Alexandre Barbès-Pougnet (Idéal Démocrate) : « Le principal adversaire du régime au pouvoir est la démocratie »

Alexandre Barbès-Pougnet n’est pas un néophyte en politique, loin de là. Candidat au Ward I de la ville de Curepipe aux prochaines municipales, ce doctorant-chercheur en droit international et comparé de l’environnement a confiance en l’électorat curepipien qui saura, selon lui, faire le bon choix pour redonner ses lettres de noblesse à la Ville Lumière. Et qui, surtout, pourra rétablir l’équilibre démocratique. Particulièrement attaché à la ville, il confie aussi que la mal-maison, soit l’hôtel de ville, n’est autre qu’une maison ayant appartenu à la famille de sa mère, située auparavant à Moka, avant d’être démontée et reconstruite à Curepipe. Rencontre avec un candidat qui porte Curepipe dans ses gènes.

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Qui est Alexandre Barbès-Pougnet ?
Marié et papa d’un petit garçon, j’exerce la profession de juriste en entreprise, où je me spécialise dans les questions relatives au droit du travail. Parallèlement à mon gagne-pain, je suis doctorant-chercheur en droit international et comparé de l’environnement, rattaché à l’Observatoire des mutations institutionnelles et juridiques de la faculté de droit de Limoges. Ma thèse confronte les droits de la nature et la traduction juridique du concept de développement durable… pas si durable que cela.

Mes passions et engagements bénévoles gravitent autour de l’histoire de notre pays, siégeant sur le comité de la société de l’histoire de l’île Maurice créée par Auguste Toussaint en 1936, mais aussi autour de l’archéologie, des différents arts (musique, peinture, littérature, etc.). Et, bien naturellement, autour des diverses sciences environnementales et de l’anthropologie.

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Vous êtes candidat sous la bannière d’Idéal Démocrate pour les prochaines municipales à Curepipe. Une ville que vous connaissez bien…
Mon attachement particulier à Curepipe tient d’abord au fait que j’y ai une grande partie de mes plus beaux souvenirs d’enfance. Je me suis construit dans cette ville, qui avait alors, dans les années 80’ et 90’, une végétation superbe, avec ses camélias, ses azalées et ses camphriers, qui dégageaient tous une odeur que l’on n’oublie pas. Issu d’un milieu modeste, ses grandes campagnes et beaux quartiers me faisaient rêver et voyager.
La ville offrait des activités culturelles plus ou moins variées et qui marquent un enfant (les matches de foot au Stade Georges V, les concours de yo-yo et de basket-ball à l’hôtel de ville, etc.). Il m’aurait probablement fallu plus d’une centaine de pages pour vous partager ces souvenirs.

Mes parents s’y sont rencontrés alors que mon père était comptable à La Brioche, et ma mère encore collégienne au couvent de Lorette de Curepipe. Puis, cet attachement tient (un peu par orgueil) à des raisons familiales. En grandissant et en m’intéressant à la généalogie de ma famille, j’ai compris que nous avions été très tôt impliqués dans les premières heures de cette ville à la fin du XIXe siècle. Du côté paternel, d’abord, mon ancêtre Pougnet, l’un des premiers habitants de Curepipe (qui n’était pas encore une ville), y exploitait un chantier de bois sur le terrain Currie, près des Aubineaux, chantier qui fournissait leurs planches et bardeaux aux premières maisons et bâtiments commerciaux de la région.

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Puis, Sir Virgile Naz et le Dr Edwards, premier et second présidents du board (ancêtre de la municipalité), et donc gérants de la première administration décentralisée de Curepipe. Du côté maternel, la mal-maison, notre hôtel de ville, n’est autre qu’une maison ayant appartenu à la famille de ma mère et située à Moka, avant d’être démontée et reconstruite à Curepipe. Ce dernier détail justifiait notamment mon opposition frontale à l’ancien maire, Hans Margueritte, qui avait tenté de faire modifier sans autorisation des autorités compétentes son bassin pour y apporter une touche qui, en plus de le dénaturer, l’aurait enlaidi. Face à ma plainte, il avait déclaré à la presse qu’il était serein. J’ai fort heureusement obtenu gain de cause et les autorités ont ordonné que le bassin soit reconstruit dans son architecture d’origine.

Beaucoup disent que la Ville Lumière s’est éteinte. Quels seraient selon vous les projets à entreprendre en premier lieu pour tenter de rallumer la flamme de la ville ?
La ville de Curepipe brillait autrefois par son identité, qui lui était propre. Nos commerces étaient florissants, le tourisme abondant, le divertissement accessible à tous. D’une ville vivante dotée d’une riche histoire, ayant vu naître certains de nos plus grands auteurs, artistes, politiciens et sportifs, nous sommes passés à une ville morte, une ville éteinte. Redonner son identité à Curepipe passerait, selon moi, par le développement de plusieurs pôles, chacun chargés de missions précises, doté d’un budget et d’une feuille de route sur les court, moyen et long termes.

Au nombre de ces pôles se trouveraient un pôle culturel chargé de l’administration de la bibliothèque municipale, de l’hôtel de ville, de l’organisation de manifestations culturelles diverse; un pôle famille/jeunesse/sport et associatif chargé de collaborer avec les écoles pour l’éducation citoyenne de nos enfants, d’assistance aux familles en détresse, d’établir des programmes pour éloigner les jeunes de la drogue, de l’organisation d’évènements sportifs, de soutenir la vie associative en encourageant au développement de divers clubs (échecs, littéraire, photographie, etc.).

Mais aussi un pôle administratif chargé des ressources humaines pour les employés de la ville, de l’état civil, du secrétariat de la ville, des permis, etc.; un pôle technique, chargé de rassembler toutes les technicités nécessaires pour évaluer les projets de développement et initier ces derniers dans les domaines de l’aménagement, de l’urbanisme, des transports, de la voirie, des espaces verts, etc.
Et enfin un pôle ressources, chargés de gérer et d’administrer les dotations publiques de la ville reçues du gouvernement central, mais aussi de lever des fonds et de proposer des modalités de levées de fonds autorisées de sortes à pouvoir financer les projets arrêtés par le conseil municipal.

Vous êtes connu pour être un fervent défenseur du patrimoine et de l’environnement. Il y a certainement de quoi faire dans les hauts…
Nous pouvons regrouper ces deux thèmes sous l’appellation de « patrimoine environnemental et culturel », car ils sont intimement liés. Il s’agit pour nous de préserver le meilleur de ce qui nous a été transmis par les générations passées pour l’associer au meilleur de ce que nous savons produire.

Ainsi, et à titre d’exemple, redonner vie au jardin botanique ou au parc de l’hôtel de ville en les plaçant sous l’autorité d’un vrai botaniste et de jardiniers formés ne serait pas incompatible avec l’exploitation d’une centrale de traitement des déchets verts de la ville, centrale capable à la fois de générer des revenus propres à la ville et dans laquelle chaque citoyen pourrait être actionnaire.

Maintenir d’anciens bâtiments pour y placer nos artisans régionaux, ou encore une salle de cinéma ou un café-théâtre, ne serait pas non plus incompatible avec le fait qu’ils appartiennent au patrimoine historique mauricien. Les arcades Currimjee en sont le meilleur exemple curepipien.

Vous n’en êtes pas à votre première participation aux élections… Quel est votre constat du terrain et, surtout, de l’électorat ?
Trois élections législatives et ma première municipale. L’électoral est malheureusement volatile et donc imprévisible. Je n’ai pas d’autre constat.

Après le 60-0 aux dernières élections, beaucoup parlent de 120-0 en faveur de l’alliance gouvernementale pour ces municipales. Qu’en pensez-vous ?
Il s’agirait d’un échec cuisant pour notre démocratie. En ne procédant pas aux réformes nécessaires avant l’annonce d’une date de scrutin, il ne fait aucun doute que cet état des choses arrange le gouvernement en place, en toute connaissance de cause. De plus, les villes en ressortiraient pleinement perdantes, et ce, pour plusieurs raisons.
D’abord, car elles seraient essentiellement gérées par des administrateurs souvent incompétents et ne devant leur « ticket » qu’à leur allégeance aveugle à l’alliance gouvernementale. Ils ne devraient leur victoire qu’aux moyens financiers (et potentiellement non déclarés) injectés dans leur campagne plutôt qu’à leurs capacités réelles. Contre des moyens financiers illimités, l’adversaire miséreux est souvent impuissant.

Puis, car le développement des villes se ferait sur la base d’une vision nationale harmonisée des zones urbaines, et non en tenant compte des spécificités de chaque ville, celle-là même qui leur donnait autrefois cette identité propre qui les rendait attrayantes.
L’argument de taille de l’alliance du changement est celle qu’à défaut de mettre à la tête des mairies des candidats issus de cette majorité, ces institutions locales seraient paralysées dans leur fonctionnement. Est-ce un aveu de filouterie ? En tout état de cause, je tiens à rassurer les électeurs des zones urbaines en leur révélant que le gouvernement ne dispose pas de grandes marges de manœuvre au regard des dotations faites aux mairies, qu’elles soient ou non du bord gouvernemental.

Les mairies disposent de plus de divers moyens pour soulever des fonds afin de compléter les dotations publiques insuffisantes et de mettre en œuvre leur politique. Il faut simplement pour cela un mélange de créativité et de non-soumission au pouvoir central. Enfin, il est important de garder à l’esprit que les élus locaux de l’opposition ne sont nullement des opposants politiques (pour notre part en tout cas) du gouvernement central, mais sont appelés à une collaboration en bonne intelligence pour l’avancée de leur ville et pour répondre aux attentes des citadins.

Trop de pouvoir… un danger pour la démocratie ?
Trop de pouvoir mène incontestablement à de la dictature, et ce, principalement dans un système comme le nôtre, qui est conçu pour créer un réel déséquilibre entre des élus de la majorité gouvernementale et ceux de l’opposition.
D’autres pays, comme la France, ont su corriger ce déséquilibre par la mise en place de contre-pouvoirs par le biais de mécanismes tels que la motion de censure, les procédures d’information, les investigations (commissions d’enquête, missions d’informations et groupes de travail), les auditions, les délégations parlementaires, un comité d’évaluation des politiques publiques totalement autonome…

A cela s’ajoute bien naturellement un fonctionnement salutaire de la séparation des pouvoirs, avec les possibles recours a posteriori par le contribuable devant le Conseil d’Etat et/ou le Conseil constitutionnel. Nous en sommes très loin. La raison est plus culturelle qu’autre chose.

Quels seraient les critères à considérer pour élire son conseiller municipal ?
Au vu de l’état actuel de nos villes, je dirais d’abord un critère de compétence, puis de cohérence. Un critère de compétence dans le sens où nous avons un grand besoin de réels administrateurs. Ce qui implique de savoir prendre les décisions éclairées, les plus justes, d’agir dans l’intérêt du citoyen, et non pour servir un intérêt personnel; de savoir adopter une politique holistique pour la ville plutôt que de défendre avant tout une vision personnelle.
Cette compétence va de pair avec l’expérience du candidat. Je ne parle pas ici d’une expérience « politique », mais d’une expérience de gérance dans son sens le plus large. Le critère de cohérence tient quant à lui au fait qu’on ne peut pas, par exemple, s’ériger comme un candidat défenseur de l’environnement et qui apportera des réponses concrètes à sa ville sur cette question sans ne jamais être intervenu dans ce domaine a priori.

Récemment, le Premier ministre a déclaré que son principal adversaire dans cette joute serait l’abstention. Des commentaires ?
Le principal adversaire du régime au pouvoir n’est selon moi pas l’abstention, mais la démocratie. Car ce que la démocratie peut faire, elle peut le défaire. Il serait, selon moi, important que l’électeur garde en tête le danger qu’il a fait courir au fonctionnement démocratique de nos institutions en offrant sur un plateau un 60-0 au gouvernement en place, et en nous privant de surcroît d’un contre-pouvoir et d’un moyen de contrôle sur l’action gouvernementale. Il est donc primordial de rectifier le tir et de rétablir l’équilibre par l’élection municipale du 4 mai.

Pensez-vous que les partis non traditionnels ont toute leur chance de remporter des sièges cette fois ?
Je suis convaincu que certains candidats des nouvelles formations politiques ont de fortes chances d’intégrer nos mairies. Ils le mériteraient au regard de la constance de leur travail, essentiellement dans les villes de Curepipe et de Beau-Bassin/Rose-Hill. Ces villes, autrefois berceau de la culture mauricienne (à côté de celle de Port-Louis), méritent pleinement que des candidats compétents intègrent leur administration.

L’électorat mauricien, et surtout dans votre cas les Curepipiens, ont-ils toujours aussi soif de changement dans le vrai sens du terme ?
Je ne parlerai ici que des Curepipiens, qui sont ceux qui me concernent pour cette élection. Étonnamment, je ne peux constater aujourd’hui qu’un désir profond de retour vers le passé, vers ce qu’était notre ville, c’est-à-dire attractive, dynamique, inclusive et ayant cette forte identité propre qui la caractérisait. Elle était le berceau de nos élites intellectuelles sur les plans culturel, sportif, scientifique, et aussi administratif. Cette ville était gérée par des citadins pour des citadins, et sa population exigeante avait des hautes aspirations dans tous les domaines.

Cette exigence faisait de notre ville un exemple d’esthétisme et d’urbanisme réfléchi. Son gouvernement local n’avait alors d’autre choix que celui d’être proactif. Il est important pour cela que les Curepipiens de souche se posent la question de savoir ce qui était différent et qui faisait que cette ville rayonnait. L’électorat sait donc ce qui lui reste à faire. La réponse à cette question sera la même tant à Curepipe, où Idéal Démocrate présente des candidats valables, que dans la ville de Beau-Bassin/Rose-Hill, où En Avant Moris a su se positionner comme une alternative sérieuse.

Il est important de souligner qu’un regard vers le passé ne signifie pas être incapable d’évoluer et de répondre aux exigences de notre population citadine actuelle. Il s’agit uniquement de conserver le meilleur de l’ancien (culture, architecture, urbanisme, botanique, etc.), de préserver ce qui existe toujours, de relancer ce qui fonctionnait mais qui a été abandonné, pour l’associer au meilleur du nouveau, tels l’aménagement de structures existantes pour les adapter aux besoins des personnes handicapées et des personnes âgées, la mise en place d’un nouveau réseau d’eau et électrique plus économiques, et la réorganisation totale du réseau de transport urbain, pour ne citer que ces exemples.

Un mot de la fin ?
Rendez-vous aux urnes !

 

 

 

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