Anshi Neharika Buluck
Dix-huit ans
Élève en Grade 13
Secrétaire suppléante et directrice de projet
JADE (Jeunes Ambassadeurs des Droits de l’Enfant)
Bureau de l’Ombudsperson pour les enfants
Les Assises de l’éducation sont désormais derrière nous. Que restera-t-il de ces échanges? Et nous les élèves mauriciens, que devons-nous attendre de ces discussions alors que le deuxième trimestre commence ? Une vraie remise en question, je l’espère, de tout un système qui aura fait beaucoup de mal à des milliers d’enfants ces dernières années.
Je fais partie de la première cohorte ayant pris part aux examens de la NCE clôturant un premier cycle du fameux ‘nine-year schooling’.
C’était il y a cinq ans.
Ceci est un court témoignage de ce que j’aurai connu comme expérience au sein de l’école mauricienne alors que j’arrive au bout de mon aventure sur les bancs de l’école.
Ma génération aura tout connu : NEUF ans de promotion automatique faisant fi des manquements de ceux qui, moins chanceux ou moins suivis, galéraient à assimiler les bases de l’écriture et de la lecture, l’arrivée des académies mais, également, le chaos pendant la période du Covid faisant perdre à presque toute ma génération toute une année de vie.
Un sentiment d’injustice
C’était une injustice car il est indéniable que avons payé le manque de planification des autorités et une improvisation totalement aléatoire dans la mise en pratique des cours en ligne et du calendrier scolaire plusieurs fois remanié. Le manque de vision était évident.
On nous dira que la période était particulièrement difficile à gérer et que certaines choses n’étaient pas prévisibles. Mais gouverner, c’est prévoir…apparemment. Du moins, c’est ce que j’avais cru comprendre.
Mais passons. Tout cela c’est le passé et désormais j’arrive au bout de mon parcours scolaire. Qu’aurais-je retenu de ces treize années passées sur les bancs de l’école primaire avant de passer au secondaire, d’abord dans un collège d’État avant de rejoindre un collège confessionnel catholique ?
Spontanément, je dirai déjà, une nouvelle fois, un sentiment d’injustice et cela dès l’école primaire. Malgré l’abolition du CPE, le système restait extrêmement compétitif et au bout des six premières années, à l’issue des examens du PSAC, comme tous les enfants de ma génération, j’attendais avec angoisse et impatience les résultats. Ils furent excellents. Mais, je rêvais de me rendre au collège MGI et je n’ai jamais su pourquoi, l’entrée de ce collège me fut refusée.
Le sentiment d’injustice est né de la prise de conscience que mes résultats n’avaient pas pesé lourd dans la balance. Des élèves de ma classe, habitant la même localité et ayant obtenu de moins bons résultats que moi, avaient obtenu une place dans le collège que je convoitais.
À onze ans, je commençais à découvrir que la méritocratie est un vain mot dans le pays. On s’étonne du départ de milliers de Mauriciens vers l’étranger, se plaignant du manque de méritocratie dans le monde du travail mais, au fond, ce déficit de méritocratie commence dès l’école. D’autres critères, souvent obscurs, favorisent certains par rapport à d’autres. Je sais que je ne fus pas la seule victime.
Je vais revivre la même expérience trois ans après au moment d’obtenir mes résultats de la NCE. J’aspirais avoir accès à une académie mais malgré un résultat qui me permettait d’espérer légitimement cela, une nouvelle fois, je ne fus pas admise là où je voulais aller pendant qu’au même moment d’autres ayant obtenu de moins bons résultats y allaient obtenir une place.
Je me suis posé beaucoup de questions à l’époque. Était-ce dû à mon appartenance communautaire ? À la classe sociale à laquelle j’appartiens ? Au métier de mes parents ? Aux liens politiques supposément associés aux membres de ma famille. Je ne l’ai jamais su. Et je ne le saurai sans doute jamais.
S’ajoute à ce sentiment d’injustice, au-delà de mes expériences malheureuses, la conscience que des milliers d’enfants sont broyés par le système. Et que les conséquences pour eux étaient beaucoup plus dramatiques. J’ai la chance d’être arrivée au bout du chemin. Ce ne fut malheureusement pas le cas pour beaucoup de ceux de ma génération. Aussi bien après le PSAC, la NCE qu’après le Covid où le taux de décrochage fut conséquent.
Lucidité et constats
Mais mes propres blessures sont désormais cicatrisées et je me suis remise de ces déceptions. Je suis désormais bien là où je suis et je fais mon parcours de vie et d’étudiante plutôt sereinement.
Cependant, au-delà de ce sentiment d’injustice ressenti, au-delà de cette impression quelquefois tenace d’avoir fait partie d’une génération cobaye, mon parcours et également le désir de bien observer le monde autour de moi m’ont permis d’être lucide sur cette école appelée à me façonner.
Je le dis sans amertume mais, au-delà de certaines rencontres et une base académique qui m’a permis bon gré mal gré de cheminer et d’arriver en HSC, je ne retiendrai pas grand-chose de l’école mauricienne.
Il y a bien sûr des enseignants consciencieux, présents pour leurs élèves mais ils sont aussi nombreux ceux qui ne font que le strict minimum. Ils enseignent sans passion, ignorent le nom de leurs élèves et ne sont pas là pour les guider et les aider à mieux comprendre qui ils sont et pourquoi ils sont faits.
On ne donne pas à l’enfant mauricien les moyens de se découvrir et de découvrir sa véritable vocation. Le système, tout comme les enseignants, est formaté pour travailler dans un seul sens.
Au bout de treize ans, très peu d’élèves savent au fond qui ils sont et qu’est-ce qui correspond à leurs compétences et désirs réels. Pas de conseillers d’orientation déjà, mais aussi peu d’enseignants s’intéressant réellement à qui sont réellement leurs élèves. Du coup, ce sont souvent les circonstances, le hasard ou la pression familiale et sociale qui font qu’un élève va finir par s’orienter vers un domaine précis.
Mais, il faut le préciser, le choix des matières et des filières est restreint, et surtout on ne nous aide pas à savoir pour quoi il faut opter pour aller dans un sens plutôt que dans un autre. C’est souvent à la fin du cycle secondaire que l’élève découvre au moment de s’inscrire à l’université que les matières choisies en HSC ne lui permettent pas de s’inscrire pour tel ou tel cours.
Pas de conseiller d’orientation donc, mais aussi les enseignants ne sont pas formés pour mieux cerner leurs élèves et les aider à trouver leurs voies. Et je considère que cela est un manquement grave de notre système. À mon avis, l’école doit aussi avoir pour mission d’aider chaque enfant mauricien à savoir qui il est et à trouver sa place.
Une autre école et de l’espérance
Cela dit, au bout de onze ans au sein d’une école puis d’un collège public, alors que j’étais résignée à l’idée que le système éducatif mauricien est à désespérer, depuis maintenant un peu plus d’un an, je me retrouve au sein d’un collège confessionnel catholique. Et j’avoue que le contraste est saisissant. Et que, tout doucement, je suis en train de me réconcilier avec l’école.
Je le dis franchement, il n’y a pas photo: la culture est différente, le suivi des élèves est différent, l’engagement des profs est différent.
Bref, là où je suis, au-delà de toutes ces activités auxquelles on encourage les élèves de participer, il est clair que les collèges catholiques mettent l’enfant au cœur de ses préoccupations et qu’à partir de là tout est différent.
J’ai l’impression, là où je suis, d’être dans un îlot chaleureux où mes amies et moi nous sommes choyées, aidées et protégées par une culture et une approche pédagogique ayant fait leurs preuves mais aussi, et surtout, des enseignants ayant à cœur leur mission.
Optimisme
Je termine donc mon parcours scolaire sur une bonne note. Alors que j’ai été plongée dans le marasme pendant de trop longues années, ces derniers mois m’ont non seulement réconciliée avec l’école mais aussi m’ont permise de retrouver un certain optimisme.
J’étais désespérée pour mon pays car je sais l’importance de l’école dans la construction sociale mais j’ai réalisé que même quand les choses vont mal au sein d’un système, il suffit d’un prof, d’une institution, d’une autre perspective et les choses peuvent être radicalement différentes.
Désormais, j’ai envie, après mes études, de rester dans cette île et de contribuer à son développement. Il est vrai que beaucoup de jeunes sont découragés et se disent que dans ce pays, il n’y a pas de méritocratie, que nos institutions sont pourries, que le système éducatif est déplorable. Mais mon expérience de ces derniers mois m’ont montré que les choses peuvent être différentes. Et, aujourd’hui mon espoir, c’est que les autorités et l’actuel ministre de l’Éducation aient véritablement entendu les acteurs de l’éducation et qu’une véritable réforme soit mise en place pour une école digne de ce nom. Il s’agit là de préserver, au fond, la capacité de notre pays à donner des raisons aux Mauriciens de rester et d’aider à reconstruire le pays.
Il importe peu le mal que j’ai pu dire au tout début de ce texte sur le système éducatif mauricien. Je choisis de rester positive et d’avoir de l’espérance. Espérons que les assises permettront justement de construire ce chemin d’espérance. Pour le pays. Pour ses enfants.