– « Dans les Shelters et au RYC, il faut savoir se comporter pour ne pas être victimisée ou mise à l’écart »
C’est un petit bout de femme à l’apparence frêle qui offre, en contraste, un regard profond et fort, et se dit d’une voix qui ne tremble aucunement, même quand elle plonge dans ses souvenirs les plus durs et scabreux. Rishita (prénom modifié qu’elle a choisi pour protéger son identité) a 23 ans. Cela ne fait cependant pas beaucoup d’années depuis qu’elle a choisi de se poser. En fait, la décision a été prise depuis qu’elle a accueilli son petit bout d’homme, Noah. Celui-ci et l’amour de sa vie, Ansleigh, sont les principales raisons qui ont poussé Rishita à arrêter de travailler – elle a suivi une formation professionnelle dans l’hôtellerie et travaillait jusqu’à récemment dans ce secteur – pour se consacrer à sa petite famille. Sans crainte d’être jugée, ayant acquis cette carapace solide de femme qui en a vu de toutes les couleurs et mené toutes les guerres, Rishita concède : « si mo pa ti ena mo prop volonte pou sorti dan sa lanfer-la, ek mo pa ti gagn soutyen extern, kouma ek Ayesha Joomun, kapav mo ti pou inn fini mor ! Mo pa krwar mo ti pou ena kouraz fer fas. »
Ce qui ne l’empêche pas d’encourager d’autres jeunes filles connaissant ou ayant connu un parcours identique : foyer brisé, enfance abusée, violences diverses, psychologiques, verbales, physiques… « Kan mo asize mo mazine, mo larm koul tousel. Je me demande comment toutes ces souffrances m’ont été infligées et me rappelle que je n’ai jamais eu personne pour me soutenir, prendre soin de moi, me donner le courage de m’en sortir… Jusqu’à ce que ma route croise celle d’Ayesha Joomun et de la juge Balgobin. Aussi, si j’ai pu, avec l’aide et l’accompagnement de ces personnes, et par ma propre force intérieure, me relever et affronter la vie, d’autres aussi peuvent le faire. Ek kapav ena lezot ki resi pli byen ki mwa ! C’est le message que j’ai pour tous ceux et celles qui traversent ce chemin semé d’embûches », confie-t-elle.
Dès sa petite enfance, cette jeune femme originaire de Flacq, Bon-Accueil, accumule les galères : elle est la victime de son propre père. D’abord, prédateur, dont elle devine rapidement ses penchants d’abus sexuels à son égard. Mais aussi de sa maman, qu’elle n’a jamais connue, car celle-ci l’a abandonnée, et d’une concubine de son père, qui la violentait physiquement. Et par la suite d’un oncle qui, lui aussi, nourrissait davantage un désir sexuel qu’une affection parentale envers elle, et d’une tante ayant refusé de l’écouter et de la croire quand elle manifestait sa détresse. Et au final, elle s’enfuit de ce toit qui ne représente aucune forme de refuge pour elle, Rishita est victime d’un viol…
« Souvan, enn ler mo tousel, bann souvnir vinn dan latet enn sel kou… Ils me secouent, me prennent la tête. Parfois je me sens faible et fragile. Des fois, quand j’y pense, je me demande comment tous ces problèmes me sont tombés dessus ? Pourquoi moi ? Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? » Rishita se confie d’une voix douce, mais ferme.
« Mo pa ene superwoman. Mais je me dis que si j’ai pu résister aux tentations, faire opposition aux pièges, me relever à chaque coup de la vie, d’autres peuvent aussi le faire… Kapav zot pou fer pli byen ki mwa ! » Cependant, ajoute-t-elle : « Je n’y serais jamais arrivée toute seule. J’ai eu, et j’ai toujours la chance, d’avoir à mes côtés Ayesha Joomun. Elle m’a donné la chance de me relever et d’affronter mes démons, tout comme les obstacles qui s’érigeaient sur mon chemin », reconnaît-elle.
Rencontres capitales
Sur son parcours, Rishita croise effectivement la juge Premila Balgobin et d’Ayesha Joomun, activiste sociale. Toutes deux étaient membres du board du Rehabilitation Youth Centre (RYC) au moment où Rishita y séjournait. « Laz 15 an mo ti deza dan Shelter CDU. J’avais 12 ans quand mon propre père commençait à avoir des comportements déplacés à mon égard… J’ai compris rapidement qu’il voulait abuser de moi sexuellement », fait-elle comprendre.
Sa mère ayant fui le domicile conjugal, Rishita était livrée à elle-même. À un moment, son père se met en concubinage avec une femme. « Elle travaillait et quand elle rentrait, si sa journée s’était mal passée, les coups pleuvaient… Mo pa ti so zanfan, alor… » Les voisins « ti pe tande kan mo kriye », dit-elle. « C’est grâce à eux que je me suis retrouvée dans un Shelter de la CDU. Ils ont alerté les autorités et j’ai pu être protégée des violences qui faisaient partie de ma vie à cette époque. »
Quelques années plus tard, son père décède : « Li ti swiside. » Un oncle et sa femme entament alors des démarches pour retirer Rishita du Shelter de la CDU. Mais son calvaire est loin d’être fini ! Bien vite, la jeune femme réalise que son oncle a également des penchants pédophiles. Elle en parle à sa tante. « Li pann rod krwar mwa zame. Li dir mwa mwa ki pe rod sedwir li. » Traumatisée et vivant dans la peur, Rishita fini par fuir le toit familial. Mais une autre calamité l’attend au tournant.
Alors qu’elle est en fuite, et qu’elle cherche refuge à gauche et à droite, elle se fait violer… « Labrigad deminer inn pran mwa lerla. Des démarches ont été faites pour que je retourne chez mon oncle, mais je m’y opposais farouchement. » Face à cette situation, la Brigade des Mineurs l’a placée au RYC, « vu que je ne correspondais pas au profil pour retourner dans un Shelter de la CDU ». Considérée comme une délinquante, Rishita accepte son sort et se résigne à sa vie au sein de l’institution correctionnelle.
Plongée dans un autre univers
« Enn lot liniver sa, bann Shelter ek RYC, tousa. Me si ou konn amenn ou, pa pou ariv ou nanye. Bizin respekte ek azir selon bann kod ki ena dan sa bann landrwa-la. Les officiers ne sont pas forcément nos ennemis. Mais si nous adoptons une attitude et un comportement teinté de violences et d’agressivité, cela va évidemment se retourner contre nous-mêmes ! » Elle explique : « il y a un code à respecter quand on vit dans un Shelter ou au RYC. Soit on “join the group”, soit on est constamment mis à l’écart et on subit toutes sortes de traitements. »
Autant les officiers que les personnes qui étaient responsables du RYC se sont vite rendu compte que la jeune fille avait du potentiel. « Et surtout, je voulais m’en sortir. Normal, kan mo dan RYC, mo ti bizin sanz karakter, manier koze, zoure, tousala. Mais j’avais depuis toujours ce désir de sortir de cet enfer. » Devenir coriace, se forger un caractère bien trempé… Rishita concède qu’elle est passée par là. « C’est ce qui m’a permis de me protéger et de m’en sortir. »
Avec le soutien de la juge Premila Balgobin et d’Ayesha Joomun, Rishita obtient d’être inscrite dans une formation professionnelle. « Je m’appliquais aux classes et j’apprenais… Grâce à ces deux mentors, j’arrivais à décrocher une formation à l’école hôtelière pour professionnaliser le savoir acquis et ainsi m’inscrire sur le marché du travail. » Malheureusement pour Rishita, elle avait atteint ses 18 ans et ne pouvait plus rester au RYC. « Au sein de la compagnie qui me sponsorisait pour ma formation professionnelle, on m’a demandé de financer mon propre transport pour me rendre aux cours… Mais je n’avais aucun moyen ! » Rishita doit alors tirer un trait sur son apprentissage poussé.
Mais la jeune fille, malgré tous ces obstacles, a persévéré. « Avec l’aide d’Ayesha Joomun toujours, j’ai pu poursuivre ma formation. Et je ne crachais sur aucune des occasions se présentant à moi. Par exemple, j’avais une formation de femme de chambre d’hôtels cinq étoiles, mais je me voyais offrir de travailler comme serveuse de restaurant. Je ne voulais pas trop, mais au final, j’ai accepté, car au moins cela m’aidait à gagner ma vie. »
Rishita ne tombe pas dans les pièges faciles. « Mo ti kapav asize, plenye, plore, pa fer nanye, atann lezot fer kiksoz pou mwa. Mais ce n’est pas dans ma nature. Je dois dire qu’Ayesha Joomun a été et est toujours d’une immense aide. Dans tous mes moments, elle me soutient, me guide. Elle m’encadre et m’accompagne à chaque pas pour m’aider à retrouver la force en moi et avancer. » Elle refuse de se laisser aller, et « de devenir une délinquante, une proie facile des drogues, ou d’hommes qui n’attendent que des femmes faibles pour les exploiter ». Et pourtant, le cheminement est loin d’être facile.
« Boukou fwa mo mazinn seki monn traverse… Seki plis fer mwa sagrin ek plore, se ki mo pann ena personn pou mwa. Personne à qui me confier, personne qui se soucie de moi. » La jeune femme serait devenue invisible, ne serait-ce pour le soutien octroyé par ses mentors, Joomun et Balgobin, « qui croient en nous et veulent que nous ayons une deuxième chance dans la vie ».
Il y a quelques années, Rishita voit enfin une lueur au bout du tunnel quand elle rencontre Ansleigh. « Nou’nn fer konesans. Et je lui ai tout dit à propos de ma vie. Il n’a à aucun moment porté de jugement sur moi ou ce que j’ai vécu. Au contraire, il a été des plus compréhensifs et m’a proposé de vivre avec lui. »
« Tro koucou tantasion kan travay lotel »
Au terme de ses formations professionnelles, Rishita avait décroché du travail comme serveuse dans l’hôtellerie. « C’est un autre univers encore, où les tentations sont multiples. Ou pa kapav mama ek fonde enn fwaye ek travay dan lotel. Inposib sa » , lâche-t-elle.
D’où sa décision, il y a deux ans, quand elle tombe enceinte de son petit Noah, de tout quitter et de se consacrer à son rôle de maman et d’épouse. « Il se passe rarement un jour sans que je pense à ce que j’ai vécu… Kot mo sorti ek seki mo’nn pase. Mais j’avance. Avec l’amour de mes deux hommes, et le courage que me donne Ayesha Joomun et d’autres personnes qui me soutiennent, je veux donner un avenir brillant à mon enfant, et vivre une vie paisible auprès de mon mari. »
Jetant un regard sur son passé, elle souhaite que « les autres jeunes filles qui connaissent les malheurs comme je les ai vécus, et peut-être pire encore, soient fortes ». Elle poursuit : « Je sais que ce n’est pas facile. Je le sais, car je suis passée par là. Mais il y a une chose qui est sûre : si on veut s’en sortir, on s’en donne les moyens. On refuse de succomber aux tentations et de se laisser mener par les autres. On se construit, malgré les difficultés, et on relève la tête pour vivre des lendemains plus joyeux et entourés d’amour. »
Rishita se dit consciente que c’est plus simple de se laisser faire et ne pas s’opposer. « C’est facile de céder aux pièges et de se perdre. Mais j’ai toujours eu au fond de moi l’envie de changer la donne et de me prouver à moi-même que j’ai de la valeur, une vie, des sentiments… Bref, des choses à donner aux autres, et à être aimée. »
HT
Ayesha Joomun : « Donner une seconde chance est prioritaire »
Activiste sociale et membre de plusieurs organisations et associations à vocation caritative, Ayesha Joomun a pendant longtemps aussi été membre du conseil d’administration du RYC. « Avec la juge Balgobin, nous avions un projet : donner une deuxième chance à ces filles que la vie avait abîmées. Ce n’était nullement de leur faute; ce sont des victimes. Et en tant que tel, il est de notre devoir de les aider du mieux que nous le pouvons et, surtout, de leur donner une seconde chance. Ce que la vie ne leur a pas offert. »
Ayesha Joomun continue d’aider ces jeunes qu’elle se fait un devoir de rencontrer et d’écouter. « Je suis sensible à leurs inquiétudes. Avec l’aide d’autres mécènes, nous faisons ce qui est dans notre possibilité pour les soutenir et les accompagner. » Son souhait : « Que les autorités soient plus sensibles à ces jeunes qui recèlent de très bons potentiels, qui ont des talents cachés et qui ne cherchent que la chance de s’en sortir. »