideurs politiques en cette année électorale. D’ici peu, nous irons voter. Je m’adresse à ceux qui, une fois au pouvoir, n’encourageront pas les politiques de répression qui amènent la stigmatisation et l’isolement. Qui poussent les toxicomanes et marginaux à s’enfermer et mourir dans la solitude et l’indifférence. Je m’adresse à ceux qui prôneront une approche humaine, basée sur l’amour, la compréhension, le souci de veiller comme il le faut sur les autres, sans jugement. Nous avons besoin de ce changement pour sauver des vies ! »
2024 marque les 30 ans que l’intervenant vit avec ce virus. « Et je ne m’attendais jamais qu’à Maurice, nous en serions arrivés au point de déplorer 140 décès de PVVIH par an ! » relève encore le premier Mauricien à avoir déclaré publiquement vivre avec le sida.
À l’indignation de Nicolas Ritter s’est ajouté le cri de désespoir de Ragini Rungen, responsable de Lakaz A/Groupe A de Cassis : « Le 12 mars, jour de l’indépendance, ici même, au centre social Marie Reine de la Paix, nous organisions les funérailles de Jean-Noël, un de nos accueillis, qui vivait avec le virus. Jean-Noël est mort dans l’isolement. Heureusement qu’il y a eu l’Abri de Nuit. Mais ce patient est mort dans des conditions indignes d’un être humain ! Et surtout, sans amour. Nous n’en pouvons plus, à Lakaz A, de compter les morts parmi nos bénéficiaires. Nous n’en pouvons plus de toutes ces souffrances de patients, de leurs parents… Assez, assez ! »
De fait, la commémoration mauricienne de l’AIDS Candlelight Memorial, cette année, ne s’alignait pas sur le thème mondial, qui est Together we remember, together we heal, Through love and solidarity, mais ASE Mor, ASE Nouvo Infeksion, ASE Diskriminasion. Ces thématiques, ont soutenu les représentants des ONGs présentes, résonnent tel un cri de guerre que la société civile déclenche contre les obstacles qui font que les patients mauriciens meurent en aussi grand nombre.
« Nous devons reprendre la lutte à tous les niveaux. Recommencer et encourager la prévention à tous les niveaux. Il y a tout à faire à nouveau. En 2011, l’OnuSida avait fièrement brandi l’objectif Zero nouvelle contamination; Zero mort; Zero discrimination. Bel bel slogan… Me pli nou avanse, pli sa bann obzektif-la pe rekile. Kot nou’nn fote ? Nous en sommes à un point où il nous faut des actions concrètes et une solidarité totale contre ce virus », reprend Nicolas Ritter.
Il conclut : « Nous ne pouvons pas, en 2024, avec tous les progrès scientifiques et médicaux, avec les avancements enregistrés dans le monde, avec les médicaments disponibles à Maurice, continuer à recenser 340 à 350 nouveaux cas d’infection au VIH chaque année ! Cela équivaut à une infection par jour… C’est scandaleux ! »
Mgr Durhône : « Il y a tout… sauf l’amour ! »
L’évêque de Port-Louis, Mgr Jean Michaël Durhône, a tenu à être présent à l’ AIDS Candlelight Memorial ce dimanche soir. Il se trouvait aux côtés d’autres représentants de l’Église catholique, dont le père Gérard Mongelard, qui a longuement cheminé aux côtés des toxicomanes et des PVVIH avec l’ONG Lakaz A/Groupe A de Cassis. Mgr Jean Michaël Durhône a procédé à l’allumage des bougies avec Nicolas Ritter. Un geste et un moment emplis d’émotions et de symbolisme.
Emu et touché par les paroles prononcées lors de la soirée, Mgr Durhône confie : « Je reçois personnellement des hommes, des femmes et des jeunes toxicomanes et porteurs du sida depuis un bon nombre d’années. Je les écoute. Je ressens une énorme souffrance… Et, comme les activistes l’ont souligné, ce que je ne comprends pas non plus, c’est pourquoi, malgré que le pays dispose des conditions optimales, avec des ressources en termes d’équipements, de produits médicamenteux, des personnes formées dans la médecine pour le traitement, nous continuons à compter un aussi grand nombre de morts… Tout est là, mais s’il n’y a pas d’amour, comment combattre ? »
L’évêque de Port-Louis soutient : « Ce virus n’est pas sélectif : il n’épargne aucune communauté. Nous devons unir nos forces et notre soutien pour le combattre. Nous comptons les victimes dans toutes les composantes de la société. Mais nous ne sommes pas là pour juger qui que ce soit, quel que soit le parcours emprunté, les erreurs commises… Tout cela fait partie de nous tous. Notre mission, notre rôle, c’est d’aimer et d’accompagner pour diminuer cette souffrance. »