Faut, peut-être, un peu redescendre. Il n’y a pas lieu de s’emballer outre-mesure, célébrer plus qu’il n’en faut ceux qui ont été élus ni minimiser non plus la victoire des équipes de l’alliance du changement aux municipales du 4 mai dernier dans les cinq villes du pays.
Ce scrutin intervient quelques mois après le cinglant 60/0 infligé au MSM et à ses alliés et, comme en a attesté l’histoire, des razzias aussi spectaculaires qu’elles soient, enregistrées lors des législatives, ne constituent en aucun cas des garanties automatiques d’une réplique exacte aux élections régionales. C’est plus souvent le contraire qui est vrai. L’électorat tentant une correction, un rééquilibrage des pouvoirs.
Navin Ramgoolam rappelait avec raison jeudi que même, après le premier 60/0 de 82, il n’y eut pas de totalité de sièges remportés par l’alliance MMM/PSM, des travaillistes ayant obtenu des sièges de conseillers municipaux à Quatre Bornes et ailleurs.
Il en fut d’ailleurs de même pour le deuxième 60/0 de décembre 1995 réalisé par une alliance PTr/MMM. Lors des municipales organisées quelques mois après ce score sans appel, quelques élections surprises étaient notées dont celle de Pravind Jugnauth dans le premier arrondissement de Vacoas/Phœnix.
Celui qui n’était pas encore le leader du MSM avait été terrassé à Vieux Grand-Port/Rose-Belle aux générales de 95, battu par plus de 10,000 voix par le dernier candidat travailliste Yasdev Jeelall. Voilà pourquoi ceux qui peuvent s’étonner que trois élus se soient incrustés dans la large victoire de l’équipe gouvernementale doivent réviser leurs fiches et se plonger dans l’histoire de ce scrutin pour remettre les choses dans leurs justes perspectives.
Si l’on remonte dans le temps, il n’est pas, non plus, rare de constater d’énormes surprises lors de municipales, encore davantage du temps des partielles qui se tenaient à intervalles réguliers lorsque ces scrutins avaient été rétablis en 82.
On pense ici aux partielles de Rose-Hill et de Beau-Bassin. Jean-Claude de l’Estrac, qui régnait en maître sur les villes-sœurs, fut fort dépourvu après que son candidat ait été battu par un travailliste lors d’un scrutin de remplacement dans le premier arrondissement de Rose-Hill.
Il y eut d’autres défaites plus notoires encore de géants comme Rajesh Bhagwan à des partielles municipales, mais aussi des figures influentes comme Gérard Ahnee ou Claude Cavalot. Leurs tombeurs connurent une gloire éphémère et ne purent rééditer leur performance ni à des municipales successives et encore moins à des générales.
Tout cela n’a, d’ailleurs, jamais empêché que Rajesh Bhagwan soit élu à toutes les générales depuis 1983 et que, dans les pires circonstances qui soient, comme en décembre 2014, Paul Bérenger ait pu se hisser parmi les élus de Rose-Hill/Stanley. C’était le temps où un certain Ivan Collendavelloo se croyait installé pour l’éternité dans la 19ème circonscription. L’expression une hirondelle ne fait pas le printemps n’a jamais autant eu de sens que dans le cas des municipales, qui réservent toujours son lot de surprises.
Relativiser est, donc, impérieux avant de claironner et d’avoir le triomphe immodeste. Les élus régionaux doivent souvent leur élection à des facteurs strictement locaux, un soutien des connaissances immédiates, un coup de pouce socioculturel ou de l’église du coin et quelques votes de sympathie d’électeurs de partis absents de la joute.
Ils gagnent aussi souvent sur des critères moins reluisants comme le vote communal. Ce qui en fait toujours des percées one-off qui ne se reproduisent pas aux générales dont l’enjeu est totalement différent du choix de qui ira s’asseoir au Conseil municipal.
En minimisant eux-mêmes le scrutin, les dirigeants de l’alliance gouvernementale, qui n’ont pas du tout participé à la campagne électorale, si ce n’est de tenir un rassemblement à la rue Edward VII à Rose-Hill, ont démobilisé leur propre électorat.
Et lorsque, à quelques jours du scrutin, ils sont venus annoncer un prochain budget difficile – nce qui est, certes, courageux –, il ne faut pas aller chercher bien loin les raisons de l’indifférence urbaine. Les candidats, choisis par la base et pas toujours parmi les plus affûtés, ont dû se dire que de telles annonces qui n’ont rien de bien emballantes pouvaient attendre quelques jours. Mais ce qui est fait est fait.
L’alliance du changement dispose au sein des Conseils municipaux comme à l’Assemblée Nationale d’une majorité écrasante qui devrait lui permettre de mener à bien ses projets. En attendant la grande réforme des administrations régionales que l’on dit en préparation après de larges consultations, il faudra se mettre au travail sans délai pour effacer les dix années catastrophiques que les mairies ont connues.
Rien de bien probant ne se passait et les noms des maires étaient souvent inconnus de leurs propres administrés. C’est aussi cet héritage qui a dégoûté le citadin de l’administration de sa ville et qui l’a éloigné des urnes.
Qu’il n’y ait plus de Parliamentary Private Secretaries pour empiéter sur les prérogatives des élus urbains est déjà une bonne chose, ce qui veut dire que les budgets colossaux jadis dévolus à la National Developpement Unit pour faire un peu n’importe quoi, si ce n’est les caprices de quelques députés et ministres, seront équitablement repartis entre les mairies et les Conseils de district.
Le chantier est, là aussi, immense. Les villes étaient jadis bouillonnantes de vie culturelle, sportive, associative et éducative. Il fut un temps où l’administration ne s’arrêtait pas à l’installation de quelques points de lumière ou à la collecte des ordures.
Ces petites facilités du quotidien sont, certes, importantes, mais une ville c’est aussi procurer des loisirs sains aux différents groupes d’âge de la ville. À un moment où la drogue fait autant de ravages, il appartient aux nouveaux édiles de réconcilier les habitants avec leur agglomération. Réinventer la ville, ce n’est pas seulement possible, c’est devenu nécessaire.