Le syndrome du train

Plus que jamais, l’humanité se rapproche du dangereux carrefour qui pourrait signer son extinction. Pourtant, et bien que depuis plusieurs années les signaux d’alerte nous parviennent de partout, peu encore sont ceux à y croire. Et ce, pour plusieurs raisons. La première, c’est que l’essentiel retenu de cette rhétorique catastrophiste consiste dans le changement climatique. Or, s’il est indéniable que la menace est bien réelle – et qu’il nous faut bien évidemment y remédier –, elle n’est en réalité qu’une infime partie de la problématique. De fait, aucune solution qui pourrait y être apportée en ne prenant en compte que ce seul élément ne nous évitera la collision avec le mur de l’effondrement civilisationnel.
C’est ce qu’on appelle le syndrome du « train qui peut en cacher un autre ». En l’occurrence, ici, il s’agit de wagons entiers de problèmes parallèles ou sous-jacents, imbriqués les uns aux autres et mus par la même locomotive, celle du développement. Penser uniquement réchauffement nous éloigne donc du véritable nœud gordien. En outre, cette focalisation exclusive sur le changement climatique, loin de nous faire peur, aurait même plutôt l’effet inverse, en ce sens que la science nous explique que, bien que la planète ait connu différentes périodes de réchauffement du climat, celles-ci n’auront jamais hypothéqué le maintien du vivant. Ce à quoi vient d’ajouter notre confiance démesurée en nos armées d’ingénieurs, capables, croyons-nous, de nous sortir des pires situations.
Le souci, comme nous l’avons noté plus haut, c’est que le changement climatique est loin d’être le problème majeur; et il en est de même d’ailleurs pour toutes les autres formes d’altérations sociétales anthropiques étant sources d’inquiétudes, à l’instar de l’effondrement de la biodiversité, la pollution, la hausse des inégalités, etc. Et ce, pour une simple raison : c’est qu’aussi sensibles et épineux puissent être ces items, tous ont pour origine commune notre mode de fonctionnement. Dit autrement, c’est donc tout notre système qui est vicié, et par conséquent à revoir. La crise n’est pas unique, mais systémique et multidimensionnelle.
Au fil des millénaires, l’humanité n’aura en effet eu de cesse de mettre à profit son environnement pour son développement personnel; ce qui, en soi, n’était pas à la base contre-indiqué – du fait de notre ignorance pérenne quant aux possibles dommages collatéraux, mais aussi parce que tout être vivant est génétiquement programmé pour exploiter son milieu naturel dans le cadre de sa survie. Pour autant, les dernières décennies auront été particulièrement destructrices, et ce, sous l’impulsion de notre machine industrielle, et dont le seul objectif aura été (et est toujours) de faire un maximum de bénéfices. Ce faisant, ce changement de règles – entre celles imposées par notre système économique et celles (totalement inflexibles) de la Nature – aura fini par pousser l’humanité dans l’impasse dans laquelle elle se trouve aujourd’hui.
Outre notre propension au déni et notre état permanent de torpeur intellectuelle, nous devons ajouter notre croyance au technosolutionnisme. Ou, pour simplifier, en cette certitude humaine, depuis l’avènement de l’ère industrielle surtout, que la magie de la science peut tout résoudre, pour peu qu’elle s’en donne les moyens. Or, non seulement la science n’a rien de magique, mais elle contribue même indirectement à notre perte, en ce sens qu’elle nous fait croire au Père Noël, et nous pousse donc à l’inaction. Ni le changement climatique, ni la perte de la biodiversité, ni la déforestation ne trouveront donc de solution technique, si ce n’est bien sûr individuellement; traiter les métastases ne réglera jamais la question du cancer.
En revanche, une approche différente est encore possible, pour peu qu’elle soit multidisciplinaire (technologique, philosophique, culturelle…). Et c’est là que notre technique et notre savoir-faire devraient justement être mis à profit en vue d’un changement civilisationnel, et ce, dans un cadre axiologique. En d’autres termes, il nous faut revoir notre échelle des valeurs morales et replacer l’humain à sa juste place sur la carte du vivant – et donc aucunement en haut de la pyramide. Une démarche qui, bien que nous semblant toujours hors de portée, nous permettrait de rebâtir un monde enfin débarrassé de nos problèmes anxiogènes, tout en garantissant la pérennité de la biodiversité dans son expression la plus large.

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Michel Jourdan

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