Des démolitions sont en cours dans des faubourgs de grande précarité de Bambous. Les habitations vétustes et délabrées sont détruites mécaniquement, après que des dizaines de ménages de Camp Rodriguais, d’Eau Bonne et de Cité La Ferme à Bambous ont tour à tour été relogés à La Valette, dans les logements sociaux de la National Housing Development Company (NHDC). Le relogement de ces familles s’est faite suite à la décision du gouvernement de mettre en place des travaux d’extension et de réhabilitation du réservoir La Ferme qui existe depuis plus de 150 ans.
Ce mardi matin, aux premières lueurs du jour, au Camp Rodriguais. Les forces de l’ordre ont été mobilisées pour accompagner des pelles mécaniques, afin de raser une partie de ce qui est une poche de pauvreté sur un terrain de l’État occupé illégalement, sur les rives du réservoir La Ferme. Dans une rue parallèle, à côté de la centrale solaire photovoltaïque, un spectacle de désolation s’offre à nous. Maisons éventrées et décombres qui se multiplient au fur et à mesure que l’on avance. On dirait qu’une tempête s’est abattue dans ce quartier. Les feuilles de tôle s’entassent sur les camions. Les coups de marteaux se font entendre. Les hommes se chargent eux-mêmes de démonter leurs habitations, d’enlever les toitures et les feuilles métalliques, afin de les revendre. Tout devrait être rasé pour éviter que ces espaces soient squattés.
Ici, plusieurs familles sont en attente de relogement. Comme Anne-Marie qui vit avec sa petite famille dans un trois-pièces. Ses voisins ont été relogés les uns après les autres. Subitement, la ruelle étroite qui diffusait de la musique à des niveaux sonores élevés est devenue étrangement calme. Les cours, jonchées de toutes sortes de déchets solides et ménagers, sont envahies par des rats et l’humidité. L’odeur des canalisations est infecte.
Malgré tout, cette mère de trois enfants n’a pas l’air d’être dérangée par la pollution. “Si j’avais le choix, je serais restée ici pour ne pas perdre mes habitudes. J’ai une cour assez grande. À la Valette, l’espace est étroit”, dit-elle. Plus loin, nous entendons les couinements bruyants des cochons. Les propriétaires étant partis, ils semblent être livrés à eux-mêmes et affamés. Si les cochons sont confinés dans un enclos en tôle, les chèvres, elles, ont l’air de jouir d’un peu de liberté. On les voit gambader sereinement dans les rues, broutant quelques mauvaises herbes et fuyant l’éleveur, hâche à la main, qui leur crie dessus quand elles s’éloignent trop.
Le Camp Rodriguais – ce nom en raison de la concentration de Rodriguais sur place – s’est développé depuis plus de vingt ans au pied de la montagne Corps de Garde. Dans ce quartier, vivaient environ 200 familles. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’un quart. L’endroit est extrêmement pollué par les déchets et les eaux usées. Avec les habitations qui ont été démolies, le réservoir se distingue de loin.
De l’autre côté de la rive, soit du côté de l’église Saint-Sauveur, la vue est pittoresque sur le réservoir et les montagnes. On peut y voir le parc solaire sur le flanc de la montagne, opérationnel depuis 2014. Cette centrale solaire de 15,2 MW comporte 60,800 panneaux photovoltaïques pour la production d’électricité verte qui est distribuée au réseau électrique national.
L’aménagement du réservoir La Ferme, exclusivement destiné à des fins d’irrigation, date de plus d’un siècle. En novembre 2014, il avait été question de le doter d’une station de traitement, afin que l’eau qui y est emmagasinée serve aussi en partie à l’alimentation domestique des abonnés de certaines régions de l’Ouest et des basses Plaines Wilhems. Mais l’importance d’une réhabilitation complète de ce vieux réservoir se justifie surtout en raison des risques qu’il représente depuis de nombreuses années. À deux reprises, le pire a été évité. D’abord, en mars 2007, quand – après s’être rempli à ras bord suivant de fortes précipitations – l’eau du réservoir a commencé à se déverser dangereusement. Puis, en mars 2010, un deuxième débordement survint quand le déversoir du réservoir qui sert à canaliser le trop-plein d’eau vers une rivière limitrophe fut obstrué à la suite du désœuvrement d’un individu qui n’avait rien trouvé de mieux que d’y déverser un tronc d’arbre et d’autres branchages dans un conduit. Il est aussi arrivé que de l’eau en excès jaillisse des vieilles pierres disjointes d’une façade du réservoir.
Le problème se corse davantage dans la mesure où vivent à la lisière des façades de l’infrastructure du côté de Bambous, d’une part, la communauté de squatters, et, de l’autre, une vingtaine de familles disposant d’un titre agréé de propriété. C’est dans cette perspective qu’une décision de principe avait été prise par le Conseil des ministres en février 2017 de loger ou de compenser cette soixantaine de familles de squatters ou de propriétaires. Évoquée, donc, une première fois en novembre 2014, l’idée de la rénovation complète du réservoir La Ferme fut relancée en mars 2015. Arup (UK) Sigma, cabinet d’ingénieurs-conseil, avait même fait des recommandations en ce sens. Le conseil des ministres avait pris à l’époque une décision de principe de réinstaller les squatters concernés sur un terrain dans les environs de Beaux-Songes et d’indemniser les autres propriétaires.
Selon un communiqué émis par la NHDC, la semaine dernière, “une enquête sociale exhaustive a été menée conjointement entre juin et novembre 2022 par le ministère du Logement, la NHDC et plusieurs ONG. Cette enquête a recensé 182 familles vivant sur des terres de l’État autour du réservoir qui auraient été impactées par les travaux de rénovation. Ces familles ont suivi toutes les procédures requises par la NHDC pour être éligibles à un logement social. Aujourd’hui, les familles reçoivent graduellement leurs lettres d’offre pour une nouvelle maison à la Résidence Camélia à la Valette. En acceptant cette offre, elles signent un formulaire de consentement, acceptant d’enlever les structures existantes sur les sites d’Eau Bonne et de La Ferme, pour ensuite emménager dans leurs nouvelles maisons. La NHDC a mis à la disposition de ces familles des camions pour les aider à transporter leurs effets personnels vers leurs nouvelles demeures. Les autorités sécuriseront le périmètre pour pouvoir démarrer en toute sécurité les travaux de rénovation du réservoir La Ferme.”